Daniel Kehlmann

Publié le 29 mai 2010 par Irigoyen
Daniel Kehlmann

Lors de l'émission « Jeux d'épreuves » du 15 avril 2010, - présentation : Joseph Macé-Scaron -, j'ai parlé de ce livre avec d'autres chroniqueurs : Clara Dupont-Monod, Frédéric Ferney et Baptiste Liger.

C’est le troisième roman de Daniel Kehlmann qui paraît chez Actes Sud – après Moi et Kaminski, Les arpenteurs du monde qui avait connu un énorme succès des deux côtés du Rhin et Gloire -. Mais il s’agit en fait du premier écrit par cet auteur germano-autrichien de 35 ans. Il date de 1997 – il est important de se rappeler qu'à l’époque Daniel Kehlmann n'a que 22 ans ! -.

Le titre original de ce roman traduit par Juliette Aubert n’a rien à voir avec celui de la version française puisque, dans la langue de Goethe, il s'agit de Beerholms Vorstellung, la représentation – au sens d’idée - de Beerholm.

Arthur Beerholm est le personnage central du roman. L'enfant perd très tôt sa mère. Son père se remarie. Il est alors mis en pension, abandonné. C'est à ce moment-là qu'il commence à se fabriquer un monde à lui.

Un monde situé en deçà de la raison et de la parole.

Ce monde, il semble d’abord le trouver dans la théologie, un peu d’ailleurs en suivant le pari de Pascal - ce pari mathématique qui évoque le gain que l’on peut avoir en croyant en Dieu -. Et si je souligne cela c’est parce qu’il y a des références aux mathématiques dans ce livre, à leur logique, leur rationalité. Puis Beerholm délaisse la métaphysique pour la magie. Pourquoi ce choix ? parce que le spectacle d’un illusionniste, Jan Van Rodé, l’époustoufle. Il est attiré par cet autre monde, irrationnel, du moins en apparence puisqu'un magicien fabrique l'illusion.

Et ensuite ? Il existe des mondes situés en deçà de la raison et de la parole. Des bruits éloignés, une mer de nausées qui s’évapore lentement, une sensation de chute. Quelqu’un semble me poser une question, je semble y répondre. La réponse paraît insuffisante. Je continue de tomber. Je ne sais trop quand, cela s’arrête. Je me retrouve dans l’obscurité, dans l’absence de lumière et de son. Il me faut un certain temps avant que j’aie l’idée d’ouvrir les yeux.

Voilà donc le lecteur errant lui aussi dans ces mondes parallèles. Mais cette errance ne rassasiera jamais complètement le personnage principal. Un épisode va tout changer – je me garderai bien d’en parler ici pour vous laisser la surprise -. Disons que ce qui anime Arthur Beerholm c’est de pouvoir créer lui-même ce monde de l’illusion et non pas d’en être le simple spectateur. Sauf que, évidemment, on peut se brûler les ailes à ce petit jeu-là, ce dont il ne se doute d'ailleurs pas dans un premier temps :

Il fallait que je m’exerce à une forme de folie douce et savamment calculée.

Daniel Kehlmann a vraiment l'art de maintenir son lecteur en haleine. Avec assez peu d'ingrédients l'auteur construit des histoires qui ont incontestablement un climat, une patte. Il me fait penser à un autre romancier allemand, Karl-Heinz OTT qui aime bien, lui aussi, les personnages cherchant à s’affranchir d’une puissance tutélaire.

Attention : la lecture de ce roman n’est pas toujours facile. Pas étonnant puisqu'il s'agit d'une exploration de l’irrationnel. Le livre fait de nombreuses incursions dans l'univers de la philosophie pour tenter de donner chair à ces interrogations. Bien sûr, cette exploration des frontières entre les mondes n'est pas nouvelle – cf Borgès ou Cortazar – mais, et c'est là que la démarche me semble intéressante, Daniel Kehlmann fait cela à l’allemande, c’est-à-dire avec une écriture extrêmement rationnelle.

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Sebastian Zöllner est engagé pour signer la biographie du grand peintre Manuel Kaminski, un homme qui connut la célébrité sur le tard, au moment où s'est répandue la nouvelle de sa cécité. Comme dans La Nuit de l’illusionniste on a donc une confrontation entre un bleu et une figure tutélaire – un jeune inexpérimenté, un vieux expérimenté -. Mais Zöllner se heurte d'abord à Miriam, la fille de Kaminski qui voit d'un mauvais œil débarquer ce jeune esprit avide de gloire.

Ma carrière avait bien commencé, mais elle stagnait. J’avais d’abord pensé à une polémique, une attaque contre un peintre connu ou un courant artistique ; j’avais songé à une démolition du photoréalisme, puis à une défense du photoréalisme, mais soudain le photoréalisme avait passé de mode. Alors pourquoi pas une biographie ?

Plus loin :

Manuel aurait toujours trouvé les gens dont il avait besoin. Il considérait que c’était quelque chose que le monde lui devait.

Le biographe n'exclue rien de la vie de Manuel Kaminski. Surtout pas les détails en apparence croustillants. Il découvre ainsi que le peintre a été marié à Thérèse qui a peut-être eu une liaison avec un certain Dominik Silva, l’homme qui a beaucoup aidé financièrement Manuel. Mais pour éviter d'avoir la fille de Kaminski dans les pattes, il préfère kidnapper le peintre à qui il apprend que son ancienne femme est toujours vivante. Jusqu'à ce que...

Il s'agit d'un recueil de plusieurs nouvelles - avec des personnages qui reviennent d'une histoire à l'autre -, donnant ainsi l'impression d'une unité romanesque - dont je vous livre ici un bref résumé :

« Voix » : un homme vient d’acquérir un portable. Mais on l’appelle tout le temps en le confondant avec un certain Ralf dont l'homme finit par usurper la personnalité.

« En danger » : un couple dont le mari est écrivain répond à des invitations où on lui pose toujours les mêmes questions.

« Rosalie s’en va mourir » : une femme atteinte d’un cancer du pancréas sollicite une assistance au suicide en Suisse.

« L’issue » : Ralf Tanner (voir « Voix ») est acteur « dépossédé » de lui-même. Il ne comprend pas pourquoi ses amis se coupent de lui après avoir reçu des coups de téléphone que lui même ne se souvient pas d'avoir passés. Dans cette nouvelle haletante, Ralf participe également à un concours de sosies où on prétend qu'il ne ressemble pas du tou à l'acteur Ralf Tanner. Il rentre chez lui et personne ne veut alors le laisser entrer car personne, là non plus, ne le reconnaît.

« L’Est » : c'est l'histoire d'un voyage de presse qui tourne court pour Maria, l’une des participantes, non prévues au départ. L'action se déroule dans un pays de l’Est où tout se complique pour la journaliste qui voit son portable tomber en panne de batterie, l'hôtel où elle séjourne à l'abandon. Elle se retrouve alors seule face à elle-même sans que personne ne soit dans la capacité de lui porter secours.

« Réponse à l’abbesse » : l'histoire du suicide d’un écrivain.

« Contribution au débat » : une internaute écrit comme elle parle – avec plein de fautes d'orthographe – sur un forum de cinéma dans lequel elle évoque la vie privée de personnages cités plus haut.

« Comment j’ai menti et je suis mort » : un adultère décrit de l’intérieur par un homme qui mène une double vie jusqu'à ce que la situation devienne particulièrement complexe.