Renouveau éthique de l’âge postmoral

Publié le 01 juin 2010 par Politicoblogue

Dans Le crépuscule du devoir (1992), G. Lipovetsky pose les conséquences d’un renouveau éthique alimenté par l’érosion des repères moraux de la civilisation moderne. Il développe son argumentaire autour de l’idée de la technologie sans limites et la difficulté d’ériger quelques remparts pour baliser ses excès démiurgiques. Pour Lipovetsky, la pierre angulaire du glissement vers le renouveau éthique de l’âge postmoral suit le Code Nuremberg de 1947 (230-231).

Ce code fut développé en réaction aux technologies de l’Allemagne nazie de purification du génome humaine rendue effective par l’avènement d’une techno-science au service de cette finalité. Essentiellement, il vise à modérer la médecine moderne et trois articles sont particulièrement importants à cet effet, selon Lipovetsky (228-237). Le premier se réfère à la notion de consentement; le second oriente la visée expérimentale par l’obligation d’avoir des résultats pratiques pour le bien de la société; le dernier oblige les expérimentations à envisager l’interruption de ses activités à tout moment, s’il y a une raison de croire que sa continuation est une menace pour le ou les sujets expérimentaux.

Plus tard, la Déclaration d’Helsinki de 1964 viendra parachever le code Nuremberg en introduisant la possibilité d’expérimenter sur des sujets inaptes psychologiquement ou physiquement, avec toutefois consentement des autorités tutrices. Ces deux caractéristiques fondamentales à l’âge postmoral illustrent clairement cette volonté de limiter le danger de la perte des repères moraux en fixant des normes humanistes pour baliser les dérives scientifiques (228-229). Lipovetsky met alors en lumière deux notions particulièrement importantes à l’égard de cette nouvelle vocation politique qui cherche à encadrer le vivant pour préserver la vie en contrôlant la mort.

Premièrement, les clauses de consentement du Code Nuremberg et de la Déclaration d’Helsinki abandonnent l’idée du paternalisme éthique en vertu du principe d’équilibre entre « respect de la personne et exigence de la recherche » (230). Ces principes déontiques ont le mérite de traduire la sagesse des Lumières afin d’établir les limites de l’acceptable lorsqu’il est question de dignité humaine. Ainsi, ces clauses sont véritablement issues de cette volonté éthique postmoraliste du respect des normes humanistes en érigeant des barrières aux risques par l’introduction d’un double impératif qui « refuse de transformer l’homme en pur cobaye mais tout autant de se priver d’un moyen nécessaire au développement du savoir et à l’utilité collective » (232). Par conséquent, c’est en se remettant à une sorte de calcul effectif des coûts et bénéfices que ce postmoralisme bioéthique cherche cet équilibre parfait entre les exigences déontiques et scientifiques.

Ensuite, Lipovetsky aborde l’avancement de la démocratisation de l’éthique par l’avènement des comités dont la décision est souveraine du conseil médical. Cet aspect dénote « un pas supplémentaire dans le processus de sécularisation de la morale » (235). La démocratisation ouverte réduit considérablement l’autorité morale traditionnelle et permet l’avènement d’une éthique discursive entre le corps médical, la classe politique, l’éthicien et le citoyen (233-237). L’aspect positif de cette sécularisation permet ainsi la mise en place d’une morale qui tend de plus en plus à faire consensus dans un contexte éthique où les sujets moraux sont individualisés (86). Nous aurions ainsi tort de se tourner vers l’idée d’un éclatement totale des possibilités de consensus moraux dans une société néo-individualiste, car « partout des limites et des règles sont exigées, partout les grands référentiels autrefois véhiculés par la morale personnelle, le travail, l’hygiène, le respect et le développement de soi rebondissent d’une autre manière, mobilisent les passions et préoccupations subjectives » (57). Par conséquent, la société moderne n’est pas totalement dépourvue de repères moraux. Il y a encore consensus autour de certaines valeurs communes.

Pour résumer, le renouveau éthique de l’âge postmoral nous démontre à quel point « la culture individualiste contemporaine n’est pas synonyme de barbarie » (95). Au contraire, elle représente un véritable progrès social en ce qui a trait aux droits humains (98). Il n’en demeure pas moins que pour Lipovetsky ce glissement éthique vers une morale émotiviste des droits subjectifs individuels implique de nouveaux défis qui peuvent susciter un sentiment de nostalgie pour l’ancienne morale.

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