À lire, le dernier article de Claude Reichman, qui remet en cause l’idée de Nicolas Sarkozy selon laquelle la construction de stades pour l’Euro 2016 va « relancer » l’économie française. À l’appui de sa thèse, Claude Reichman cite le célèbre pamphlet de Frédéric Bastiat, Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, et la parabole de la vitre cassée par laquelle Bastiat prouve l’inanité d’une telle idée : les stades coûteront en impôts ce qu’ils rapporteront en recettes.
La France est sauvée ! Nous avons obtenu l’organisation de l’Euro 2016 de football. «Nous, nous pensons, en France, que le sport est une réponse à la crise », s’est écrié Nicolas Sarkozy. Ah bon ! Alors pourquoi ne pas créer dans notre pays une gigantesque compétition sportive permanente ? Au fait, elle existe déjà : c’est l’émission télévisée « Intervilles ». Mais c’est une petite chose par rapport à ce qu’exige le salut de la France. « Intervilles », désormais, cela doit avoir lieu tous les jours, et non pas seulement entre deux villes, mais entre toutes les villes du pays. Et 365 jours par an. Aucun effort n’est de trop quand il s’agit de relancer l’économie française.
En attendant, on va construire ou réaménager neuf grands stades. Coût de l’opération : 1,7 milliard d’euros, dont 150 millions promis par l’État. Ce qui veut dire que ce que le contribuable national ne paiera pas sera payé par le contribuable local, départemental et régional. « Joie, joie, joie, pleurs de joie », comme s’écriait Blaise Pascal. Qui n’aurait certainement pas soutenu le pari stupide de l’organisation de l’Euro 2016.
A lire et entendre les médias, la France vient de faire l’affaire de sa vie. Vous vous rendez compte ? Neuf stades à construire, cela va donner du travail à beaucoup de monde ! Ben voyons ! En réalité, on va encore aggraver l’intolérable charge qui pèse sur les citoyens de notre pays et les empêcher de consommer et d’investir comme ils le voudraient. Vous vouliez vous acheter un meuble, ou des vêtements, ou épargner pour votre retraite ? Terminé ! Vous allez vous payer un stade, où des footballeurs milliardaires viendront s’enrichir encore sous les yeux du bon peuple à qui on laisse plus que ce spectacle pour se réjouir un peu.
L’auteur de ces lignes aime le sport, le pratique et apprécie le spectacle offert par le talent des champions. De là à approuver la folie des dirigeants sportifs, soutenus par le président de la République, qui, pour le prestige de leur sport et le leur propre, poussent notre pays à des dépenses dont on peut et doit se passer dans la situation dramatique où se trouvent les finances publiques, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Au contraire, c’est un jugement très sévère qu’il faut porter sur de tels comportements. Ils témoignent d’un égoïsme et d’une inconscience qui sont caractéristiques des fins de régime et des périodes prérévolutionnaires. En de tels moments, on constate que les prétendues élites, ivres de leurs privilèges, ont perdu jusqu’au plus élémentaire bon sens. Que peut penser un citoyen lucide des embrassades de la délégation française à Genève, où se décidait l’attribution de l’Euro, alors même que tout ce qu’elle avait gagné était la certitude de pouvoir parader pendant des années sur les écrans des télévisions et d’infliger aux manants une purge financière supplémentaire ?
Au-delà de ces violences faites au peuple, c’est l’inculture économique du président de la République et de l’ensemble de la classe politique qu’il faut stigmatiser. Dans son célèbre pamphlet Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas ou L’économie politique en une leçon, Frédéric Bastiat (1801-1850), le plus grand économiste français de tous les temps, célèbre dans le monde entier et ignoré en France, arrive à cette conclusion : « La société perd la valeur des objets inutilement détruits. » Et il donne l’exemple fameux de la vitre cassée qui va certes enrichir le vitrier – c’est ce qu’on voit – mais va priver le propriétaire de la vitre de l’achat qu’il projetait d’une paire de souliers et donc appauvrir le cordonnier – c’est ce qu’on en voit pas.
Ce qui vaut pour une vitre cassée, vaut pour un stade édifié quand un pays n’est plus prospère et doit réduire ses dépenses à l’essentiel. « La société perd la valeur des objets inutilement construits » : tel est l’aphorisme que, s’inspirant de Bastiat, on devrait inscrire au fronton des ministères et des mairies. Les 500 000 élus français ne sont pas sur le point de décorer ainsi les édifices où ils règnent. Bien au contraire, ils n’ont que dépense en tête et croiraient déchoir s’ils ne laissaient pas quelque trace de béton derrière eux. Et dire que ces personnages représentent un peuple connu pour son goût de l’épargne. En somme, les Français sont punis de leurs qualités. S’ils n’épargnaient pas, leurs politiciens auraient moins à gaspiller !
On rêve de salles de classe où des professeurs enfin lucides, et conscients du fait qu’un État en faillite ne pourra plus les payer, enseigneraient à leurs élèves les apologues simples et éclairants de Frédéric Bastiat. Un élève ainsi formé perdrait pour sa vie entière l’envie de voter pour un élu dépensier, et la France se porterait mieux. On peut rêver aussi de journalistes inspirés de ces mêmes principes et qui pourfendraient en leur nom les folies financières des politiciens.
Mais soyons lucides, nos journalistes ont été formés par nos enseignants et ils continueront de penser de travers. Seul l’effondrement du système actuel les mettra face aux réalités et les obligera à réfléchir. Le seul motif d’optimisme est que ce système n’en a plus pour longtemps !
Source : Rebelles.info