Vendredi 7 mai 2010, 20H30. Billetterie honorée, poings dans les poches et oreilles armées, Limoges prend tranquillement place dans les starting-blocks de l'imminent soulèvement organisé par la troupe d'Atari Teenage Riot, venue lancer ici le début de sa tournée (française) de pistolets à vent, suivant un protocole (attention) hautement subversif :
«Nous nous sommes refusés à jouer à Paris parce que là-bas la plupart des organisateurs n'ont rien à foutre des concerts qu'ils reçoivent, et leurs salles sont gérées comme des supermarchés coûteux. Le concert sera enregistré et filmé, pourquoi pas pour un futur DVD si le public est assez nombreux et prêt à se lâcher pour prouver qu'il est paré pour la prochaine révolution». Diable m'emporte, depuis la création de la CGT en 1895, jamais événement d'une telle ampleur n'est arrivé dans ma ville !
Hey, oh, stop ! La révolution c'est sérieux et c'est «in-your-face», o.k. ?
Première sommation. 21H, environ. Avant l'assaut des généraux, les troufions rampent en première ligne : deux choses paumées, comme parachutées sur scène, déambulent et se croisent péniblement, bras ballants sur instruments à cordes normalement branchés. Ainsi joue Myciaa, duo inconsistant qui ne respire ni la joie de vivre, ni la joie de mourir. Il y a «She» (si, si): grande duduche à cheveux bleus et costume d'Halloween (celui du squelette, la classe), bassiste et hurleuse d'un jargon incompréhensible d'où s'échappent régulièrement des «fuck you» d'une magistrale constance tonale. Et il y a «He»(oui, oui), à l'air faussement déçu et passablement énervé. Mais de quoi ? Du public clairsemé au pogo rouillé ? De sa guitare qu'il tortille avec peine ? De ses machines sourdes ? De son élocution rivalisant de temps en temps avec celle de She ? Fatiguant mystère pour tout le monde. Derrière le duo lymphatique et leur «post-punk-rock-électronique» -certes bruyant mais d'un silence consternant au final- des images crétines défilent sur un drap blanc miteux : gros plan sur pied chaussé de talon aiguille rouge, apprentissage de l'alphabet par façonnage de rail de coke, gamin tête-à-claques tendant un flacon d'antidépresseurs, bugs informatiques, etc., tout ça entrecoupé de quelques secondes de baratin (en voix-off très grave, bien sûr) pseudo-philosophico-masturbatoire-de-caniveau... Au bout d'environ cinquante interminables minutes, défaits, She et He cherchent la sortie.
Attention, ça va partir. 23H20, à peu de choses près. Bye bye les zombies, place aux revenants. Enfin. «Are you ready Limoges ? A-R-E---Y-O-U---R-E-A-D-Y ?». Oui, je pense qu'au bout de deux heures et demi, on est plus que prêt, cher Maître Empire (Alec pour les attachés). Les rangs se resserrent, les troncs se bousculent, les lumières fusent, les machines crachent. Kidtronik, mastodonte à crête courte et lunettes clignotantes, pagaie quelques secondes dans la foule, escalade les enceintes, y déblatère son plan d'action,sa vision du monde et vice-versa. Nic, jolie petite poupée, s'énerve sans trop y croire sur ses boutons, hausse la voix, se dégourdit les jambes de temps en temps. Alec, qui fait physiquement penser à un Nicolas Sirkis amputé de la mèche, ordonne à la foule obéissante de gueuler ses slogans à l'infini «...ATARI TEENAGE RIOT... ACTIVATE... GO GO GO... REVOLUTION ACTION... COME ON...». Ah, c'est l'heure de la pause. Le public en profite pour nettoyer ses bouchons d'oreilles... et attend... encore et toujours... Heureusement quelqu'un se dresse pour implorer d'une sublime voix caverneuse : «et ils sont où les anarchistes ?». Justement, les revoilà. «...COME ON... REVOLUTION... GO GO GO... RIOT TEENAGE ATARI (ou presque)...» Tels des poissons volants, quelques adorateurs en transe sautent un à un sur scène pour enlacer de leurs nageoires baveuses le messie, avant de replonger dans les eaux croupies de la fosse. C'est beau. Mais vrombir plus d'une heure vingt c'est quand-même lessivant, alors, d'une main molle suspendue froidement, Empire-l'anarchiste-anti-fasciste-anti-capitaliste remercie la masse d'avoir fait exactement ce qu'il attendait d'elle, d'être venue consommer une (rare?) dose de défoulement.
Allez, un dernier bâillement pour la route et on n'oublie pas de récupérer sa cervelle restée au vestiaire depuis trop longtemps, merci.
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