Nicolas Sarkozy aurait réussi son coup : briser la résistance des Français sur la réforme des retraites. Grâce
à une communication hypocrite, un faux débat, des chiffres truqués, et une bonne dose de mauvaise foi, le Monarque a évité une démonstration de force massive dans les rues jeudi dernier. Les
rentiers seront heureux. Sarkozy a joué son rôle, celui d'un chef de clan, d'un président de classe qui protège leurs intérêts.
La retraite au compte-goutte
Le weekend dernier, quelques journaux publiaient les pistes de réforme des retraites retenues par Nicolas Sarkozy. Fidèle son habitude, Sarkozy a fait démentir ces fuites bien opportunes.
Rien ne serait tranché. Depuis des semaines, le gouvernement joue ainsi à cache-cache. Cette communication hypocrite se joue à deux niveaux : des conseillers, Raymond Soubie en tête, briefent
quelques journaux de l'état des réflexions gouvernementales, pendant que des ministres assurent, la main sur le coeur, que la concertation doit se poursuivre. Les options retenues sont en fait
connues depuis longtemps : le recul de l'âge de départ à la retraite dès le 1er janvier prochain (progressivement jusqu'à 63 ans) et l'allongement de la durée de cotisation pour bénéficier d'une
retraite à taux plein (au-delà des 41,5 annuités initialement fixées pour 2020). Mardi, Eric Woerth a enfin officiellement confirmé le premier
point. Il y a deux ans, le président
français expliquait encore publiquement qu'il ne toucherait pas à ce curseur car il n'avait pas été élu pour cela. Eric Woerth a aussi expliqué, juste avant la grève du 27 mai, que l'alignement
du secteur public sur les conditions du secteur privé serait pour plus tard. La démarche est habile, et illustre la stratégie présidentielle. Il s'agit de cliver à tout prix, diviser pour mieux régner. Sarkozy est en campagne. Il
est président de l'UMP et déjà futur candidat. En isolant les régimes spéciaux du reste de la réforme, Woerth se protège de grèves trop importantes, comme en 1995, et clive le pays suivant une
ligne de partage qu'il affectionne particulièrement.
«Cliver plus »
Pour cliver un peu plus le débat, le Monarque a demandé à ces proches de taper sur l'opposition. Mardi, en marge d'un déplacement officiel à Beauvais, Nicolas Sarkozy a réquisitionné le palais
des congrès voisin pour un meeting politique à huis-clos avec 1200 militants UMP. Il s'est lâché contre ... François Mitterrand, et la retraite à 60 ans, instaurée en 1983. Le Monarque se trompe
de siècle. Tout est bon pour protéger le capital et la rente. Ces derniers ne
contribuent que pour 20% aux 860 milliards de prélèvements obligatoires qui financent notre système public et social. Le taux de prélèvements obligatoires sur le capital reste modeste (18%).
Insupportable pour Sarkozy. La grande imposture continue: après le «Travailler plus», voici le «Travailler plus longtemps». Le gouvernement a bien concédé le principe
d'une taxation supplémentaire des hauts revenus et du capital. Mais elle sera finalement symbolique, partielle et ridicule : on annonce 600 petits millions d'euros. Aucune mesure de contribution
des revenus du capital et de la rente n'est avancée pour le moment. Le gouvernement «réfléchit». Quand il s'agit de taxer les plus riches, il prend son temps. Quel contraste avec le plan
de sauvetage des banques de l'automne 2008 ! La Cour des Comptes vient d'en dresser le bilan. Elle
épingle l'absence de contreparties négociées par le gouvernement. L'Etat ne tirera aucun profit des sommes prêtées ou garanties aux banques françaises : à court terme, Sarkozy s'était félicité
des 1,4 milliards d'euros d'agios récoltés. En fait, des coûts différés (350 millions d'euros dès 2011) vont progressivement annuler ces bénéfices d'un jour.
Sur les retraites, certains pompiers pyromanes n'ont d'ailleurs pas compris la leçon de la catastrophe boursière d'il y a deux ans. Hervé Novelli, le secrétaire d'état au Commerce et au Tourisme,
a exprimé tout haut ce que certains pensent tout bas à l'UMP : il regrette que la capitalisation soit exclue des réflexions. Placer l'avenir de sa retraites dans les mains de quelques traders ?
Quelle bonne idée !
Vendredi, le Figaro relayait les propos de l'Elysée: les manifestations de la veille ont été modestes, la grève aurait été
peu suivie. La tactique gouvernementale serait validée. La une du journal semble plus que jamais se concocter à l'Elysée : «la faible mobilisation ouvre la voie à la réforme». Raymond Soubie confie que «le débat a fait du bien
dans le pays.» Quel débat ? Le même conseiller explique d'ailleurs, en off cette fois-ci, que la communication «au compte-gouttes » du gouvernement a permis de «mithridatiser» les Français.
Peaufiner l'image
Discrètement, un web-documentaire sur Carla Bruni a été retiré de la Toile. Constitué d'images publiques, et
notamment d'extraits d'Eurotrash en 1996 où elle traduisait bien volontiers quelques extraits d'un guide sur le sexe et l'amour, il dérangeait visiblement les communicants élyséens. L'image de la
première dame doit être lisse et claire. L'élection approche. Il faut effacer toutes les traces Bling Bling qui pourraient heurter l'électorat conservateur. Le weekend dernier, Nicolas ne
travaillait pas, Pentecôte oblige. Mais il s'est affiché au bras de son épouse Carla sur les Champs Elysées. L'image souriante du couple présidentiel se promenant parmi des agriculteurs et des
badauds tout aussi souriant a fait le tour des rédactions. Et quand Nicolas transpire, Carla lui essuie gentiment le front.
Le lendemain, à Beauvais, Sarkozy voulait également se montrer souriant et détendu au milieu d'élèves du collège Fauqueux. Mais il fut chahuté. Un malotru lui a jeté une bouteille d'eau en plastique vide sur
l'épaule.
Vendredi, Nicolas Sarkozy revenait heureux de Genève. L'UEFA a accordé l'organisation de l'Euro 2016 à la France. Le Monarque pouvait être tout sourire. Michel Platini a même déclaré que son déplacement avait été utile. Pour une fois que
Sarko sert à quelque chose !
Le 18 juin prochain, le Monarque jouera à de Gaulle. Il se retrouvera dans les locaux de la BBC, là où le général de Gaulle prononça son appel du 18 juin. Les conseillers
élyséens l'ont martelé aux journalistes : c'est une première pour un président français. La comparaison avec le sauveur du 18 juin risque d'être difficile pour Nicolas Sarkozy.
Cette communication organisée veut présidentialiser le Monarque. Est-ce efficace ?
Emploi, Sécurité, banlieues: des promesses pour qui ?
Mercredi et jeudi, Sarkozy et Horefeux ont fait de la politique sur le dos d'une morte, une jeune policière tuée par balles la semaine précédente lors d'un accrochage violent avec des gangsters à
Villiers-sur-Marne. Nicolas Sarkozy s'est précipité à l'enterrement pour prononcer son oraison funèbre. Cette fébrilité présidentielle créé le trouble. On oublierait presque qu'il est responsable
de la baisse des effectifs de la police et de la gendarmerie depuis 2007, et que ses propres résultats en matière de lutte contre l'insécurité sont tout simplement mauvais. Dès dimanche, Brice Hortefeux annonçait qu'il avait signé un décret autorisant l'équipement des polices
municipales en Taser. Amnesty International s'indigne. Les
syndicats de policiers dénoncent la mesure gadget et inutile.
Jeudi, François Fillon a enterré une réforme de plus: la politique de la ville. On ajoutera ce renoncement à la longue liste des promesses
non tenues. En 2007, Nicolas Sarkozy promettait un plan Marshal pour les banlieues. En fait, nous avons un plan minable. En 2010, François Fillon répond qu'on n'a plus
d'argent et qu'il faut attendre la réforme des collectivités territoriales. Fadela Amara, secrétaire d'état en charge du sujet, espérait convaincre de concentrer les aides sur les quartiers
les plus pauvres. C'est raté. Elle devra attendre 2011. Ou 2012. Il paraît qu'elle voterait bien Strauss-Kahn si ce dernier était candidat. Pourrait-elle commencer par démissionner d'un
gouvernement où elle ne sert à rien ?
Le chômage est reparti à la hausse. Avait-il vraiment baissé ? « Fin avril 2010, en France métropolitaine, 3 926 200 personnes inscrites à Pôle
emploi étaient tenues de faire des actes positifs de recherche d'emploi (4 165 300 y compris Dom), dont 2 677 000 étaient sans emploi (catégorie A) et 1.249.200 exerçaient une activité réduite,
courte ou longue (catégories B et C) » indique la DARES vendredi. Le cap des 4,5 millions de chômeurs est donc franchi. La
ministre Lagarde ose l'explication suprême : «Le nombre de demandeurs d'emploi envoyés en formation ou bénéficiant de contrats aidés continue de progresser. Cette évolution encourageante
permet de maintenir les compétences acquises et favorise le retour vers l'emploi». En d'autres termes, on cache autant que possible les chômeurs dans des dispositifs annexes. Cela ne créé
aucun emploi, mais c'est bon pour les statistiques ! Seuls 22% des sorties des fichiers de Pôle Emploi sont attribuables à des reprises d'emploi. Les 78% restant sont des mises en formations, des
radiations ou des cessation de recherche. Tous les curseurs sont mauvais : le chômage de longue durée augmente, tout comme celui des moins de 25 ans, des plus de 50 ans, des femmes, etc.
Des économies, pour qui ?
Le gouvernement cherche 600 nouveaux millions d'euros d'économies sur le dos de la Sécurité sociale. Pourquoi ? Le seuil d'alerte a été dépassé. Les frais "dérapent", nous explique-t-on. François Baroin et Roselyne
Bachelot ont rapidement identifié des pistes d'économies: baisses de prix de médicaments, baisse des indemnités journalières d'arrêt maladie, gel de certains crédits, les idées ne manquent pas…
D'autres dépenses dérapent, mais les autorités de Sarkofrance n'en font pas tout un plat: vendredi, le député René
Dosière s'est inquiété de l'évolution des dépenses élyséennes: en 2009, elles ont progressé de 2,9 millions d'euros, dépassant l'enveloppe allouée pour l'exercice. L'Elysée ne tient pas ses
comptes. Les seuls frais de voyages ont dérapé de 8 millions d'euros par rapport à 2008. Au passage, on apprend que l'utilisation du château de la Lanterne, à Versailles, pour les weekends du
monarque coûte près de 200 000 euros l'année.
Vendredi, l'Assemblée nationale a également refusé, à trois reprises, des amendements de l'opposition visant à ce que les ministres qui ont conservé un mandat de maire ou d'élu local ne
perçoivent, « au titre de ses mandats locaux, aucune rémunération, aucune indemnité et aucun avantage». La quasi-totalité des ministres et
secrétaires d'état sont concernés. La rigueur n'est pas pour tout le monde.
Le même jour, une association dénonçait l'avantageux système de retraites des parlementaires, et surtout des députés: il suffit d'un mandat de 5 ans pour qu'un élu à l'Assemblée nationale dispose
de l'équivalent de 40 annuités de cotisation d'un salarié. Bravo !
Ami sarkozyste, où es-tu ?
Sarkofrance