Participation à un concours de nouvelle du Sud Grenoblois
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Assis dans son fauteuil fin XXème siècle en cuir de Buffle d’époque Armand regardait sa publicité qui passait en boucle sur la plupart des chaînes privées de ce côté ci de la galaxie. On le voyait en tenue de combat ultra moderne entourée de sa phalange de soldats surentrainés faisant divers exercice montrant à la fois leur technicité et leur capacité de dégâts. Remuant le whisky qu’il avait payé à prix d’or à un antiquaire dans le verre en cristal qu’il tenait à la main il souriait. La partie préférée de sa publicité arrivait, le slogan qu’il avait lui-même créé pour vendre son activité.
« Si vous aussi voulez tenter la révolution, ne faites pas comme tous ces gens qui font dans la bricole, dans le fait maison. Faites appel aux meilleurs des meilleurs. Depuis Orion 286 jusqu’à Centaury 52 notre expérience est notre marque de fabrique. Pour une révolution dans les règles, pour une révolution propre, rapide et sans bavure, exigez les meilleurs !
La phalange révolutionnaire pour vous servir. Je suis Armand votre seul et unique interlocuteur, appelez moi, je compte sur vous ! N’oubliez pas, Armand ! La révolution c’est mon cheval de bataille. »
Suivait les différents moyens de joindre son équipe de mercenaires. L’époque était propice, l’univers tel qu’il avait été dans sa grandeur quelques années auparavant périclitait. Les planètes, les unes après les autres se rebellaient contre les gouvernements en place. L’empire perdait son influence et si on voulait gagner beaucoup d’argent c’était le bon moment. Surtout que les premières planètes à s’être rebellées étaient les plus riches, celles capables de vivre sans l’appui de ces bureaucrates.
Eteignant de sa télécommande les moniteurs il remplaça les murs par des images d’une forêt tel que la planète terre, berceau de l’humanité en possédait encore il y a tellement de siècles.
Fermant les yeux il se laissa bercer par le cri des animaux reproduits par les hauts parleurs qui étaient disséminés dans les murs et le plafond de la pièce. Encore un contrat honoré dans les règles de l’art pensa t’il le dernier de sa longue carrière. Avec l’argent amassé ses hommes et lui allaient pouvoir se la couler douce jusqu’à la fin des temps s’il le fallait. De tout temps et à toute époque on avait eu besoin de gens comme lui. Sa force, n’avoir jamais pris de décision politique ou de parti. Il allait là où l’argent lui demandait d’aller. D’une semaine à l’autre il pouvait renverser le pouvoir qu’il venait de mettre en place. Sa seule religion résidait dans les crédits qui remplissaient son compte en banque.
Utiliser la publicité, les médias, et toutes les formes avancées du pouvoir de masse pour vendre de la révolution, c’était là sa vraie réussite. Avoir rendu la révolution aussi photogénique qu’une bonne guerre fratricide, qu’un bon génocide. Avoir instauré un phénomène de mode de la révolution, vantant les mérites en passant sous silence les plus sombres travers que ne manquaient pas de déclencher ce genre d’événement.
Tirant sur le cigare qu’il allumait après chaque fin de mission il essaya d’imaginer la suite de sa vie maintenant qu’il était libéré de toutes ses obligations révolutionnaires.
Il allait déjà falloir dissoudre la phalange, son second s’était opposé fermement à cette idée et semblait ne pas vouloir y réfléchir à nouveau. Ensuite il faudrait surement encore faire quelques petites missions d’assistance, ses contrats assuraient un relatif secours pendant les premiers mois du nouveau régime. Mais rien qui ne serait fini et réglé d’ici la fin de l’année. Oui il allait pouvoir enfin se la couler douce et profiter de tous les crédits accumulés. Son plan prévoyait une répartition équitable entre tous les hommes de la phalange. Sa seule préoccupation tenait en un prénom, Aleph. Son second avait toujours été un homme loyal, un de ses plus vaillants soldats. Mais voilà que toute cette histoire semblait entrer en contradiction profonde avec sa personnalité.
Jamais il n’aurait imaginé que l’on puisse réellement croire à ces foutaises. Lorsqu’il l’avait recruté il avait surtout vu en lui un homme de passion. Jamais il n’aurait pensé qu’une fois atteint son objectif il viendrait à se poser des questions le concernant. Aleph devait surement être en train de préparer la cérémonie du lendemain. Souriant Armand se voyait déjà parti pour l’autre bout de la galaxie, sur une planète calme, accueillante. Pourquoi ne pas tenter ces paradis artificiels, ces nouveaux Edens qui fleurissaient au travers des galaxies. La mode était aux souvenirs, aux anciens temps, on reproduisait du mieux possible les conditions de vie de leurs ancêtres. Une vie faite de plaisirs simples sur des planètes terraformées, construites dans le seul but d’assurer une vie idyllique à leurs habitants. Le coût en était certes élevé, mais quel bonheur de ne plus se soucier de rien jusqu’à sa mort…
A moitié allongé dans son fauteuil il souriait. Une vie de labeur, une vie d’opportunité, une vie à savoir faire les choix en fonction de critères purement matériels. Et voilà enfin qu’il atteignait son but. Il était fier de sa petite entreprise et de ce qu’il avait accompli. Peu d’hommes auraient eu le cran de se moquer aussi impunément des aspirations réelles de leurs clients. Combien de fois il avait du faire croire à des « révolutionnaires » qu’il partageait leurs idées. Il se félicitait d’avoir toujours eu un certain talent de comédien. Et Aleph n’était pas pour rien dans cette réussite. Sa force de conviction, c’était un orateur incroyable et un homme capable de vous motiver les plus indécis. Il se demandait si il n’allait pas lui octroyer une part plus importante, après tout il méritait clairement la réussite de cette entreprise.
Le réseau interne sonna, Aleph cherchait à la joindre. Eteignant les hauts parleurs il ouvrit la communication.
- En quoi puis je t’aider Aleph ?
- Nous rencontrons un petit contre temps à propos de demain. Je sais que vous vouliez réunir tous les hommes pour leur annoncer la fin de la phalange et des opérations mais il se trouve qu’une planète demande un support d’assistance en urgence.
- Et bien répondons à ces clients, il ne faudrait pas qu’ils soient mécontents de nos services bien entendu, et nous n’aurons qu’à repousser la dissolution un peu, à moins que nous ne l’avancions à aujourd’hui alors ?
- En effet je pensais que l’annonce pourrait se faire aujourd’hui, mais pensez vous que vous serez prêt pour faire un discours auprès des hommes d’ici disons deux heures ?
- Aleph quand on est capable de renverser un gouvernement planétaire on est capable de bien d’autres choses tu ne crois pas ? Je te rejoins d’ici une heure et demie dans la salle principale pour faire le discours à nos troupes.
Coupant la communication Armand se leva, étira ses bras musclés et écrasa dans un cendrier en verre de la même période que tout son ameublement le cigare à moitié fumé. Il avait pour habitude un petit rituel avant de parler à ses hommes. Retirant son arme du holster qu’il portait en permanence il la déposa sur le bureau. Avec sa télécommande il fit s’ouvrir un pan de mur révélant une magnifique baignoire en fer forgée du XXème siècle elle aussi. Lançant le programme automatique il fit se remplir la baignoire d’une eau particulièrement chaude. Se dévêtant il posa ses vêtements civils dans un compartiment réservé au linge sale et fit préparer une tenue de combat d’apparat pour la cérémonie.
Allumant ses hauts parleurs à nouveau il mit une musique venue du fond des âges. Etirant sa nuque endolorie, il se plongea dans l’eau bouillante et parfumée du bain. Fermant les yeux, les bras pendant de chaque côté de l’antiquité, il appréciait ce moment de calme et de détente.
Aleph ouvrit le compartiment, appuyant sur les divers boutons que le schéma qu’il avait dans les mains indiquait. Ecoutant le silence autour de lui il regarda à nouveau le morceau de papier. Tout semblait comme noté. Sortant du local technique il s’approcha de la pièce, la porte s’entrouvrit en silence avec sa télécommande. La musique qui s’échappa du lieu semblait venue d’un autre temps.
Approchant silencieusement du bureau sans se faire remarquer il empocha l’arme qui s’y trouvait. Tirant de sa poche deux câbles il les brancha sur une des prises qui équipait le mur. Le générateur de camouflage commençait à montrer des signes de faiblesse et il savait qu’il n’avait plus guère le temps de finasser. S’approchant de la baignoire alors que son générateur commençait à grésiller il écrasa les câbles sur le fer au moment ou Armand ouvrait les yeux dans sa direction.
Il pu voir dans son regard l’incompréhension, la peur, le doute et la haine se succéder à mesure que son corps était traversé par le courant électrique qui traversait la baignoire et l’eau qu’elle contenait.
L’odeur nauséabonde de chair brûlée commençait à lui piquer les yeux. Il devait pourtant encore mettre en place le reste de son plan. Tout avait été préparé avec minutie, si il était devenu si vite le second d’Armand c’était pour ce travers qui lui valait d’organiser les choses avec perfection pensant aux moindres détails. La scène terminée il se recula, ramassa les câbles, observa, ne voyant aucune imperfection il se retira, referma la porte en silence et se glissant dans le local technique il réenclencha tous les contacts qu’il avait bloqué.
Sortant du local il s’approcha de la suite d’Armand. Toquant à la porte assez bruyamment il attendit mais ne voyant pas celle-ci s’ouvrir il fit appel à la sécurité qui fit ouvrir la porte par l’équipe technique. Cherchant à s’imposer au milieu de l’agitation ambiante il fit réunir la phalange pour une réunion de crise. Les conclusions de l’enquête se firent rapidement publiques et le suicide ne laissait aucun doute à personne avant même qu’il ne prenne la parole devant son auditoire.
Montant sur l’estrade avec le symbole de guide de la phalange prenant la place qui lui était du suite à la disparition d’Armand il s’approcha du micro et demandant le silence, d’un ton grave et solennel s’adressa à ses hommes.
« Comme vous le savez, Armand a mis fin à ses jours. Il laisse une lettre qui ne manque pas de nous exposer les raisons de son geste. Comme vous vous en doutez, je préfère faire taire les rumeurs. Contrairement à ce qui est dis, Armand ne nous avait pas abandonné. Il ne désirait pas dissoudre la phalange et tout manquement à sa mémoire sera puni d’une sanction mortelle. Si Armand a décidé de mettre fin à ses jours cela concerne des raisons personnelles qui ne doivent pas entacher l’honneur qu’il nous avait fait de nous prendre sous son aile. Comme le veut notre organisation je prends ce jour les responsabilités et la place d’Armand. En sa mémoire nous érigerons une statue devant le complexe. Il est important que si vous ne désirez pas me suivre avec la même loyauté que vous avez pu donner à Armand vous quittiez la phalange. Notre mission reste la même, propager et répandre la révolution dans la galaxie. Aider tous les peuples opprimés et utiliser les fonds de la phalange pour que notre action soit plus forte de sens et se place sur une scène un peu plus politique.
Vous le savez cela fait des années que nous affrontons l’oppresseur, que notre lutte n’est pas vaine et que de nombreux témoignages nous montrent à quel point notre action est utile pour le bien des opprimés. Au nom d’Armand nous devons continuer et surtout où qu’il soit le rendre fier de ce que nous accomplissons. »
Une fois son discours prononcé, les hourras des hommes derrière lui, Aleph se dirigea vers ses quartiers. Il devait réorganiser de nombreuses choses maintenant qu’Armand avait disparu. Prenant le document qu’il avait dans la poche, il commença à rayer les actions déjà entreprises.
Quelques jours plus tard sur les écrans tournaient la nouvelle publicité de la phalange. Aleph regardait son image et les missions qui commençaient à s’accumuler montraient qu’il avait eu raison de prendre sa décision. Levant son verre de whisky au ciel il trinqua avec l’air en souriant la publicité en bruit de fond.
« La révolution c’est une affaire sérieuse. La phalange révolutionnaire a toujours mis ses talents au service des opprimés. Armand a fait de nous une force sur laquelle il faut compter, et tous les oppresseurs savent qu’ils risquent de nous affronter s’ils font du mal aux faibles.
Comptez sur nous pour vous aider, pour venir vous donner la force et la puissance nécessaire à mener à bien tous vos combats. Je suis Aleph, l’élève d’Armand et je serais votre seul et unique interlocuteur.
N’oubliez pas, Aleph ! La révolution est une affaire sérieuse, elle ne se laisse pas bâillonner et on ne peut la contraindre. A bas l’oppression ! »
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