Madoff à la Santé, Sarko à l’Elysée ?

Publié le 31 mai 2010 par Variae

Est-il utile, est-il souhaitable, quand on est chef du premier parti d’opposition, et probable candidat à la présidentielle, de comparer le président en place à un escroc en col blanc d’envergure internationale, et de fustiger sa vulgarité ? Des propos de Martine Aubry, certes retirés de leur contexte, provoquent depuis 48H un concert de vierges effarouchées à droite, et des réactions quelque peu embarrassées à gauche. On peut sourire devant les noms des preux chevaliers qui se sont lancés au secours d’un Nicolas Sarkozy aussi silencieux que (probablement) ravi de cette occasion de se victimiser ; Nadine Morano ou Frédéric Lefebvre ne sont pas plus crédibles en champion de la dignité politique que Madoff en professeur de comptabilité.  On pourrait aussi rappeler à la droite les sorties d’un Raffarin sur les socialistes « qui préfèrent leur parti à leur pays », ou d’un Estrosi éructant sur l’humanité « de bigorneau » de Ségolène Royal. La liste est longue, et le ridicule, heureusement, ne tue pas.

Mais un certain malaise persiste. D’où vient-il ? Les attaques de Martine Aubry ne sont pas les plus dures que l’on ait entendues sur Nicolas Sarkozy, lui que Badiou traitait en 2007 « d’homme aux rats », ou que des humoristes comme Guillon brocardent régulièrement, jusque sur son physique. Les déclarations de la première secrétaire s’inscrivent même dans un registre de parole bien connu des militants et habitués de la politique ; ce qu’on appelle des propos de tribune, plaisanteries assassines, caricatures au lance-roquettes ou réaffirmation consensuelle des valeurs centrales d’un parti, pour faire plaisir à l’assistance et s’attirer des applaudissements nourris. Nicolas Sarkozy, croquemitaine absolu pour la gauche, est un « bon client » pour ce genre de sortie. Par ailleurs, l’exaspération qu’il déclenche chez tous les Français nettement engagés à gauche, militants, mais aussi syndicalistes, activistes, bloggeurs politiques etc. est telle que les excès verbaux à son égard peuvent plaire bien au-delà d’un meeting socialiste, et même attirer les faveurs de l’extrême-gauche. Pourquoi s’en priver ?

Mais – puisqu’au centre de tout cela réside l’envie de mettre un terme au séjour de Nicolas Sarkozy à l’Elysée – suffit-il d’agonir d’injures son adversaire politique, de fustiger sa malhonnêteté – fût-elle avérée – et sa « vulgarité » pour prendre le dessus sur lui dans une élection ? Les expériences malheureuses des Démocrates américains et italiens, face à Bush et Berlusconi, montrent qu’il n’en est rien. La radicalisation d’un camp contre le candidat adverse permet, justement, de sur-mobiliser ce camp, mais ne conduit pas automatiquement à faire se déplacer tous les abstentionnistes, ou à conquérir les électeurs indécis qui ne sont pas engagés dans un combat « pour » ou « contre » un candidat, mais simplement dans une tentative de voir clair sur les chances de chacun de bien gouverner le pays. Un électeur peu motivé, même s’il n’est pas content de la politique du pouvoir en place, ne trouvera sans doute pas beaucoup d’encouragement à aller voter s’il assiste à une guerre de tranchée à coups de noms d’oiseaux entre les forces en présence. Surtout quand elles reprennent les mots du populisme et du poujadisme, en traitant le camp adverse de voleurs et d’escrocs. Comment choisir entre bonnet blanc et blanc bonnet ? Au surplus, on rappellera que la malhonnêteté vérifiée de certains candidats, dans d’autres pays ou à d’autres élections, n’a jamais empêché de les faire élire. On ne gagne pas une élection sur un certificat de premier communiant ou un brevet d’élégance germanopratine. A nourrir tacitement ce type de calcul, le PS peut rester longtemps sur son trône de premier opposant.

Le plus inquiétant, dans ce faux-pas qui sera oublié demain, reste en réalité son tempo. C’est dans le discours de clôture de la convention du PS sur le nouveau modèle de développement, qui devait couronner le lancement de son projet économique et social, que cet écart de langage a eu lieu. C’est également, grosso modo, tout ce que les médias en ont retenu, hormis le fait que ladite convention avait eu lieu. On peut leur reprocher de ne pas assez se pencher sur le contenu des textes, on peut aussi crier à l’injustice, parce qu’ils sont loin d’être indignes et ouvrent des débats cruciaux sur l’industrie, l’écologie ou encore le protectionnisme. Mais il n’empêche : on n’a pas le sentiment qu’une ou deux grandes propositions économiques et sociales sont désormais clairement identifiées au PS dans l’opinion. D’une part, sans doute, parce que le peuple de gauche n’a pas suffisamment été associé à ces travaux, à leur élaboration; d’autre part, encore plus probablement, parce que de telles propositions ne ressortent tout simplement pas de ces textes. C’était d’une certaine manière prévisible, tant il avait été expliqué qu’il ne s’agissait ni d’un projet, et encore moins d’un programme, mais d’une « matrice » pour des propositions ultérieures. En réalité, on cherchait à produire un texte le moins contraignant possible pour les futurs candidats, et le plus conciliant possible pour les différentes tendances du PS. C’est assurément un acquis bénéfique pour la vie interne des socialistes. En est-il de même pour leur rapport au pays ? La réponse est dans la question.

Demain à la même heure, tous les esprits seront braqués sur l’organisation des primaires, et les porte-parole de l’UMP auront trouvé d’autres chats à fouetter. Ainsi va la vie médiatique. Mais la campagne présidentielle, quand elle commencera, offrira quotidiennement à la gauche des occasions de perdre ses nerfs. Si elle tombe à chaque fois dans le panneau, au risque de rendre inaudible son programme pour le pays, l’actuel locataire de l’Elysée (que l’on avait déjà traité de tous les noms en 2007, faut-il le rappeler) pourra sereinement envisager une prolongation de son bail.

Romain Pigenel