Jean LOMBARD 1854-1891

Par Bruno Leclercq

La Direction et la Rédaction de la France Moderne ont la douleur de faire part à leurs confrères, amis et abonnés, de la perte cruelle qu'elles viennent de faire en la personne de

M. Jean LOMBARD

Homme de Lettres

Rédacteur en Chef de la France Moderne,

décédé le 17 juillet 1891, en son domicile, rue de la République, 23, à Charenton (près Paris)




En juillet 1891, mourrait Jean Lombard, dans son numéro 42 du 23 juillet au 6 août, La France Moderne (1), dont il était le rédacteur en Chef, lui rend hommage. Laurent de Gavoty, rappelle qui fut l'auteur de Byzance et l'Agonie, sa difficulté à se faire une place dans les lettres parisiennes, ses déboires avec les grands journaux. "Wagner de l'histoire", il avait du "couper la queue de son chien", abandonner son "style, nerveux et bizarre", écrire plus clairement, se rendre audible à la foule. Politiquement, Gavoty le dit "libéral et tolérant", croyant à un dieu inconnu, attendant de l'église qu'elle accepte le socialisme, à peine son ami mort il écarte des idées de Lombard "ce qui nous paraît excessif pour n'en adopter que ce qu'elles ont de généreux et de réalisable", d'un anarchiste, Gavoty fait un socialiste. Il cite une lettre de Paul Margueritte (2), qui dans l'Echo de Paris lance une souscription en faveur de la veuve de Lombard et de ses enfants.
(1) La France Moderne, Marseille, 1889-1893. Bi-mensuel. Secrétaire Général : Pierre-Marius André. Correspondant à Paris : Robert Bernier.
(2) Margueritte qui préfacera la réédition de
L'Agonie en 1901.
J. F. Malan, désormais l'aîné de la rédaction de la France Moderne donne en page deux du même numéro le texte qui suit :

Après notre directeur, il m'incombe, à moi l'aîné aujourd'hui, hélas ! Des rédacteurs de ce journal, un douloureux devoir. Il m'incombe de parler encore à nos collaborateurs, à nos amis, à ceux fidèles qui suivent la France Moderne et la veulent vraiment littéraire, toujours à l'avant-garde, avec des vues larges, hautes et saines – de Jean Lombard...

Ah ! Que terrible est le coup frappé au milieux de nous par la mort aveugle et fantasque ! Qui nous aurait dit, il n'y a pas deux mois, alors que Lombard nous entretenait encore dans une lettre toute vibrante de foi en l'avenir que nous aurions sitôt à écrire sur lui un article nécrologique ? Qui m'aurait dit que le papier préparé pur une étude sur le Volontaire de 92, recevrait ces lignes hâtives et décousues, témoignage indigne mais sincère de l'amitié qui m'unissait à Lombard ?...

Ah ! Oui la vie est dure !...

C'était lui, Lombard qui nous conduisait tous, qui, tout en nous laissant absolument libres de notre allure, de nos amours et de nos haines, resserrait par son autorité, par son amitié dévouée et chaude, surtout, les liens qui unissent les tempéraments si différends des écrivains de ce journal. C'était lui qui, au-dessus des luttes de systèmes et d'écoles, faisait converger nos efforts – si variés, si divers – vers le but commun à tous : l'Art.

Il ne me paraît pas nécessaire, aujourd'hui du moins, de parler de l'œuvre de l'ami disparu. D'ailleurs, l'émotion qui m'étreint m'empêcherait de faire ressortir la puissance d'évocation, la variété de style et d'images, l'énergique abondance des verbes que le pauvre Lombard avait au service de sa plume vaillante et féconde. Ce que je pourrais dire serait peu digne de l'auteur de l'Agonie, Byzance, Loïs Majourès, Adel, des Chrétiens, etc. ; mais je me réserve d'écrire, après l'apparition du Volontaire de 92, plus qu'à moitié imprimé, une étude complète sur Lombard : étude qui, je l'espère, ne sera pas seulement une esquisse bibliographique, mais une analyse raisonnée, exacte, juste, dépouillée de fioritures, de l'œuvre de notre rédacteur en chef. Je tacherais d'indiquer dans ces futures pages les tenants et les aboutissants de son esprit chercheur et sagaces, avide de tout ce qui est manifestation du grand du beau, de tout ce qui peut faire plus grand l'Art français, et en élargir encore surtout la vision déjà si complexe et si large.

Je dois bien aussi parler un peu de l'Homme qui fut notre ami. Méritant, il l'était, à tous les points de vue. Parti de bas – Lombard, jusqu'à 25 ans, avait gagné son pain quotidien comme ouvrier bijoutier – nous le voyons se livrer à l'étude des problèmes ardus que pose à l'intellect humain, la question Sociale. Avant de rêver la gloire pure et plus haute de la littérature, Lombard eut l'intention de devenir un homme politique. Avec un acharnement de travail qui lui avait permis d'acquérir de profondes connaissances en Science Sociale. Lombard fit de la politique et il est de ceux à qui le socialisme doit le plus dans son organisation pour le Midi. Mais il se découragea. Trop d'appétits féroces l'entouraient, trop de petitesses, de mesquineries, rôdaient, quêtant la faveur populaire. Lui, l'esprit élevé, qui voulait la Science Politique – qui la connaissait – ne pouvait vraiment s'accommoder de la façon dont les illettrés, les ignorants, les braillards – ceux qui réussissent malheureusement – font de la politique aujourd'hui. Et il redevint – et il devint plutôt – exclusivement écrivain littéraire – et se plongea plus avant dans l'étude qu'il aimait tant...

Que de fois j'ai gravi les rampes abruptes de la colline de la garde, pour aller causer avec lui !... Que de longues promenades j'ai faites à ses côtés dans les rues grouillantes de la grande cité phocéenne, marchande, si vivante, si belle pour ceux qui la connaissent bien et qui l'aiment. Lombard l'aimait, sa Marseille ; et s'il l'a quitté pour aller à Paris, c'est qu'il était très convaincu – et c'est bien vrai, malheureusement – qu'il faut aller à Paris, se tremper dans les bains de brume, vivre de la vie enfiévrée de là-haut, pour sortir de l'ornière. Il savait bien que, si on a quelque chose dans le ventre – ne serait-ce que de l'aplomb – ce n'est qu'à Paris que l'on peut percer, que l'on peut en guère de temps se faire une place au soleil. Ici nous végétons des années, des années, toujours inconnus, astreints à des besognes qui répugnent aux âmes d'artistes et qu'il faut accomplir – parce qu'il faut, hélas ! Manger, et élever ses enfants...

Ah ! Paris ! Paris !... qui comptera les victimes que tu as faits !... qui comptera les hommes jeunes et ardents, pleins de science et de vie, que tu as broyés après en avoir sucé le plus pur de leur être... ainsi si l'on pouvait te maudire, foyer où s'allume le flambeau intellectuel qui éclaire le monde dans sa marche lente et dolente avec l'avenir, comme je te maudirais !

Lombard, pauvre ami, est mort tué par le travail et l'hiver si rude que nous avons traversé, cette année. Une gastrite, une de ces maladies terribles qui pardonnent si difficilement et qui ne cèdent un peu qu'aux soins nombreux et au repos absolu, a terrassé en quelques semaines, cette superbe intelligence, ce vaillant écrivain bien jeune encore – 36 ans – à qui un avenir si beau était promis. Il est mort, mais l'œuvre qu'il a laissé et qui restera, est un exemple de ce que peuvent l'énergie, le désir, de monter, mis au service d'une volonté tenace, d'une intelligence peu commune, cet œuvre énorme pour un homme de 36 ans qui n'eut jamais de maîtres autres que celui qui lui apprît à lire, est une preuve que, s'il faut absolument aller à Paris pour se faire connaître, c'est en Province surtout que l'on travaille, que l'on produit, que l'on crée...

Maintenant que le robuste écrivain qui eût laissé, s'il eût vécu quelque dix ans encore, un nom connu de tous, dort l'éternel sommeil, maintenant que, de Lombard, il ne reste plus que les livres et le souvenir, je salue bien bas, moi qui la connaissais surtout, la vaillante compagne qui l'aida, qui le soutint dans le rude combat livré à l'indifférence dont sont entourés es débutants ; je m'incline devant cette douleur immense de veuve éplorée, restant seule avec trois enfants dont le plus jeune a deux ns, dont l'ainée à dix ans à peine...

Pauvre mère... pauvres petits !...

J. F. Malan

Voici la nomenclature de l'oeuvre de Jean Lombard

Livres achevés, publiés ou prêts à l'être :

Loïs Majourès, L'Agonie, Adel (La Révolte future) poème, Byzance, Un Volontaire de 92, le général Mireur, Les Chrétiens (drame en 3 actes donné au Théâtre d'Art à Paris)

Livres inachevés :

Le Celte (long poème où Lombard se proposait de synthétiser la marche de l'humanité), Communes ! Communes ! (synthèse sociale de la République d'Arles au XIIIe siècle, l'Affamé (roman socialiste contemporain où l'individu était mis aux prises avec la Société), Samoramide (drame assyrien, 1re époque de Ninive), Rédemption (drame en deux actes, donné au Théâtre Libre d'Avignon)