En moins d’une semaine, mon quotidien de référence à moi vient de publier deux remarquables contributions sur les retraites. Leurs auteurs sont forcément compétents puisque le Monde leur ouvre ses colonnes. L’un se nomme Chauvel, il se dit sociologue et professe sa science (molle) à Sciences-Po Paris, temple, comme chacun sait, d’une pensée novatrice, iconoclaste et résolument progressiste. J’ai oublié le nom de l’autre, mais pas qu’il se proclamait économiste, (donc praticien d’une science tellement molle qu’elle est en voie de liquéfaction), et qu’il préside la fondation Terra Nova laquelle serait proche du PS. Tous deux font dans des termes à peu près semblables, la même proposition : Pour sauver les retraites, une seule solution faire payer les riches, c’est à dire les retraités. Nous apprenons en effet, grâce à Monsieur Chauvel, que les salopards qui appartiennent à la tranche d’âge des 55-64 ans se vautrent littéralement dans des délices auprès desquels ceux de Capoue (fatals au regretté Hannibal) ne sont que bibine et pipi de chat. Je reconnais que j’ai été tenté, un moment, d’ergoter sur la façon dont l’économiste et le sociologue manient leurs statistiques (les retraités ne représentent qu’un tiers de la tranche d’âge qu’ils visent), mais s’il fallait se laisser arrêter par ce genre de détail on n’arriverait à rien. Je préfère donc prendre les devants et, sans faire partie du groupe considéré (je suis trop vieux hélas) reconnaître mes torts qui sont grands.
J’avoue avoir payé mes impôts directs et indirects et, circonstance aggravante, avoir trouvé cela normal.
J’avoue avoir élevé mes enfants de telle sorte qu’ils se mettent eux aussi au travail. Voilà pourquoi, depuis un certain nombre d’années, ils ont cessé d’être à ma charge (en compensation, ils ne sont pas non plus à la charge de leurs concitoyens, mais avec l’évolution de la situation économique, cela peut encore changer. Ne désespérons pas).
J’avoue avoir fait construire une maison individuelle moyennant des prêts que j’ai remboursés car je ne suis pas à la tête d’une banque d’affaire. Du coup, je suis aujourd’hui propriétaire ce qui, je l’admets, me place quelque part entre MM Leclerc et Lagardère parmi les privilégiés de la fortune. Certes je n’ai pas, comme Madame Bettancourt, fait cadeau d’un milliard d’euros à un photographe méritant et, contrairement à Monsieur Pinaud, je n’ai acheté aucun palais vénitien, mais c’est, je le concède, parce qu’il m’arrive d’être un peu pingre.
J’avoue avoir contribué, dans des domaines variés, à la réalisation de matériels qui, c’est un scandale, m’ont valu des droits d’auteurs (certes, imposés eux aussi, mais ce n’est pas une excuse).
J’avoue, enfin, que j’ai l’outrecuidance de continuer à vivre alors que je sens bien que, si j’étais doué d’un minimum de sens civique, il y a longtemps que j’aurais du débarrasser la société de mon improductive présence.
C’est pourquoi, après avoir demandé aux actifs, représentés, et avec quel talent, par MM Terranova et Chauvel, de pardonner mon obstination à exister, je déclare que, dès aujourd’hui, je suis prêt, comme le suggèrent à demi-mot, ces deux sympathiques garçons, à grimper au cocotier qu’ils sauront agiter avec la vigueur nécessaire. J’y mets toutefois une condition. J’attends d’eux que, mettant leurs actes en accord avec leurs paroles, ils prennent l’engagement solennel de quitter cette vallée de larmes, le jour anniversaire de leurs cinquante-cinq ans. Ils pourront choisir, pour ce faire, le moyen qui leur conviendra le mieux : pendaison, empoisonnement, Colt ou ingestion des cours de Milton Friedman. Je ne suis pas exigeant sur la méthode. Seul le résultat compte et je ne doute pas une minute que, pour assurer l’équilibre des caisses de retraites, ces conseilleurs sauront aussi être des payeurs.
Chambolle