Huitième numéro. Numéro un peu "spécial" : Point-barre s'amuse...
Quarant-huit pages de fantaisie, si ce n'est de délires "aux sons et aux tons hétéroclites" qui, mine de rien, mettent le monde sens-dessus-dessous, le basculent cul par-dessus tête.
Rires crus, caustiques, loufoqueries, jeux de mots percutants, situations bouffonnes ou carrément absurdes : tout cela, il faut bien l'avouer, nous change un peu de l'"ordinaire" somme toute assez compassé de la poésie.
Certes, ne nous leurrons pas : ici, comme nous le dit Magali Nirina Marson, auteur de la préface, "on rit pour ne pas pleurer". Dans la plus pure tradition subversive du carnaval, on "bouscule l'ordre", un ordre inique.
Utiliser "la dérision" est une forme de recul, de protection accusatrice qui peut - on le sait - s'avérer très efficace. Quelle meilleure façon de pointer du doigt le non-sens qui préside aux destinées du monde ?
A cela, j'ajouterai qu'en outre, le choix du thème cadre très bien avec l'esprit mauricien, enclin à une malice quelquefois volontiers ironique...
Vingt sept poètes, tous différents. Tous parents, par le sens du rire.
Côté langues, du comorien, du mauricien, du créole réunionnais, du français, de l'anglais...nous retrouvons la petite société des nations !
La devise de ce numéro, c'est Michel DUCASSE qui nous la donne :
"Pouffez devant ceux que vous ne pouvez piffer
Brocardez les cocardiers sous les cocotiers
Qu'ils aillent se faire voir ailleurs chez les railleurs !
[...] le rire désarme [...]
les fats, les faux-culs [...]"
Et, certes, rien n'est plus vrai. Chacun de ces auteurs l'illustre, à sa manière.
Pour Soeuf ELBADAWI (Comores) c'est "l'enfance" qui se met "alors à glousser [...] d'une complainte de deuil / passée au badinage et à l'ironie". Pour Cathy GARCIA (France), la poésie attend d'être libérée des poèmes comme des poètes.
Denis HEUDRE (France), quant à lui, nous régale d'une liste de départements français totalement remaniée par ses soins : étonnement et effet comique garanti ! Eduardo GALHOS (Portugal) voit en "le monde" "Une tartufferie bouffonne" et "Une parade de faux-semblants".
Anil Rajendra GOPAL nous offre un désopilant poème en créole, savoureux de verve humoristique mauricienne.
Le Français Jean-Bernard PAPI se penche malicieusement sur le (faux) problème de la burqa, et, de la sorte, au rebours de ses compatriotes, le dédramatise.
Le Québecois Daniel DUBE met la lettre B dans tous ses états au fil d'un long jeu de sonorités dont les accents truculents ont quelque chose de rabelaisien. Giulio-Enrico PISANI, du Luxembourg, nous concocte deux "semblants de plagiats", ce qui est, en soi, déjà, tout un programme. Le Belge Eric BROGNIET nous assène la férocité glacée de son texte : "Comme le défenestré du troisième étage / Son corps percutant le pavé / Au seuil de la porte d'une pharmacie / Certains choisissent de se tuer avec humour".
Vinod RUGHOONUNDUN nous campe une mer "ivre de rire" qui "se brosse les dents sur les rochers" et qui, jamais lasse de "se cabosser se décabosser", fait allègrement la "folle". Alex JACQUIN-NG n'y va pas par quatre chemins lorsqu'il crache dans son langage direct, un peu cru que "L'Amour", cela n'est que "patati / Et patata !"
A noter, aussi, le déroutant poème de l'Irlandais Fred JOHNSTON, la très amusante litanie de questions déroulées par le long poème de Yusuf KADEL, l'excellente petite nouvelle de Jean-Michel MARCHE, auteur français et, pour finir, à la toute dernière page, la sobre et méditative "Epitaphe" que l'on doit à Umar TIMOL :
"ci-gît un homme
qui a failli vivre
et qui
en est mort (de rire)".
Mais vous vous doutez bien que cette liste n'est nullement exhaustive. Il reste à la compléter un peu en signalant, notamment, la présence en ces pages de Catherine BOUDET (qui, cette fois, a choisi d'écrire en créole), Arnaud DELCORTE, Patrick JOCQUEL, Tahir Hussein PIRBHAY, Jean-Claud ANDOU, Patricia LARANCO et Dev VIRAHSAWMY.
Que dire de plus ? Des lectures bien agréables, qui ont pour mérite de nous bousculer dans la même mesure qu'elles nous détendent. Concilier le rire et un certain fond de gravité, de réflexion, cela reste tout de même un exercice assez difficile.
Mais la revue mauricienne maintient le cap. Pari tenu.
Les trois illustrations de Delphine Leïla ROUX, colorées, naïves, mystérieuses incitent tant au rêve qu'à la fantaisie.
Quant à la Joconde moustachue et barbue de Marcel Duchamp qui orne les quatre faces de la couverture, elle a tout lieu de sourire .
Let's enjoy, rions donc sans plus de retenue...le rire est tellement précieux !
P.L