Claude sautet ou les choses de la vie

Publié le 30 mai 2010 par Abarguillet


Au début des années 50, alors qu'il sortait de l'IDHEC, Claude Sautet suivit le chemin escarpé de l'assistanat. Il tourna un court métrage de fiction et réalisa son premier long métrage en remplaçant au pied levé le metteur en scène Robert Dhéry. Sa filmographie personnelle commença avec deux polars traités à la manière des bandes américaines de série B,  Classe tous risques  ( 1960 ) et   L'arme à gauche  ( 1965 ). Bien que ces films n'aient pas défrayé la chronique, ils manifestent néanmoins des qualités indéniables : obsession du détail juste, modestie, recherche de classicisme qui inscrit, dès ses premières tentatives, Sautet dans la lignée des Grémillon, Becker ou Carné. Pendant quelques années, entre les longues périodes qui séparaient ses propres réalisations, Sautet se consacrera en parallèle à son second métier, celui de scénariste. Sa réputation, en ce domaine, fit de lui le médecin secouriste des pannes d'inspiration de ses collègues, soit " le ressemeleur de scénario ", pour reprendre sa propre expression. C'est peut-être cette expérience que l'incita à travailler ses scénarii avec d'autres scénaristes, dont Jean-Claude Dabadie pour six de ses plus grands succès et Jacques Fieschi pour les trois derniers. Il entendait ainsi mieux objectiver ses idées.  


     


Sa notoriété débuta avec Les choses de la vie en 1970, qui impose son style et sa sensibilité. Sautet s'y présente en peseur d'âme, en analyste subtil des sentiments et du coeur humain. A partir d'un accident, qui coûtera la vie à son héros interprété par Michel Piccoli, il hausse le fait divers à la hauteur d'un drame. Le montage inventif des séquences de l'accident renforce cette dimension, le cinéaste s'adressant directement à nous, nous atteignant à tel point que François Nourissier écrira : " Les spectateurs conduiront le pied sur le frein. (...) Mais ils sauront que toutes précautions sont inutiles : notre avenir est peuplé de carrefours tranquilles et d'oublis, où nous guettent les grands mensonges noirs de la mort."
Le texte sobre de Jean-Loup Dabadie, le musique de Philippe Sarde, les plans silencieux nous entraînent en une marche lente vers l'agonie du personnage, dont l'objectif fixe l'inéluctable fatalité.

Max et les ferrailleurs sera un film plus personnel qui pose avant l'heure un regard sur la banlieue et la délinquance et met face à face deux personnages forts : un flic inquiétant Michel Piccoli, aussi rigide qu'un pasteur anglican, que son manque de discernement entraînera vers l'autodestruction, et une prostituée très digne, incarnée par Romy Schneider qui ajoute à sa beauté un rien de vulgarité. Cette complexité des sentiments se retrouvera dans César et Rosalie où les personnages sont à leur tour pris dans la spirale de la remise en question et de l'incompréhension. Car quoi de plus difficile et de plus imprévisible que les rapports humains ? - se demande en notre nom le metteur en scène qui cerne ses héros au plus près de leurs sentiments intimes en véritable clinicien. Le trio formé par Romy Schneider, Yves Montand et Sami Frey est inoubliable dans une variation bien tempérée, à la fois musicale, sensuelle et nostalgique. Sautet dira qu'il voulait montrer des êtres qui soient tous, ou presque tous, en danger de désespoir. Il sut le faire avec autant de tact que de sensibilité.


Les films suivants dont   Vincent, François, Paul et les autres  ( 1974 )   Mado  ( 1976 )  et  Une histoire simple  ( 1978 ) sont des portraits de groupe des années 60, quadragénaires déjà usés par la vie et une solitude paradoxale. La vision collective permet d'observer chacun d'entre eux lors de ses rapports plus ou moins conflictuels  avec les autres et d'analyser les raisons de ces tensions. Le cinéaste démontre ainsi que les situations les plus conventionnelles peuvent être lourdes de conséquences et explore une génération dont la vie quotidienne prend l'allure d'un combat pour la survie. Nous sommes frappés par leur vulnérabilité et par ce danger de désespoir auquel ils sont confrontés, en une suite d'affrontements permanents.


   


Après quelques années de silence, Sautet reviendra en force derrière la caméra en rajeunissant ses acteurs et collaborateurs. Ce seront Quelques jours avec moi ( 1988 ) où il passe de manière subtile du drame passionnel à l'ironie tragique, servi une fois encore par des comédiens remarquables, la lumineuse Sandrine Bonnaire et Daniel Auteuil dans l'un de ses meilleurs rôles,  Un coeur en hiver   ( 1991 ) et  Nelly et Monsieur Arnaud   ( 1995 ), magnifique trilogie de la maturité où l'intensité des sentiments contrariés, loin de toute emphase et prétention, s'enferment dans l'espace intime d'une délicate musique de chambre. D'ailleurs l'auteur, lui-même, affirmait qu'un film n'est autre que de la musique faite avec des acteurs, une dramaturgie, des anecdotes, des péripéties. Et il se consacrera avec talent à nous la faire entendre. Avec son réalisme poétique et profondément humain, ses plans silencieux, Sautet s'inscrit dans la lignée des plus grands, faisant des choses de la vie, les choses de notre vie et, de sa caméra, le témoin troublant de notre quotidien.

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César et Rosalie   Une histoire simple