Eh bien, je n'ai pas été surprise d'apprendre que cet auteur étudie en théâtre en lisant la quatrième de couverture, une fois ma lecture terminée. J’y ai trouvé une essence théâtrale, par les personnages forts, mystérieux, étranges, pour la tension dramatique qui sous-tend chaque tableau. Et un côté nettement décalé entre la réalité et le fictif. Un peu comme si on se regardait vivre, pleurer, rire, créant un décalage comme dans les films. Et finalement ce qui m'a semblé être des symboles, par exemple, celui des boules que l'on secoue pour y créer de la magie est très présent.
C’est l’histoire de deux enfants, un garçonnet hydrocéphale (j’ai pris cette info sur la quatrième, je ne l’ai pas saisi en lisant) et sa petite amie et cousine, Jade. Celle-ci est aveugle, en fait elle n’a pas de yeux du tout, et est affublée, pauvre elle, d’un père complètement borné qui, de génération en génération se relaie le rêve d’une vie : conduire des grues. Donc, c’est réglé, pas d’école pour cette petite puisque le seul horizon possible est le maniement de manettes... et comme elle ne voit pas, peine perdue, vie fichue.
Une tendre complicité unit ces deux enfants qui nagent dans un monde d’enfance étrange, empreint de peurs, de mystères, et de ces fortes interprétations de la réalité. Le garçon adapte sa vision pour Jade, lui offre un monde embelli. Par amour pour elle, il désire qu'elle voit du beau, du magique. L’auteur nous amène à la frontière étroite rasant le réel et l’imaginaire. C’est poreux ; on chavire dans un ou dans l’autre. Ça peut donner un peu de vertige, le sol de la réalité se dérobe parfois.
Ce que j’ai cependant trouvé le plus étrange est la projection de la mère sur son fils : il ne sera pas un écrivain, il est un écrivain, j’ai eu l’impression bizarre que le présent s’imbriquait dans le futur. Elle va jusqu’à laisser libre une place dans la bibliothèque pour ses futures œuvres. C’est trouble, nébuleux, malsain cette attention et ambition que cette mère prête à son fils. Tout est excessif dans cette histoire. Un fait est resté dans le brouillard pour moi et c’est la relation de la mère avec Émile Ajar, son locataire qui vampire la vie de la mère et du fils ; est-il ou pas le père du garçon ?
Ce que j’ai préféré est la relation des enfants entre eux. L’ambiance est forte et convient à l’étrangeté. On s’y attend avec des enfants. Avec les adultes, c’est spécial, suis-je arrivé à vraiment m’adapter ? Ce roman ouvre les vannes de l’imaginaire, alors les amateurs de réalités terre à terre, abstenez-vous ! Par contre, ceux qui aiment les symboles, les métaphores, les excès, l’onirique, on peut aller jusqu’à dire la poésie, vous serez plus que servis, vous serez comblés.
Thème très bien abordé de l'enfermement dans lequel nous projette la pauvreté de notre vision. J’ai apprécié, par contraste avec l’étrangeté, que la plume soit alerte, habile, précise. Je suis certaine que ce n'est pas le dernier roman de cet auteur.
Sophie Cadieux a adoré !
Pleurer comme dans les films, Guillaume Corbeil, Leméac, 151 p.