titre joué: "Orange Lady" (J.Zawinul)
J.Zawinul (claviers), W.Shorter (sax soprano), M.Vitous (contrebasse), A.Mouzon (batterie), A.Moreira (percus)
Groupe mythique s'il en est, Weather Report s'est monté en 1970 et marquera de son empreinte toute la scène jazz de cette époque, en proposant un univers et une conception musicale tout à fait atypiques, novateurs, et encore jamais tentés par quiconque, notamment grâce à l'utilisation par Joe Zawinul de toutes sortes de claviers et de synthétiseurs (autres que les Fender Rhodes ou les claviers électriques que certains pianistes utilisent déjà), qui lui permettent les timbres et les couleurs les plus audacieux, tandis que les fabricants n'en sont pour l'heure qu'au balbutiement de cette technologie. Il est tellement impliqué qu'il participera même à la modification, en usine, et pour les constructeurs, de certaines éditions d'effets que permettent les machines. Le groupe donne naissance à lui seul à ce qu'on appellera par la suite le jazz-électrique.
A l'origine, Joe Zawinul et Wayne Shorter souhaitent surtout former un orchestre permanent et solide(comme le fait McLaughlin), afin de proposer une musique prolixe et personnelle, souhait qu'ils partagent secrètement depuis longtemps déjà. C'est aussi pour eux le moyen de ne plus avoir à courir le cachet comme ils le faisaient jusqu'alors, ce qui est épuisant et purement alimentaire. Mais en réalité, ce sera Miroslav Vitous qui sera le détonateur de cette belle aventure de plus de 15 ans. C'est lui qui, le premier, appellera Wayne pour lui proposer de former un groupe. Tous deux sont actuellement sans contrat (Wayne vient de quitter Miles Davis et Miroslav ne joue plus avec Herbie Mann), et les 2 hommes s'apprécient beaucoup. Wayne accepte immédiatement et contacte aussitôt Joe pour lui faire part de l'idée. Lui ne joue plus pour Cannonball et n'en attendait pas plus pour se lancer dans l'aventure. Ainsi débute, à l'aube de l'année 1971, l'histoire de Weather Report.
Signe du destin, cette même année, la Columbia cherche à signer de nouveaux groupes pour grossir son catalogue déjà bien fourni. Les 3 hommes enregistrent alors quelques idées lors d'une répétition, et apportent les bandes à la maison de disque en décembre 70. La formation ne s'est encore jamais produite sur scène et ne possède même pas de nom. Seuls les talents déjà reconnus de leurs membres parlent pour eux. La compagnie les signe aussitôt. Cette première maquette, le groupe l'a produite dans l'après-midi.
J.Zawinul «On n'a pas pris le temps de réfléchir. On s'est installés en studio et on a fait cet enregistrement. Je n'ai pas pris le temps de l'écouter. On savait que c'était bon. J'étais supposé m'occuper moi-même de la production mais j'ai pensé qu'il nous fallait un managment correspondant à la qualité de cette musique»
Vient ensuite le temps de trouver d'autres musiciens de talent qui sauront s'adapter à leur jeu. Après de courtes auditions et suite à quelques recommandations, le trio recrute Alphonse Mouzon à la batterie. Puis arrive, sur plébiscite de Wayne, le percussionniste Airto Moreira, à l'origine uniquement prévu pour les scènes de la future tournée, et qui, après avoir essuyé quelques déboires juridiques et relationnels avec Miles (royalties et droits d'auteurs impayés) trouve en Joe, à qui il est arrivé les mêmes déconvenues, un soutien conpréhensif et compatissant. Il est engagé et prend part lui aussi à l'expérience. Reste à trouver un guitariste, élément devenu indispensable pour tous les amateurs de jazz-rock depuis l'avènement de certains "guitar héroes" (notamment Jimmy Hendrix), mais aussi depuis que Miles a fait jouer McLaughlin sur certains de ses disques (Jack Johnson - In A Silent Way - Bitches Brew), disques qui connaitront tous un succès auprès d'un public plus jeune et plus rock que d'accoutumée. Evidemment, McLaughlin est pressenti, mais il refuse l'offre, préférant lui aussi créer son propre son avec son propre orchestre (Mahavishnu Orchestra). Finalement le groupe se fera sans guitariste ni même aucun autre souffleur. Le pari est, pour l'époque, relativement osé, surtout face à la "concurrence", mais l'essentiel est bien là, et ce choix sera finalement determinant dans le jeu de Weather Report. A présent, tout le monde est là et prêt à en découdre. Un quintet majestueux ultra motivé, et entièrement dévoué. Reste à trouver un nom.
J.Zawinul «On n'aurait pas pu nous appeler le Shorter-Zawinul Quintet, ça aurait été ridicule. Alors nous étions chez moi à chercher un nom usuel, comme une information courante. On avait pensé à Daily News, mais ça ne sonnait pas bien, puis à Triumvirate, Audience... Soudain, Wayne a dit: "Que pensez-vous de Weather Report?" Et nous avons tous fait: "Ok, c'est ça!»
Tout semble fin prêt. La maison de disques, Columbia, idéale, et qui investira beaucoup dans la promotion et dans la diffusion du groupe, et surtout une formation royale, digne des plus grands orchestres du genre, et qui fait déjà pâlir d'envie les critiques et les chanceux qui ont pu entendre les premières bandes que la maison de disque leur a sélectionnées.
Joe décide d'appeler ce premier disque "Weather Report", et propose aussi que le dernier que la formation produira d'ici quelques années porte également ce nom, marquant ainsi l'aboutissement d'un cycle et la fin d'une histoire commune. L'album sort en mai 1971 et marque très vite de son aura. La plupart des référendums éditoriaux en feront le groupe et l'album jazz de l'année. Il comporte 8 titres pour 40 minutes. 2 titres écrits par chacuns des 3 leadeurs, Zawinul, Shorter, Vitous. Le premier morceau est une improvisation de Zawinul et Shorter, et le 2e est écrit par le trio (pas de jaloux et une égalité parfaite).
Avant de vous laisser à présent savourer cet instant magique qu'est ce magnifique "Orange Lady", communion entre l'archet de la contrebasse de Miroslav et le sax soprano de Wayne, parsemé de notes de claviers flirtant avec le thème de "In A Silent Way" (normal, car après tout, c'est lui qui en est l'auteur sur l'album de Miles) je vous laisse, sous forme d'anecdote, ce petit texte écrit par leur manager Clive Davis en verso d'une couverture de magazine, et suffisant pour se faire une idée de la force de ce groupe.
C.Davis «Nous avons toujours été confrontés à deux types de musiciens: les créateurs et les imitateurs. Weather Report est de la première catégorie. Rarement la musique a atteint ce degré d'accomplissement, d'originalité et d'expression communicative, comme il est représenté dans cet album. Et quand cela arrive, il nous faut écouter autant avec le coeur qu'avec l'esprit»
Je n'en dis pas plus. Weather Report a une histoire, il a donc sa rubrique.