Who killed Sgt. Pepper, le dernier disque du Brian Jonestown Massacre, n'a pas éclairci tous les mystères qu'on a gentiment voulu poser sur Anton Newcombe, sorte de rock star malgré lui à qui on aurait - pénurie d'électricité oblige - donné pour mission de creuser des puits dans le désert de Mojave. Sevré, la rouflaquette grisonnante, c'est promis, « il ne boit plus » me dit-on, vit désormais à Berlin « mais sera un peu en retard ». Un lundi d'avril européen, le même ciel partout et un messie parti s'acheter un kebab : Mais bon dieu, qui a bien pu tuer le Sergent Poivre ?
Il dissimulé
Elle l'a pourtant trouvé, sous ses mille références.
(Poème RATP, ligne 9, lundi 26 avril 2010)
Il y plusieurs façons d'envisager une rencontre avec Anton Newcombe. Plusieurs sentiers, plusieurs prises auxquelles s'accrocher pour gravir la montagne, remonter le fil d'une carrière qu'on nous a longtemps venu comme « escarpée » avec un garçon « pas facile en interview », capable de brusques sursauts et réflexions qui ne seraient accessibles que sous le joug de Satan ou des stupéfiants. Un beau paquet de conneries emballées dans du papier buvard, si vous voulez mon avis.
Coincé dans la pièce aux allures de chambre de bonne, Anton a pourtant tout l'air d'un lion en cage ; le genre a bien porter la chemise froissée et boire des bières sans alcool. Obéissant au bon vieux rituel de la promo annuelle (contrairement à d'autres « félins » du milieu, Anton sort un EP, un LP, qu'il vente ou qu'il neige), Newcombe est venu défendre le petit dernier, Who killed Sgt. Pepper, pas le plus câlin de tous, pas le meilleur sans doute, dont les manuels du rock retiendront qu'il se résume - visuellement - comme un marathon de zombies enfermés dans un long tunnel obscur avec un espoir de la taille d'une Maglite. Tiens tiens, comme sur la pochette de Take them on, on your own, deuxième album des Black Rebel Motorcycle Club ; à ceci près que Newcombe creuse son sillon autrement que les gais lurons et leurs tatouages du diable.
Le mythe de la caverne
Jadis isolé en Islande - pour l'enregistrement de My Bloody Underground, en 2007 -, Newcombe vit désormais en Allemagne, revenu de tout ses excès. Pas qu'il soit le premier à tenter Berlin (Merci Bowie, merci Lou, merci Iggy), pas qu'il soit le premier à être touché par la sainte rédemption qui colle à la peau comme un grand manteau noir et encore moins le dernier à qui on fera le coup du Taking Drugs to Make Music to Take Drugs To[1]. Effaçons les clichés et penchons nous sur les vraies obsessions du dernier grand rockeur américain qui ne voulait plus l'être, adepte de Charles Manson qui refusa de devenir l'attraction du business et préféra plier bagage plutôt que de tuer le Sergent Poivre.
Obsédé par Rome et ses déclins, Anton Newcombe possède un regard qui perce par delà le bien et le mal. La lucidité des yeux bleus qui ont vécu vingt de cirque rock'n'roll pour les bonnes raisons, en réussissant enfin à s'échapper : « Personne ne m'a jamais demandé de jouer ma musique, en fait c'est même tout le contraire; les gens ont toujours été contre moi. Depuis le tout premier concert, la situation s'est résumé à un "okay, ta musique ne ressemble pas à celle des Red Hot Chili Peppers, tu n'es pas un de leur pote, va falloir payer pour jouer chez nous". Ca voulait donc dire acheter 700 putain de places pour notre propre concert, pour assurer notre présence. Fuck you! On a décidé de jouer dans des lieux comme le Sonic Temple, pas de sécurité, pas de limiteur de son, pas de couvre-feu, point. C'est comme ça que les choses ont débuté: contre le système en place ».
Alone with everybody... with anyone by my side.
« Yes I'm lonely, wanna die / If I ain't Dead already / Ooh girl you know the reason why » (Yer blues)
La musique est une onde qui revient en sourdine, lorsqu'on grimpe la face nord d'Anton Newcombe. Une histoire d'Hommes précisément, et de vieux mythes qu'on aura du mal à tuer. Tantôt vu - ou entendu - comme un gourou aux pupilles dilatées, tantôt raillé comme un looser à mèches effilées qui aurait refuser le succès par manque de talent, Anton n'est pas vraiment le genre de rockeur à geindre sur son banjo. Exit un autre fantasme, celui du perdant magnifique qu'on imaginait comme un aventureux solitaire : « Je joue avec Math Hollywood, Ricky Maymi Miami et Joel (Gion) depuis 1990, ce sont toujours mes amis. Ce qui continue de me passionner, c'est le rock & roll, le folk, le minimalisme, la drug music, l'atonal music, l'indian music, la déconstruction et en somme, pour conclure, la magie. La magie, ça ne peut pas se partager sur un principe démocratique; mon rôle, c'est d'initier les gens à ce qu'on pourrait appeler « the dark science of the sound ». Il y a des règles, une logique très simple, pour accéder à cette musique. Prends les Beatles, ils n'ont été groupe, au vrai sens du terme, qu'un an ou deux. Et encore qu'on ne sache pas vraiment ce qui se passait, qui jouait quoi - on trouvait bien Billy Preston au piano - et McCartney jouait de la batterie lorsque Ringo a claqué la porte, Paul et John ne se parlaient même plus à la fin.. Et alors? On s'en fout! Moi je joue avec mes amis, et peu importe que je sois le moteur du groupe, ce n'est pas important ». Que ceux qui l'aiment le suivent. Et pour les autres, il restera toujours le quatrième album des Strokes avec en bonus un énième best-of, une séparation et quelques autres aventures en solo. La routine.
My broken English
Presque quarante minutes de conversation avec le diable, le saint ou que sais-je, un rockeur ayant décidé de mener sa barque loin des siens et des sirènes. La discussion s'emballe, ce sera la dernière ligne droite : « Tu sais, je produis un groupe de gamins en Allemagne - 17 à 21 ans, un truc comme ça - et devine quoi, la seule chose qu'ils désirent c'est chanter en anglais. Je leur explique qu'ils ne seront jamais populaires en Angleterre, en singeant leurs héros avec un broken english. Ils feraient mieux de chanter en allemand, ils auront certainement plus de chances de passer à la postérité. Il n'y a pas de règles. C'est l'une des raisons pour lesquelles je vis aujourd'hui à Berlin, je peux y ignorer la majorité des gens, je n'ai pas peur de vivre seul avec mes pensées. Il n'y a aucun problème à vivre tel qu'on est, même si c'est douloureux et que c'est pour cela que les gens abandonnent en cours de route, font des compromis. Pas moi. Je me sens plus à l'aise en étant indépendant... Et puis je n'ai jamais voulu être une « tiny pop pin-up star ». Tout le monde cherche ça, pourtant. Je me souviens de ce tout ces groupes signés chez Creation Records (le label d'Alan McGee, NDR), leurs belles gueules sur la jaquette, tous à me dévisager, m'ignorer, depuis le début des années 90. Aujourd'hui, aucun de ces groupes n'a pu récupérer ces droits, lorsque leurs labels ont été rachetés par des majors, leur avocat ne répond plus - ils ne savent même plus où il vit, en général - et tout le monde les a oublié. »
Vingt ans plus tard, Anton, lui, est toujours là. Avec ses albums inégaux et son regard de cosmo-killer, il aurait pourtant du connaître le même sort. Avoir à choisir entre la postérité dans l'anonymat et le succès sans talent. Les cimes ou la vallée, les hauteurs ou la bassesse, une vie sans relief ou le contraste du climat Berlinois. Franchement, après tant de bières baisées et de groupies décapsulées, qui pourrait encore affirmer que le Brian Jonestown Massacre n'a pas déjà tranché, entre le rock'n'roll et l'altitude ?
http://www.myspace.com/brianjonestownmassacre
[1] Célèbre album de Spacemen 3, sorti en 1990.