Eric Woerth est individuellement pénible.

Publié le 31 mai 2010 par Juan
Eric Woerth a confié au Journal du Dimanche du 29 mai qu'il veut bien tenir compte de la pénibilité du travail dans la réforme des retraites, mais à condition que cette pénibilité soit évaluée individuellement. Eric Woerth finit par être pénible. Individuellement.
La réforme pénible d'un ministre pénible
Le ministre du Travail semble s'amuser à n'annoncer qu'au compte-goutte ses pistes de réforme des retraites. Ainsi, Eric Woerth a attendu le lendemain du mouvement de grève et de manifestations pour avancer d'un pas de plus sur la réforme des retraites : il souhaite de relever l'âge légal de 60 à 61, 62 ou 63 ans. Mardi, il indiquait qu'il faudrait reporter l'âge de départ. Vendredi, il précise la fourchette. «62, 63, 61, nous verrons tout cela». A la question de savoir si la barre des 65 ans pourrait être dépassée, le ministre reste évasif : «Il y a des fourchettes, ces fourchettes bougeront». Le recul à 62 ou 63 ans de l'âge de départ permet d'économiser rapidement 4 à 6 milliards d'euros. Qui paiera ces milliards ? Celles et ceux qui auront débuter tôt leurs carrières, c'est-à-dire les ouvriers, les employés, les artisans. Bref, les classes populaires. A côté de cela, la fameuse taxe exceptionnelle sur les hauts revenus génèrerait 600 millions d'euros. Un chiffre grotesque, et mal évalué. L'UMP débat encore de ce qu'est un «haut revenu». Xavier Bertrand a prévenu: «Je tiens à ce que le plafond soit défini de manière à ne pas toucher les classes moyennes ni même les classes moyennes supérieures
Samedi, Eric Woerth ajoutait une nouvelle information au dossier : «Nous réfléchissons à une logique d'individualisation». «Il ne s'agit pas seulement de la pénibilité intrinsèque des tâches, mais des effets différents qu'elle peut avoir sur différentes personnes, et de vérifier ces effets». Eric Woerth a une idée simple en tête: que l'ouvrier épuisé par une carrière débutée tôt aille chez le médecin justifier que son corps ne suit plus et mérite un repos amplement mérité. Qu'importe si statistiquement un ouvrier a 7 ans d'espérance de vie de moins qu'un cadre. Pas de question de généraliser ! Pas question que l'on se prive du travail pendant quelques années supplémentaires ! Le JDD confirme ainsi que le ministre du travail a retenu une approche dite par «exposition», soit-disant «consensuelle» : trois types de risques seulement sont retenus: «le contact avec des produits chimiques, le travail de nuit et le port de charges lourdes». Sont exclus le stress, les métiers aux gestes répétitifs comme caissière de supermarché. Le MEDEF suggère de laisser le médecin apprécier l’usure du salarié. Eric Woerth précise «Je ne vais pas recréer des régimes spéciaux». La réforme de ces derniers mériterait justement d'être évaluée... enfin.
La fausse réforme des régimes spéciaux
A la SNCF, les cheminots partent moins qu'avant à la retraite. Pour le gouvernement, c'est l'effet de la réforme des régimes spéciaux de l'automne 2007. En fait, comme pour l'ensemble du secteur public, c'est plutôt la crise qui semble responsable de cet allongement des carrières, les agents préférant retarder leur départ à la retraite à cause de la précarité de leur conjoint. En 2009, seuls 40% des cheminots qui pouvaient partir à la retraite l'ont fait : 4 800 contre 7 200. Les économies générées pour l'Etat s'élèvent à 31 millions d'euros. En juillet 2008, le gouvernement annonçait que sa réforme allait générer 282 millions d'euros d'économie dès 2012 sur la seule caisse de la SNCF. On voit mal comment ce chiffre très optimiste sera atteint en l'espace de 2 ans.
En 2009, l'assurance retraite a affiché un déficit de plus de 7 milliards d'euros. Le grand chahut gouvernemental sur les régimes spéciaux, et en premier lieu celui de la SNCF, était donc bien inutile. Surtout, la réforme s'est révélée au final coûteuse pour la SNCF : primo, les agents les plus âgés, donc les mieux rémunérés, restent dans l'entreprise. Secundo, la SNCF doit supporter des mesures d'accompagnement accordées aux cheminots par le gouvernement pour faire passer sa réforme en 2007. L'an dernier, un sénateur UMP établissait à 112 millions d'euros annuels le surcoût de ces avantages.
Déficits de la Sécu contre niches fiscales
Avant d'être au Travail, Eric Woerth a passé presque trois ans au ministère du Budget. Il connaît bien ses chiffres, et notamment l'importance relative des niches fiscales et des déficits de la Sécurité sociale.
La Sécurité sociale est sous-financée. On peut argumenter sur le poids des prélèvements nécessaires à son financement, cela ne change rien à la réalité du problème. Quand l'Etat dérembourse des frais de santé, il ne génère aucune économie. Il transfère la charge aux familles. En 2009,  la Sécurité sociale a ainsi coûté 313 milliards d'euros. Mais, crise oblige, la CSG a rapporté 1,7 milliards d'euros de moins qu'en 2008 (pour atteindre 68,4 milliards d'euros au total). Les dépenses ont cru de 3,1%, notamment à cause de la grippe H1N1. Le déficit global de la Sécu s'affiche ainsi à 20 milliards d'euros, dont 11 pour l'assurance maladie, 7 pour les retraites et 2 pour la branche famille.
Par comparaison, les niches fiscales ont coûté 75 milliards d'euros au budget de l'Etat la même année : le crédit d'impôt-recherche compte pour 5,8 milliards. S'ajoute l'ISF PME, créé en 2007, qui permet de réduire l'impôt de solidarité sur la fortune en investissant dans une PME, qui a coûté 670 millions d'euros. Ces dispositifs sont très critiqués : l'effort de recherche privé a stagné l'an dernier (+0,3%) et ce crédit est une aubaine pour les grandes entreprises alors qu'il était destiné aux PME innovantes. Seconde niche, la réduction de TVA à 5,5% pour travaux de rénovation coûte 5,15 milliards d'euros. Suit la prime pour l'emploi (4 milliards), le crédit d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile (une mesure pour les classes supérieures), l'imposition réduite des bons et contrats de capitalisation et d'assurance-vie (3 milliards), la réduction de la TVA sur la restauration (3 milliards, totalement gâchés), le nouveau crédit d'impôt pour développement durable (2,8 milliards), et l'abattement de 10% sur le montant des pensions (2,65 milliards). La plupart de ces niches ont été sous-évaluées lors de leur examen parlementaire: la Cour des Comptes avait relevé que ces 75 milliards d'euros de niches fiscales dépassent de 6 milliards le coût prévu au moment de leur adoption.
Au final, on peut ainsi dresser quelques comparaisons : le recul de 2 ans de l'âge de retraite représente peu ou prou ce que coûte l'exonération de charges sociales pour l'emploi de babysitter et femmes de ménages par les classes moyennes. Chacun ses priorités, n'est-ce-pas ?
Ami sarkozyste, où es-tu ?


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