Par l’article 38, La loi HPST modifie les missions du pharmacien d’officine par ajout à la mission de dispensation au détail des médicaments, alors seule mission reconnue au pharmacien d’officine les missions [1] :
- la contribution aux soins de premier recours,
- la coopération entre professionnels de santé avec la possibilité de transférer des activité et actes de soins dans la limite de l’établissement de protocoles validés par les Agences Régionales de Santé,
- la permanence des soins,
- la participation aux actions de veille et de protection sanitaire,
- l’accompagnement et éducation thérapeutique des patients.
C’est dans le cadre de cette évolution juridique de la profession de pharmacien d’officine que le rapport Rioli a été écrit [2]. Ce rapport réunissant les représentations syndicales et ordinales des pharmaciens d’officine a pour objet de proposer un projet professionnel répondant à l’évolution de la profession de pharmacien d’officine dans le cadre de la loi HPST.
Les professions se doivent de répondre aux besoins de la société, c’est pourquoi elles ne peuvent pas être statiques. La proposition de la commission réunie par M. Rioli propose une pratique avancée de la pharmacie d’officine, qui s’inscrit dans le contexte de la pénurie des médecins tant au niveau national qu’au niveau des territoires.
L’évolution des pratiques professionnelles discutées s’organise essentiellement selon un mode d’expansion inter-professionnelle par substitution des tâches au détriment du médecin. C’est le cas pour la demande d’ouverture du droit de prescription concernant le premier risque pathologique mais également pour le suivi des maladies chroniques avec la demande de renouvellement de la prescription médicale avec possibilité d’adaptation posologique entre deux consultations médicales.
Le projet présenté dans le rapport Rioli suggère également de diversifier la pratique officinale par les entretiens pharmaceutiques. L’instauration de rencontres formalisées entre le patient et le pharmacien devrait permettre une nouvelle approche de la personne par pharmacien d’officine, répondant ainsi plus aux exigences des soins pharmaceutiques centrés sur le patient. Cette nouvelle façon d’offrir le service pharmaceutique doit permettre d’élargir le champ de la pratique officinale.
Cependant, la commission ne propose pas de modifier les pratiques professionnelles par spécialisation, avec par exemple l’intégration de la démarche de pharmacie clinique.
Avec l’élargissement des pratiques professionnelles par substitution est nécessairement génératrice de tensions avec les médecins puisque les pharmaciens annoncent vouloir acquérir des tâches (ie. la prescription des médicaments listés) appartenant à l’espace réservé des médecins. C’est ainsi que le président du Conseil National de l’Ordre des Médecins considère qu’accorder le droit de prescription aux pharmaciens constitue une plus grande menace pour la santé publique que la tombée du monopole pharmaceutique et l’arrivée des médicaments conseils dans les grandes surfaces. De même, diversifier son activité suppose changer de paradigme : en passant de dispensation aux soins pharmaceutiques, nous passons de technicien du médicament à soignant. Et cette évolution ne sera pas non plus évidente puisqu’elle suppose l’acquisition de compétences de relation à l’Autre et une remise en question du statut commercial de l’officine, qui me semble actuellement inconcevable par mes confrères. Je rappelle que juridiquement, le pharmacien d’officine est une profession libérale exerçant dans un établissement commercial [3].
Mais la loi HPST et le Rapport Rioli ont tendance à faire oublier une modification à mon sens plus profonde de la profession par processus de spécialisation par expérience. Cette évolution s’inscrit tout d’abord dans l’avènement de la spécialité pharmaceutique qui a fait passer le pharmacien d’officine du monde la préparation du médicament à celui de la Santé Publique par la distribution du médicament et la participation aux actions de prévention et de dépistage. S’ajoute à çà les différentes vagues de déremboursements des médicaments. Jusqu’à présent, à ma connaissance, le déremboursement d’un médicament n’avait pas entrainé son exonération, c'est-à-dire son délistage (ie. passage de médicament à prescription médicale à médicament disponible sans ordonnance). Jusqu’à présent nous avions simplement assisté à l’apparition de nouvelles spécialités en vente libre correspondant à des spécialités sur prescriptions toujours remboursées mais qui contenant moins de comprimés à l’intérieur. Les deux meilleurs exemples qui me viennent à l’esprit sont le Zyrtecset® et le Pantozol Control® ou Pantocol® qui ont des formes sur prescriptions toujours remboursées qui sont respectivement le Virlix® et génériques et l’Eupantol® ou l’Inipomp® et génériques. Or depuis le 11 mai 2010, pour la première fois c’est le déremboursement, plus exactement la baisse de remboursement à 15%, qui entrainent la décision d’exonérer (ie. d’autoriser la vente libre) un médicament : c’est le cas de la trimébutine dosée à 100mg qui sera désormais disponible sans ordonnance dans la limite de boitage de 2g [4]. Aucune spécialité ne correspond pour le moment à ces caractéristiques puisque le Débridat 100mg® et génériques contiennent actuellement 3g de trimébutine par boite. Mais il est raisonnable de penser qu’un médicament conseil correspondant aux caractéristiques d’exonération devrait bientôt apparaître.
Quel rapport avec la modification du métier de pharmacien ? Il faut rapprocher çà à l’autorisation faite au pharmacien de délivrer la pilule du lendemain, la dispensation de la pilule Alli®, à l’arrivée des Inhibiteur de la Pompe à Proton : en plus du pantoprazole disponible en médicament conseil, l’oméprazole (Mopral®) dosées à 20 mg et disponibles en conditionnements par 7 ou 14, ainsi que celles dosées à 10 mg et disponibles en conditionnements par 7, 14 ou 28, ne nécessitent plus de prescription médicale pour être délivrées [4]. Ce n’est pas la modification de l’organisation des soins avec la loi HPST qui fait évoluer la profession de pharmacien d’officine mais la politique de sécurité sociale et la loi du marché. Rappelons en effet que si le Zyrtec est en vente libre, c’est parce qu’il fut génériquable et que le laboratoire a dès lors décider de conquérir de nouvelles part de marché. Ce que je veux souligner par là c’est la dangerosité de ce processus d’évolution des pratiques professionnelles officinales par spécialisation par l’expérience car dans le cadre de l’officine ceci ne risque de se traduire que par un élargissement de l’offre de vente sans modification du rapport à la personne-patient.
Le développement des nouvelles missions du pharmacien d’officine ne peut se penser en dehors de la relation avec le patient et des relations avec les autres professionnels de santé. C’est pourquoi il requiert l’intégration du pharmacien d’officine dans le système de soins. Je le dis et le répète: le pharmacien n'est toujours pas un soignant! Évoluer parce qu’on a plus de médicament conseils à disposition ne force pas réfléchir à sa position dans le système de soin et à porter un regard critique sur sa pratique. Il n’y a qu’à voir l’échec cuisant de la dispensation de la pilule Alli® pour s’en convaincre. Avoir à disposition un médicament auparavant sur ordonnance (Alli®, Pantozol Control®) nous a-t-il permis d’évoluer par l’instauration dans nos officine des fameux Rendez-vous Santé ou entretiens pharmaceutiques décrit dans le Rapport Rioli ? Non.
En conséquence, j’ai bien peur que malgré toutes les lois, tous les rapports, la lente descente de la pharmacie d’officine vers l’épicerie ne soit inexorable.
Le monopole pharmaceutique ne se justifie que par la qualité de la dispensation. Il serait peut être temps que nous posions les bonnes questions au lieu de vouloir diversifier notre activité : faisons-nous déjà bien ce que nous devons faire ?
1. Loi n°2009-879 du 21 juillet 2009 dite loi HPST. (J.O. 22 juillet 2009 ).
2. Collectif. Le pharmacien dans le parcours de soins. Rioli M, editor.; 2009.
3. Collectif. Évolution des pratiques professionnelles en pharmacie d'officine. Académie Nationale de Pharmacie, editor.; 2005.
4. Arrêté du 11 mai 2010 modifiant l'arrêté du 22 février 1990 portant exonération à la réglementation des substances vénéneuses destinées à la médecine humaine (J.O. 20 mai 2010).