La séance de ce jour du Bureau National du PS marque le coup d’envoi des présidentielles, et pour commencer le départ de la réflexion chez les socialistes, et à gauche, sur les primaires. Puissant outil de transformation de la politique pour les uns, moyen de faire émerger un Obama français pour les autres, le concept soulève autant d’espoirs qu’il est polysémique. Il y a primaires et primaires, et on obtient un processus à la forme et au résultat très différents selon que l’on apporte une réponse, ou une autre, à 5 questions-clés.
(1) Qui participe ?
La France n’est pas les États-Unis, où la « gauche » est représentée par un seul parti. Prétendre rassembler largement le peuple de gauche dès le premier tour pose la question du rassemblement des partis de gauche. Et donc celle de la définition de la gauche. Est-ce uniquement la gauche de gouvernement, ou faut-il au contraire s’étendre jusqu’à la gauche dite radicale ? Et à l’autre extrémité du camp « progressiste », comme on dit quand on veut embrasser tout le spectre de l’antisarkozysme, faut-il tenter d’aller accrocher des centristes, ou des gaullistes sociaux ? La question peut paraître spécieuse dans les deux cas : après tout, viendra qui voudra venir. Mais ce pragmatisme est insuffisant : il est toujours possible, par une négociation programmatique et/ou par une répartition d’investitures, de tendre la main à des formations ou à des individualités qui ne feraient pas le premier pas d’elle-même. Admettons que cela soit possible, est-il souhaitable d’avoir un seul candidat de tous les antisarkozystes dès le premier tour, au risque de le priver de réserves de votes pour le second ? Ou au contraire, est-il préférable d’avoir plusieurs candidats pour les différentes familles progressistes, capables de drainer d’importants renforts de voix au second tour en faveur du candidat arrivé en tête au premier ?
Si l’on tente effectivement de ratisser large dès le premier tour, encore faut-il avoir des compensations à offrir aux partis qui acceptent d’abandonner la source d’exposition et de financements que représente la présidentielle. Ce qui nécessite une réflexion sur un accord de répartition des financements, donc, mais aussi des postes dans la campagne (porte-parolat …), et enfin des investitures pour les législatives, comme Daniel Cohn-Bendit et François Hollande l’avaient déjà esquissé. Et pourquoi ne pas envisager de faire concourir un ticket candidat à la présidentielle + premier ministre putatif (issu d’un autre parti), pour pleinement représenter toute la diversité des soutiens à la candidature ?
(2) Qui concourt ?
Qui dit primaires dit candidatures relativement nombreuses. Qui peut y prétendre ? Faut-il, d’abord, être membre d’un des partis organisateurs, ou bien peut-on laisser concourir une personnalité issue de la société civile particulièrement populaire (sportif, intellectuel, artiste …), et jugée à même d’accroître l’écho et l’aura du processus ? Question d’autant plus prégnante dans le cas hypothétique de la candidature d’une figure syndicale ou associative, qui interrogerait d’ailleurs la possibilité laissée, ou non, à des associations ou mouvements de participer en tant qu’organisateurs (à côté des partis) à ces primaires. Le sigle de RESF ou de la CGT pourrait-il figurer sur l’affiche d’un candidat rassemblant partis et mouvement social ?
Vient ensuite la question du nombre de soutiens nécessaires pour avoir le droit de participer, et de leur nature. Exiger un nombre de « signatures » élevé, et appartenant à des élus ou dirigeants politiques, conduit à favoriser des candidatures du sérail. Baisser le seuil, et accepter que des pétitions de citoyens puissent tenir lieu de ticket d’entrée, permet au contraire l’émergence de figures nouvelles.
(3) Que fait-on pour les rendre attractives ?
Avoir des partis et des candidats c’est bien, avoir des centaines de milliers de Français qui se pressent pour voter et soutenir leur(s) candidat(s), c’est encore mieux. Or les adhérents à 20 euros du PS en 2006 ne s’étaient comptés « que » par dizaines de milliers. Comment rendre les primaires plus attractives ? La motivation peut venir par l’association, à savoir par le degré d’implication des adhérents dans l’élaboration de la campagne des (puis du) candidats, et des (puis du) programme. Que la démocratie participative de Ségolène Royal en 2007 ait été trop tardive ne veut pas dire qu’il faille en abandonner le principe … Autre facteur de motivation, l’existence de vrais enjeux dans le processus de désignation. Enjeux idéologiques (les candidats incarnent-ils des visions politiques réellement différentes ?), enjeux personnels (a-t-on le choix entre des présidentiables aux styles différents ?), enjeu, enfin, d’incertitude (y a-t-il un vrai suspens dans la primaire, ou est-elle fermée d’emblée par un accord de « cartel » entre les principaux protagonistes ?). Une primaire impliquant peu ses électeurs, et n’offrant qu’un choix de façade entre candidats sensiblement identiques, avec pour agrémenter le décor quelques outsiders exotiques mais sans vraie chance de gagner, risque de peiner à trouver son public.
(4) Quel rapport au parti organisateur ?
Les primaires partiront du PS, parti qui aura la responsabilité d’en constituer la colonne vertébrale. La vie interne du PS – et donc son prochain congrès, qui devrait normalement avoir lieu courant 2011 – aura donc un fort impact sur le déroulé de la désignation. Quand aura effectivement lieu le congrès : avant, après les primaires ? Un congrès pré-primaires aurait pour avantage de réaffirmer une ligne politique du PS avant le début de la compétition, et donc de le protéger contre une présidentialisation totale. Mais il aurait aussi pour effet pervers de fausser la primaire, en en constituant un vrai-faux premier tour déterminant (sauf retournement spectaculaire, on voit mal comment la force victorieuse du congrès pourrait être battue à des primaires se déroulant quelque semaines plus tard). Inversement, un congrès post-primaires consisterait probablement en une simple validation de leur résultat, et offrirait le PS à leur vainqueur, achevant la présidentialisation du parti. Remarquons au passage que dans ces deux cas de figure, il reste toujours le risque, aussi minime soit-il, de primaires et d’un congrès couronnant des responsables politiques différents, et donc d’une réédition de la situation de 2007, avec un parti et une candidate ne jouant pas vraiment la même partition. Tout ceci pourrait plaider pour une troisième solution, un congrès socialiste après la présidentielle. Mais cela ne laisserait-il pas un parti exsangue et vidé de sa substance, trop longtemps administré suivant les équilibres d’un congrès de Reims depuis des lustres caduc ?
(5) Quel calendrier ?
C’est peut-être la question maîtresse. Elle se résout en deux critères : la durée, et la date. Des primaires précoces font prendre le risque de produire un candidat qui s’use en attendant durant de longs mois le vrai scrutin, perdant progressivement l’attrait de la nouveauté et la curiosité et l’enthousiasme qu’il avait initialement suscités. Des primaires tardives, inversement, n’offrent pas le temps nécessaire pour réconcilier les différents concurrents et imposer la candidature dans le paysage national. Confere, là encore, 2007. Et leur durée ? Des primaires longues, avec de nombreux tours et d’encore plus nombreux candidats, peuvent donner le sentiment aux Français d’une gauche ravagée par des conflits d’égos, se mettant en scène dans d’interminables débats. Mais des primaires trop courtes présentent deux défauts majeurs : d’une part, elles ne donnent pas le temps aux Français (et particulièrement à ceux qui s’inscrivent pour voter) de pleinement s’y associer ; d’autre part, elles ne donnent pas la chance à des candidats peu connus d’émerger au gré des débats et mobilisations, sanctifiant d’une certaine manière l’état de l’opinion tel qu’il est au début du processus. Autant de problèmes, on l’a vu, pour l’attractivité du dispositif.
Les militants socialistes, quand ils liront et débattront le rapport d’Arnaud Montebourg, auront à prendre en compte tous ces paramètres, s’ils souhaitent organiser des primaires qui tiennent réellement toutes leurs promesses.
Romain Pigenel