Pierre Alechinsky et l'écriture (par Alain Paire)

Par Florence Trocmé

 A l’occasion de l’importante exposition qu’il propose dans sa Galerie à Aix-en-Provence du 5 juin au 30 juillet, autour de la collaboration de Pierre Alechinsky avec l’éditeur Fata Morgana, Alain Paire rappelle le versant littéraire de l’œuvre du peintre.  
En voici quelques « preuves », avec des extraits de Rein, comme si de rien n’était, avec un extrait aussi de Autoportraits de Jacques Réda (Fata Morgana), dans le chapitre consacré à Pierre Alechinsky 

Trois extraits de Rein, comme si de rien 
choix et présentation d’Alain Paire 

Né en 1928, le sculpteur Reinhoud d'Haese était membre du mouvement Cobra. Pendant les années cinquante, il exposa ses travaux en compagnie d'Asger Jorn, de Dotremont et d'Alechinsky. En mémoire de son ami décédé en 2007, Pierre Alechinsky a publié chez Fata Morgana, le 28 octobre 2009, un livre titré "Rein, comme si de rien", avec une eau-forte et des dessins de l'auteur faits d'après des mies de pain modelées par le sculpteur. 
« DES GOBELETS EN CARTON, VIDES DE YAOURT, formaient sur la table de cuisine un décor frontal à l'abri duquel, après le café du matin, Reinhoud absorbait un temps mort en mordillant entre ses doigts un peuple accueillant de lilliputiens glauques et rigolards. Sub-quadragénaires durant les trois-quarts des années soixante, nous partagions des ateliers dans l'ancienne école d'un village picard, où, pour peindre mieux que dans une chambre à Paris, je débarquais. Au-delà du rempart de gobelets, côté - absence de - public, progressaient les reliefs d'une autre consommation : un épandage de pelures d'oranges. Pas n'importe quelles pelures : des spirales selon le couteau et l'attention manuelle du sculpteur. Des modèles vivants dans tous les états propices à la contemplation. Sous le charme de cette multiplicité de courbes orangées et féminines, mon pinceau attendait son heure. Je repris différemment le dessin. Quant à mon camarade qui revendiquait de ne dessiner jamais, il se tailla un calame dans une écharde de vieux chêne. Bref, il se mit au dessin. 
... Un Prix, celui de la Jeune Sculpture Belge en 1957, lui permet enfin de respirer. Il quitte son gagne-pain et, plusieurs mois sans discontinuer, sculpte. D'abord à Sauvagemont en Brabant, dans une maison vide, puis dans un cabanon perdu dans la garrigue de Saint-Rémy-de-Provence. Les feuilles de cuivre et sa technique de carrossier lui offrent une mobilité, une souplesse d'exécution, surtout de possibles extensions que ni le bois ni la pierre n'autorisent. Il va pouvoir ... accélérer - si bien que son rythme journalier exprime une fringale. Par période, une fureur de sculpter : au lever du jour, il termine la sculpture commencée la veille au soir et entame la suivante à maîtriser le lendemain et ainsi de suite. Résultat : un peuplement de métal, du burlesque au tragique. Aubaine : parmi les découpes surnuméraires jonchant le sol, Rein (en flamand : pureté) choisira les formes d'élection qui inspireront des silhouettes traitées en deux dimensions. Ce sera le départ d'illustrations d'accompagnement pour des ouvrages de bibliophilie : Rabelais, Fabre, Jarry (ses lectures) et des inédits de Hugo Claus. » 
... « Je crois en sa sculpture. Je ne suis pas seul à y croire »... 
... 7 avril : « Hier à Bichat, cher Nicolas, j'ai tenu la main de mon vieux camarade abandonné à presque lui-même. Tu as soif ? J'ai humecté sa langue et suis reparti, il s'enfonçait dans le sommeil... Ce matin, pensant au grand boiteux que je croisais à La Cambre, je me suis mis à peindre entre anamorphose et anagramme les courbes qui nous étaient familières : Rein, comme si de rien ... » 

*** 

A propos des écrits de ce peintre, voici des extraits du chapitre Alechinsky d'un livre de Jacques Réda, récemment publié par Bruno Roy, Autoportraits :  
« ... De quels peintres dirions-nous sans hésiter qu'ils ont tracé, à côté de leur œuvre de peintre, une œuvre d'écrivain ? Je ne pense ni aux notes de Braque ni aux lettres de Van Gogh ni au journal de Delacroix. Car ce ne sont pas à proprement parler des œuvres littéraires, malgré leur valeur documentaire et leur charge d'humanité. On ne les lit vraiment que dans le rapport qu'elles entretiennent avec le peintre et sa peinture. 
Il me semble qu'il en va d'une autre manière pour les écrits d'Alechinsky. Il ne s'agit pourtant pas d'échantillons d'un genre (essais, récit, poème) tout indépendant de son métier... On ne les lit jamais sans se rappeler que l'auteur est un peintre, et ce peintre, mais un peintre qui possède les dons essentiels d'un écrivain. Et à tel point qu'il n'est peut-être pas indispensable, à mon avis, de connaître la peinture d'Alechinsky pour apprécier ses livres »... 
Si j'ai le droit de faire état de mon propre comportement de lecteur, je dirai qu'il est avec Ponge, et Perros, un de ceux dont la langue me restitue la saveur de la littérature en tant que lieu d'un libre et libérateur apprentissage moral. Ce qui bien sûr le ferait, dans sa barbe elle-même réservée, sourire ». 

Pierre Alechinsky, bibliographie. 

En 2002, une publication orchestrée à Anvers par Ceueleers & Van de Velde, avec le concours de Frédéric Charron, Patrice Cotensin et Yves Peyré, a recensé The complete books of Alechinsky. On ne s'aventurera pas à reproduire ici une aussi copieuse bibliographie... 
Puisqu'en 2002, dans cet inventaire d'ouvrages illustrés, on parvenait à un total de 553 livres, on devrait aujourd'hui en dénombrer une centaine de plus. Soixante d'entre eux ont été édités par Fata Morgana. Parmi ces soixante livres, voici ceux qu'Alechinsky a publiés en tant qu'auteur depuis Fontfroide le haut, près de Montpellier :   
Pierre AlechinskyRein, comme si de rien
2009 ‒ 32 pages ‒ 17 x 24 cm 
Julien Gracq & Joë Bousquet / Pierre AlechinskyAndré Breton
2008 ‒ 20 pages ‒ 18 x 23,5 cm 
Pierre AlechinskyLa chambre et l’atelier
2007 ‒ 24 pages ‒ 26 x 20 cm 
Pierre AlechinskyMots
2007 ‒ 8 pages ‒ 28 x 38 cm 
Julien GracqPlénièrement
suivi de Une journée chez Elisa par Pierre Alechinsky
2006 ‒ 40 pages ‒ 14 x 22 cm 
Pierre AlechinskyLa gamme d’Ensor
1999 ‒ 40 pages ‒ 14 x 22 cm. 
Pierre AlechinskyLieux et liens
1994 ‒ 8 pages ‒ 13 x 20 cm 
Pierre AlechinskyLa danse des petits pains
1994 ‒ 24 pages ‒ 24 x 32 cm 
Pierre AlechinskyL’avenir de la propriété
1992 ‒ 72 pages ‒ 14 x 22 cm 
Pierre AlechinskyA la maison de Balzac
1989 ‒ 48 pages ‒ 14 x 22 cm 
Pierre AlechinskyL’autre main
1988 ‒ 152 pages ‒ 14 x 22 cm 
Pierre AlechinskyEnsortilèges
1984 ‒ 96 pages ‒ 14 x 22 cm 
Pierre AlechinskyLe bureau du titre
1983 ‒ 96 pages ‒ 14 x 22 cm 
Pierre AlechinskyFar Rockaway
1977 ‒ 64 pages ‒ 12 x 21 cm 
Celui qui ne peut se servir des mots
1975 ‒ 152 pages ‒ 22 x 28 cm 
Pour les livres d'Alechinsky édités en tant qu'artiste chez Fata Morgana, on peut consulter ce lien 
Par Alain Paire