Emmanuel postait ce matin sur mon article anti-conseils de classe en me demandant si oui ou non, il existait des classes poubelles et si elles n'avaient droit qu'aux "mauvais" profs. La réponse mérite plus de deux lignes, et même plus d'un article, puisque finalement il y a deux questions^^. Je vais répondre sur le deuxième point dans un premier temps et ce sera l'occasion pour moi d'exprimer une fois de plus les valeurs qui m'habitent et me font avancer et qui président à tous mes choix en terme de politique d'établissement.
Ceux qui suivent mon histoire (oui, je sais, la suite tarde à venir mais je réfléchis à une autre manière de faire) savent que je ne viens pas d'un milieu aisé, que si je ne partais pas sans atouts, peu de choses laissaient penser qu'un jour j'occuperais les fonctions qui sont les miennes aujourd'hui (même si certains pensent, comme moi, qu'il n'y a pas de quoi se gausser^^). Cette "réussite", je la dois à l'école, à l'attention que m'ont portée des adultes, enseignants ou non, à des moments de ma vie où j'aurais pu sombrer... Jamais je ne l'oublierai, et ce sont ces souvenirs qui me hantent quand je vois des jeunes qui ne peuvent ou ne veulent pas entrer dans le moule...
Car il s'agit bien d'un moule, ne nous leurrons pas. Notre système est violent. Il coupe tout ce qui dépasse, n'est pas conforme. A l'école, on n'apprend pas seulement les mathématiques ou le français, on est aussi formaté, normalisé, habitué à supporter les contraintes presque unanimement acceptées par "la société"... Et gare à celui qui se rebelle, refuse, ne voit pas pourquoi, n'est pas prêt, a développé un esprit critique précoce, n'a pas des parents pour relayer la contrainte...
L'enseignant est le fer de lance de cette normalisation. Il porte en lui, par sa propre histoire le plus souvent (peu de profs ont eu des difficultés scolaires) ou par une appropriation quasi fanatique du discours officiel de la corporation (par mimétisme, par crainte de s'affirmer différent face à la masse) tous les ingrédients nécessaires pour "faire passer" le message, consciemment ou non : attachement à la discipline, référence à l'autorité, au respect, sacralisation de la parole de "celui qui sait", manque voire absence d'humilité au moment de juger, d'évaluer, refus quasi-systèmatique de se remettre en cause qui peut aller jusqu'à la mauvaise foi, au nom de l'infaillibilité intrinsèque à sa fonction...
Certains profs, qui par chance ont des qualités humaines telles que l'empathie, la volonté de comprendre, l'honneteté, une au moins vague connaissance du concept de déontologie, s'affranchissent un peu des poncifs, ouvrent les yeux et prennent conscience de la richesse des jeunes hommes et femmes qu'ils doivent mener vers le savoir, le savoir-faire et le savoir-être. Face à 1 comme à 35 élèves, ils restent sereins, dispensent leur enseignement pour tous, en partant toujours d'EUX, et non pas de lui.
Les autres se dressent, telles les Erynies, les yeux fous, vociférant menaces et anathèmes, assénant leurs connaissances/consignes/exigences à sens unique, se préoccupant si peu qu'elles soient reçues, puisque, de toute façon, si ce n'est pas le cas, c'est forcément de LEUR faute...
Imposer aux classes "sensibles" (pas "poubelles") des enseignants de ce genre seraient une hérésie et un contresens énorme pour moi. Il n'en est donc pas question, notamment en 2nde, classe la plus délicate à manoeuvrer tant le fossé avec la 3ème est grand. Cela dit, je suis parfois limitée par le nombre minoritaire d'enseignants "efficaces" (je n'ai pas dit bons) mis à ma disposition. Quand on a 16 classes de 2nde et 3 profs de maths qui vont bien, il y a une souci... arithmétique^^.
Alors, il m'arrive de prier, et de jouer mon rôle de Vigilante... Avec les moyens qu'on me donne...