Magazine Politique
C’est à partir de l’ouvrage « Macroéconomie », de Grégory N. MANKIW, que nous allons poursuivre notre étude de la dette
publique. (Version 1999, troisième édition).
L’auteur, professeur d’économie à l’Université d’HARVARD, consacre le chapitre 16 de cet ouvrage à présenter
«Les débats sur la dette publique ».
Pour Grégory N. MANKIW, « Tous les États ont une certaine dette, mais l'importance de celle-ci varie considérablement d'un pays à l'autre. Si
le niveau de la dette de l'État fédéral américain est tout à fait normal en comparaison internationale, on ne peut que remarquer sa forte croissance au cours des deux
dernières décennies. (…). On voit que c'est à partir du début des années 1980 que sont apparus d'importants déficits, partiellement dus à la hausse des dépenses et
partiellement également à la baisse des recettes. En tout état de cause, dépensant plus qu'il ne gagnait, l'État américain a vu sa dette passer
de 34% du PIB en 1980 à pratiquement deux fois autant aujourd'hui » (64 % 1996).
Il constate qu’ « Il s'agit là de la hausse de la dette publique la plus élevée en temps de paix de toute l'histoire des
États-Unis. »
Cette situation inédite « a conduit tant les économistes que les responsables politiques à étudier de plus près
les impacts économiques de la dette publique. Certains, en effet, considèrent que des déficits budgétaires d'une telle ampleur constituent la plus grave erreur de politique
économique qui ait été commise depuis la grande dépression. Pour d'autres, au contraire, les déficits n'ont pratiquement aucune importance. »
Le chapitre 16 est intitulé «Les débats sur la dette publique ». Il permet d’aborder les diverses approches de
la dette publique dans la théorie économique.
Dans un premier temps, Grégory N. MANKIW nous présente l'interprétation traditionnelle de la dette publique, « selon laquelle l'emprunt
public réduit l'épargne nationale et évince l'accumulation du capital. La plupart économistes continuent de la défendre… »
Dans un second temps, il nous propose « l'approche dite de l’équivalence ricardienne, avancée par certains économistes, peu nombreux, mais
très influents. Pour eux, la dette publique n'a aucun impact sur l'épargne et sur l'accumulation du capital. »
Grégory N. MANKIW nous montre que « ces interprétations différentes de la dette publique ont pourorigine les désaccords
relatifs à la théorie de la consommation. La question centrale du débat sur l’impact de la dette publique, en effet, est de savoir
comment la politique budgétaire affecte les dépenses de consommation. »
Pour analyser les effets des déficits public et de la dette publique sur l'économie, il faut savoir « si les consommateurs tiennent compte
exclusivement du court terme ou si, au contraire, ils anticipent l'avenir, s'ils sont contraints ou non par des restrictions de crédit, et nous devons tenir
compte d'autres aspects encore de leur comportement. »
L'approche traditionnelle de la dette publique
Pour mettre en évidence les effets d’un accroissement des déficits budgétaires et donc de la dette publique, Grégory N. MANKIW utilise la distinction entre les
impacts de court terme et les incidences à long terme.
Selon cette approche traditionnelle de la dette publique, une politique de réduction de la fiscalité sans réduction simultanée des dépenses publiques va se traduire
à long terme par une hausse de l’emprunt public et une stimulation des dépenses de consommation, laquelle va provoquer une réduction de l'épargne nationale.
« Cette baisse de l'épargne accroît le taux d'intérêt, ce qui tend à évincer l'investissement. »
Dans le cadre du modèle de croissance de Solow, le « niveau réduit de l'investissement provoque, en dernier ressort, un stock de capital
stationnaire moins élevé et donc une baisse des quantités produites. L'économie démarrant dorénavant avec un capital moindre que le capital stationnaire correspondant à la règle d'or, la
consommation doit nécessairement diminuer, entraînant une perte de bien-être économique. »
L’analyse des effets à court terme de cette politique budgétaire de réduction des impôts avec accroissement du déficit budgétaire,
va se traduire, en l'absence de modification de la politique monétaire, par une hausse de la demande globale. De plus, les prix étant rigides à court terme,
« l'expansion de la demande globale accroît la production et réduit le chômage. » « Mais, à mesure que le temps passe, et que donc, les prix s'ajustent, l'économie revient à
son taux de production naturel et la demande agrégée plus élevée suscite une hausse du niveau des prix. »
En économie ouverte, c'est-à-dire compte tenu des effets des échanges internationaux de biens et services, « la baisse de
l'épargne nationale provoque un déficit commercial. Même si l'entrée de capitaux étrangers réduit l'impact de la nouvelle politique budgétaire sur l'accumulation du
capital, les États-Unis doivent davantage emprunter à l'étranger. La réduction fiscale provoque, par ailleurs, une appréciation du dollar qui rend les biens
étrangers moins chers aux États-Unis et les biens américains plus chers à l'étranger. (…) cette « appréciation du dollar et la baisse des exportations nettes
réduisent l'impact expansionniste à court terme de la nouvelle politique sur la production et sur l'emploi. »
En résumé, une politique budgétaire expansionniste se traduisant par une réduction des impôts financée par l'emprunt public peut stimuler les
dépenses de consommation à court terme. Cela peut être favorable, in fine, à la croissance économique et à l’emploi. Cependant, la hausse des taux d'intérêt suscitée par l’accroissement
de l’emprunt public (lequel rend rare le capital financier disponible pour les investisseurs privés en réduisant l'épargne disponible), tend à décourager l'investissement et à attirer les
capitaux étrangers. Le dollar a tendance à s’apprécier par rapport aux devises (monnaies) étrangères, ce qui affecte négativement la compétitivité des entreprises américaines sur les marchés
internationaux.
À long terme, cette baisse de l'épargne nationale va provoquer une réduction de la croissance du stock de capital productif (ce qui est défavorable à la croissance
potentielle) et une hausse de l’emprunt à l’étranger, c’est à dire de la dépendance à l’égard des investisseurs étrangers. Enfin, on risque d’observer une accélération de l’inflation.
Le partage des effets de cette politique budgétaire, se traduisant par un creusement du déficit budgétaire et une hausse de la dette publique,
entre les générations présentes et futures est difficile à établir.
La hausse de la consommation présente à t-elle pour contrepartie une baisse de la consommation future ? L’accélération de la croissance présente sera-t-elle
plus que compensée par un ralentissement de la croissance future ? La baisse de l’impôt aujourd’hui conduira-t-il, ipso facto, à une hausse de l’impôt futur ?
Il est donc difficile d’aboutir à une conclusion claire, à partir de cette première approche, quant aux effets d’un accroissement de la dette publique sur le
bien-être respectif des générations présentes et futures. Grégory N. MANKIW nous présente donc l'approche ricardienne de la dette publique.
L'approche ricardienne de la dette publique
Cette approche s’inscrit dans le cadre des théories modernes du comportement du consommateur, telles que la théorie du revenu permanent de Milton
FRIEDMAN et la théorie du cycle de vie de Franco MODIGLIANI. Le consommateur est supposé rationnel et tourné vers l’avenir. Autrement dit, face à une
réduction d’impôt présente compensée par une hausse de l’emprunt présent, il ne va pas seulement considérer l’impact que cela peut avoir sur sa consommation présente, mais il va
anticiper (rationnellement) l’impact de cette mesure immédiate sur la fiscalité future.
Il en déduit qu’une réduction de la fiscalité financée par une hausse du déficit budgétaire et de la dette publique ne peut être que transitoire. Une hausse des
impôts futurs viendra inévitablement compenser la baisse présente accompagnée de l’endettement accru présent.
En conséquence, selon le principe de l’équivalence ricardienne, une réduction de la fiscalité dans le présent est sans effet sur la consommation
présente. Au contraire, elle va provoquer une hausse équivalente de l’épargne privée présente qui va venir compenser la baisse de l’épargne publique. Le consommateur réalise donc un choix de
consommation intertemporel dans la mesure ou sa contrainte budgétaire est intertemporelle.
Pour le consommateur, une hausse de l’endettement public présent est équivalente à une hausse d’impôt future. La substitution de la dette publique
à la fiscalité n’est qu’un leurre.
Dans un tel cadre, seules les baisses de la fiscalité qui s’accompagnent de réduction des dépenses publiques immédiates, ou à venir, sont susceptibles de relancer
la consommation présente.
Ces théories établissent donc un lien entre impôt présent et dette publique mais également entre impôt futur et dette publique actuelle.
Le débat sur la dette publique est donc aussi un débat sur le comportement du consommateur. Mais le débat sur le comportement du
consommateur est un débat sur la rationalité supposé des comportements de celui-ci.
Dés l’instant ou l’hypothèse de rationalité des consommateurs est levée, l’équivalence ricardienne ne tient plus. Si les agents économiques sont
supposés myopes, ils ne décident plus de leur consommation présente en fonction des impôts futurs.
Sous cette condition de myopie relativement à l’avenir, une réduction fiscale financée par la dette publique peut entraîner une hausse de la
consommation présente… comme le dit la théorie traditionnelle de la dette publique.
De surcroît, la théorie du revenu permanent, qui peut servir de fondement à cette approche ricardienne de la dette publique, peut être remise en
question par l’existence éventuelle de situation de type restriction de crédit. En fait, un agent économique n’ayant pas accès au crédit ne pourra fonder ses choix de consommation que sur ses
revenus présents. Il ne peut consommer que son revenu courant.
NB : Selon l’hypothèse du revenu permanent, la consommation ne dépend pas seulement du revenu courant mais du revenu permanent, soit la somme du revenu
courant let le revenu futur anticipé.
Encore une fois, dans ce cadre, l’équivalence ricardienne n’est pas vérifiée et une réduction de la fiscalité, en réduisant l’impact de la restriction du crédit
peut se traduire par une hausse de la consommation présente malgré un endettement public accru.
Altruisme versus égoïsme intergénérationnel
Enfin, la théorie ricardienne de la dette publique peut être rejetée à partir de l’hypothèse que l’on fait sur la manière dont les
générations présentes vont considérer les générations futures.
Si les générations présentes considèrent que le relèvement de la fiscalité future, conséquence de la baisse de la fiscalité présente financée par la dette, concerne
les générations futures, elles vont consommer et non épargner dans le présent. Dans ce cas là, il y a un transfert de richesse des générations futures qui paieront plus d’impôts vers les
générations présentes, lesquelles se vient payer l’amélioration de leur bien être par leurs descendants. On retrouve alors les conclusions des théories traditionnelles de la dette
publique.
Robert BARRO conteste cet argument en faisant l’hypothèse d’un altruisme intergénérationnel qui conduit les familles présentes à se préoccuper du
bien être des générations futures, leurs enfants… Dans ce cadre là, ou les familles et les agents qui les composent ont un horizon temporel long, on retrouve les conclusions des théories
ricardiennes car une baisse d’impôts, financée par l’emprunt, n’accroît pas le revenu permanent de la famille présente, laquelle préfère épargner pour que ses enfants puissent faire face à leurs
impôts futurs.
Le niveau de consommation des générations présentes n’est donc pas amélioré au détriment de celui des générations futures.
Pour conclure l’exposé sur les théories de la dette publique, Grégory N. MANKIW insiste sur deux points essentiels en ce qui concerne les effets de
la dette publique.
Il n’est pas simple de dire laquelle des deux approches théoriques doit être retenue, privilégiée, ni pour quelles raisons. « Au fond des choses,
le débat entre approches traditionnelle et ricardienne de la dette publique est un débat sur le comportement des consommateurs. Ceux-ci sont-ils rationnels ou myopes ? Sont-ils
confrontés à un rationnement du crédit ? Des héritages altruistes les lient-ils économiquement aux générations futures ? L'interprétation qu'ont les économistes de la dette publique est fonction
de leurs réponses à ces diverses questions. »
Il ajoute que les données empiriques à notre disposition ne permettent pas de trancher dans la mesure ou l’examen des épisodes de grands déficits budgétaires ne
donnent aucun résultat incontestable.
« Prenons, par exemple, l'expérience des années 1980. Les importants déficits budgétaires provoqués alors partiellement par la réduction
fiscale de Reagan en 1981 semblent nous offrir un champ d'expérimentation naturelle pour vérifier les deux approches de la dette publique. À première vue, cet épisode semble incontestablement
appuyer l'interprétation traditionnelle. Les déficits budgétaires importants sont allés de pair avec une faible épargne nationale, des taux d'intérêt élevés et de grands déficits commerciaux. On
ne s'étonnera donc pas que les tenants de l'approche traditionnelle de la dette publique font fréquemment référence à cette expérience des années 1980 pour asseoir leur
position.
Les partisans de l'hypothèse ricardienne de la dette publique interprètent pourtant ces mêmes événements de
manière totalement différente. Ils suggèrent que la faiblesse de l'épargne au cours des années 1980 peut être imputée à l'optimisme des gens quant à la croissance économique future,
comme semble le confirmer la forte expansion contemporaine du marché boursier. Une autre raison de la faiblesse de l'épargne peut être trouvée dans la conviction des gens que, comme l'affirmait
le président Reagan, la réduction fiscale n'entraînerait aucune hausse future des impôts, mais bien une réduction des dépenses publiques. La difficulté d'écarter l'une ou l'autre de ces
interprétations permet à chacune d'entre elles de survivre. »