La vieille recette politique de l’antiquité résumée dans la célèbre formule de Juvénal “du pain et des jeux” (panem et circenses) demeure d’une redoutable efficacité. Alors que les démocraties européennes vont de Charybde en Scylla prises au piège d’une réduction des dépenses publiques suspectée de tuer dans l’oeuf le peu de croissance économique , Nicolas Sarkozy a fait de l’Euro 2016 un dossier politique prioritaire.
Le Président français aurait mis tout son poids dans la balance, à l’image de l’engagment d’Obama dans la défense de la candidature de Chicago aux JO, pour que la France décroche l’organisation de la manifestation. C’est désormais chose acquise. Ne reste plus, en période d’austérité, qu’à trouver les milliards nécessaires à la mise à niveau des installations sportives.
Contribuables, à vos poches ! Le rapport de la Cour des Comptes du 10 décembre 2009 épinglant l’importance des dépenses des collectivités locales en faveur du sport professionnel a été vite enterré. Les symptômes sont bien connus : mutualisation des dépenses, privatisation des recettes.
A la collectivité la prise en charge des infrastructures déficitaires, aux clubs professionnels les recettes agrémentées de subventions publiques. Concernant l’Euro 2016, difficile de trouver une répartition crédible de la facture annoncée des 1,7 milliard nécessaires pour rénover huit stades et en construire quatre.
Rama Yade dans les colonnes du Figaro s’est évertuée à expliquer que l’État ne supportera pas seul cette charge : “Nous inventons un nouveau modèle de financement, puisque 35% viendra du secteur privé, 49% sera mixte et seulement 16% public“. Attendons de voir si le gouvernement a trouvé la pierre philosophale permettant de transformer le plomb en or.
Contrairement aux affirmations du gouvernement selon lesquelles, l’organisation de l’Euro 2016 devrait engendrer des retombées économiques conséquentes, avec des effets à long terme notamment sur la fréquentation touristique, une étude de la Bank of America-Merrill Lynch sur les pays organisateurs de coupes du monde, publiée dans L’Expansion , démontre que l’organisation de ce type d’événement ne contribue pas à stimuler l’économie du pays hôte mais au contraire, impacte négativement son taux de croissance.
Le dossier a d’ailleurs pris une tournure politique depuis que certains maires socialistes ont tout simplement refusé que leur ville accueille l’Euro au motif du coût prohibitif des travaux.”On est dans la démesure totale avec le cahier des charges de l’UEFA. On est dans un autre monde. Le jeu n’en vaut pas la chandelle” a ainsi déclaré Jean-Marc Ayrault, Maire de Nantes .
L’intérêt de l’Euro 16 n’est évidemment pas que politique. Le plaidoyer de cinq minutes développé par le président français devant le comité de sélection de l’UEFA réuni à Genève a été explicite. “C’est une décision pour nous stratégique qui engage tout le pays face à la crise.” “Nous, nous pensons en France que le sport c’est une réponse à la crise. C’est justement parce qu’il y a une crise, qu’il y a des problèmes, qu’il faut mobiliser tout un pays vers l’organisation de grands événements“, a déclaré le Chef de l’Etat avant d’ajouter : “Et qu’est-ce qu’il y a de plus fort que le sport et, à l’intérieur du sport, qu’est-ce qu’il y a de plus fort que le football ?”.
Un peu “marseillais” pour l’occasion, le Président s’est un peu avancé dans la conclusion de son intervention par “Vous savez, en France, on a beaucoup de débats, mais s’il y a un sujet qui ne fait pas débat, c’est notre candidature à l’Euro 2016“.
Le foot s’est substitué à la guerre pour devenir une continuation de la politique par d’autres moyens pour paraphraser la maxime de Clausewitz. En 1948, Eric Honecker, secrétaire général du Parti communiste de RDA déclarait que : “Le sport n’est pas un but en soi ; il est un moyen d’atteindre d’autres buts“.
Pascal Boniface dans Géopolitique du football constate que la définition de l’Etat ne se limite plus aux trois éléments traditionnels (un territoire, une population, un gouvernement) mais que désormais s’y ajoute un quatrième critère : une équipe nationale de football.
Le sport en général et le football en particulier est devenu un puissant vecteur de diffusion de l’idéologie libérale. Christian Bromberger dans son ouvrage “Aimez-vous les stades ?” décrypte la mécanique lorsqu’il évoque des “foules conditionnées par l’esprit de compétition et le culte de la performance sans limite, persuadés de la légitimité du combat perpétuel, de la juste domination du vainqueur couvert d’or et de prestige, de la soumission du faible au fort, de l’exploit et de la réussite individuelle“.
Autant d’éléments qui invitent à porter un jugement inquiet et sévère sur l’expérimentation présentée cette semaine par Luc Chatel. Dès la rentrée prochaine, une centaine de collèges et de lycées pilotes testera une nouvelle formule dans laquelle les matinées seront réservées aux heures d’enseignement et les après-midi exclusivement au sport, même pas aux activités artistiques et culturelles. A défaut d’éveiller les consciences, on préfère désormais fatiguer les sauvageons.
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