APSE + WIRE, Paris, La Maroquinerie, le 21 mai 2010
Il est 22 heures 56, la salle de la Maroquinerie s’enflamme sous les hurlements de Colin Newman, je reste coi devant un bouquet final grandiose et regarde ébahi jeunes et vieux se débattre dans des pogos violents qui n’épargnent personnes au dam de certains. Wire transcende les foules dans une catharsis musicale explosive qui se clôt par un Lost Space abrupt, et qui vaudra au groupe une pluie d’applaudissement.
Il est 20 heures, je lambine devant les portes de la Maroquinerie. Je n’aime pas arriver trop tôt aux concerts, on se fait chier, on croise des têtes connues qu’on se sent obliger de saluer, on tourne en rond… Je préfère de loin me glisser discrètement dans l’obscurité, et jouir en solitaire du spectacle auditif et visuel de la représentation qui m’est offerte. Une certaine forme d’onanisme si vous préférez. Je ramasse donc les dix mille fly à l’entrée, et fait la queue pour récupérer mon ticket. Cependant la guichetière m’annonce que la première partie ne commence qu’à 20 heures 45. Je sors les crocs, puis me calme, après un Coca bien frais, je verrai la vie pleine de bulles.
Il est 22 heures 16, presqu’une demi-heure que Wire a pris les manettes et nos papis semblent enfin décoller. C’est étrangement dans leur répertoire le plus ancien que les Brittons vont trouver de quoi faire remuer la salle. Lowdown est l’étincelle qui met le feu aux poudres, avant que de grosses déflagrations post-punk n’assènent la fosse de la salle de concert qui peu à peu va se métamorphoser en arène sanglante. Les bras volent, les corps se heurtent… Je n’ai pas mon protège-dents mais porté par les saccades sèches de batterie et les violentes riffles de guitares, je m’élance dans la partie. Avec ma bite et mon couteau, comme on dit du côté de chez Swan.
Il est 23 heures 23, j’ai des acouphènes plein les oreilles. Je m’extirpe douloureusement de cette chantre à bestiaux. Je croise Adrien de Jordan en sortant avec qui je discute quelques minutes, puis reprends ma route. Un demi-sourire vissé sur le visage, je rumine de n’avoir entendu Mannequin, MON classique du groupe, et reste sur cette impression un peu agaçante que la magie n’y était pas tout à fait… Le set avait beau être parfait, millimétré et réglé comme du papier à musique, il manquait un certain brin de folie. Le charisme bougon de Graham Lewis a beau être ce qu’il est, Wire accuse les années, et ça se ressent malheureusement. Un aficionado comme moi aurait sûrement préféré un set plus compact et incisif, plus bruitiste et donc centré sur la trilogie Pink Flag/Chairs Missings/154… Mais on ne va pas jouer les rabat-joies, ce n’est pas tous les jours non plus que l’on reçoit les demi-dieux du post-punk en France, et rien que pour ça, le jeu en valait la chandelle.
Il est 20 heures 50 et APSE monte enfin sur scène. Il était temps car cela faisait quinze minutes que je me tournais les pouces dans le noir. Pire, seulement une trentaine de personnes présentes dans la salle se dévisageaient avec ce qui paraissait être un brin de méfiance, ambiance Twilight Zone, brrrrrr. Première déflagration, mes tympans sifflent, à la seconde, je défaille. Le sextet envoie la purée, et sonne sacrément fort. Quelques obligations m’ayant un moment éloigné des salles de concerts, je me souviens à présent à quel point les chocs sismiques provoqués par la résonance acoustique peuvent être destructeurs. Seul bémol, APSE n’est pas le messie attendu, pire, sous des faux airs de cool Californians (ils viennent pourtant du Connecticut), ces jeunes fous furieux sont au prog-rock bizarre ce que Stabbing Westward est à Nine Inch Nails, une copie bruyante et sans saveur. Coincé entre un jeune vioque qui schlingue comme un putois et une blondasse figée dans les 80’s se déhanchant méchamment dans sa robe rétro avec son look Kim Basinger, je commence à perdre pied. Le son ne fait que monter et accélère mon pouls d’un coup d’un seul. J’en aurais presque oublié à quel point la Maroquinerie est une salle à l’acoustique incroyable et l’ingé lumière se surpasse ce soir-là. Tambourinage carabiné, jeu de pédale (oui je parle du chanteur) maîtrisé, APSE prend finalement son rythme de croisière et transforme son set en brûlot rageur. Mes intestins en prennent un coup, la blonde me sourit et je lâche tout dans mon pantalon. Merde, fallait pas le chilli con carne.
Il est 21 heures 46, le changement de plateau s’est éternisé. Mais c’est sous des acclamations tonitruantes que Colin Newman, Graham Lewis, Graham Gotobed et un petit nouveau dont j’oublie le nom grimpent sur le plateau. En face de moi, trentenaires furieux et néo-soixante-huitards (nés en 1968 j’entends) se tirent la bourre. Le show commence mollement comme les derniers albums de nos « câblés » adorés. En retrait, leur jeune nouveau guitariste semble à la traîne, et complétement hors-piste. Sorte de clone aux cheveux longs de Billy de True Blood, le gamin ne paraît pas tout à fait à son aise face aux vieux routards qu’il accompagne. Heureusement, on peut toujours compter sur la grogne et la sale trogne de Lewis pour l’ambiance, et la mécanique bien huilée d’un groupe qui baloche quand même 35 ans de carrière bien tassés. Là où des newbies se seraient cassé les incisives, nos pépés londoniens soignent leur retour à la scène, croisant britpop et expérimental-punk.
Il est 19 heures 48, la chaleur est assommante. Il y a quelques minutes encore je me trimbalais torse nu et en calcif dans l’appart de mes potes. Juste le temps de m’enfourner deux double-cheese, et me voici piégé comme une centaine d’autres dans le sauna de la rame de métro qui me conduit vers Gambetta. A cette heure-ci, je hais mes baskets, je hais mon jean qui me colle à la peau, je hais mon cuir qui se plaque à mon torse transpirant et malodorant… Mais je dois avouer que ces petits détails sont rapidement oubliés au fur et à mesure que la distance qui me sépare de la Maroquinerie se réduit. Je me demande alors innocemment si j’aurais dû me replonger dans la discographie des porte-étendard du mouvement post-punk ou si j’ai eu raison d’avoir souhaité rester sur mes souvenirs grandioses, me remémorant les tonnes de morceaux sur lesquels je m’étais tant déchaîné par le passé… Ce concert sera-t-il semblable à l’image que je m’en fais ? Mes héros seront-ils au rendez-vous ? Il n’y a qu’une façon de le découvrir.