Découverte d’une écrivaine qui me bouleverse. Je suis en...

Publié le 29 mai 2010 par Mmepastel

L'auteure

Le livre

Découverte d’une écrivaine qui me bouleverse.

Je suis en train de lire Ce qui a dévoré nos coeurs, pioché un peu par hasard dans une librairie, et je suis enchantée, par l’écriture, la beauté de cette écriture, son rythme, la profondeur des thèmes abordés, l’omniprésence de la nature, la magie sous-jacente qui envahit l’intrigue. Avant de faire une chronique de son livre (il faut que je le termine et je ne suis pas pressée), je vous livre le meilleur article que j’ai pu trouver sur cette auteure, il vient de l’Express et a été écrit par André Clavel.

“Issue d’une lignée d’Indiens par sa mère, Louise Erdrich fait revivre l’âme de ces tribus. Dans Ce qui a dévoré nos cœurs, elle évoque le fantôme d’une disparue. Poignant!

Pour explorer le territoire de la jeune littérature indienne d’outre-Atlantique, il y a bien sûr la piste Sherman Alexie et il y a aussi la piste Louise Erdrich. Encore trop discrète, parsemée d’enchantements, cette piste-là sera bientôt une voie royale car on découvre peu à peu que l’auteur de La chorale des maîtres bouchers est aux Indiens d’Amérique du Nord ce que Toni Morrison est aux Noirs: une colporteuse d’espérance qui réinvente l’âme et les mythes de tout un peuple. Si Louise Erdrich écrit, c’est pour rabouter les fils épars de la mémoire, pour ravauder l’identité déchirée de ces communautés qui, au pays de Sitting Bull, vivent sur les décombres d’un passé légendaire. Pour la romancière, la littérature n’est donc pas un divertissement égotiste, mais un exercice spirituel. Une providentielle catharsis, qui lui permet de rallumer les feux vacillants d’un monde dont les rêves ont été sauvagement scalpés par le glaive de la Conquête. «Je pense que nous sommes en train d’assister au renouveau des cultures autochtones en Amérique du Nord, dit Louise Erdrich. A la fin du XIXe siècle, les Indiens étaient considérés comme des moribonds. Mais ils sont toujours là aujourd’hui, aussi surprenant que cela puisse paraître. J’ai des relations très régulières avec eux, je constate qu’ils sont encore résistants et solides. Je suis très fière de mon appartenance à cette communauté-là.»

Fille d’une Indienne Ojibwa, née en 1954 à Little Falls (Minnesota) dans une famille de sept enfants, Louise Erdrich vit aujourd’hui à Minneapolis, où elle tient une librairie. Mais elle a aussi passé quelques années au Dakota du Nord, une région dans laquelle elle situe tous ses romans. En jouant de la plume comme son grand-père paternel - exilé d’Allemagne - maniait les couteaux de boucher: une prose acérée, alerte, dansante, née de la rencontre du conte merveilleux et du réalisme magique cher aux Latinos. «Mon but est toujours le même, non pas faire de l’ethnographie, mais raconter des histoires, découvrir le fabuleux sous le réel», explique Louise Erdrich. Et elle ajoute: «On me perçoit comme une Indienne, certes, mais c’est une définition trop étroite car j’ai la chance d’avoir deux origines culturelles très riches. Ma mère n’est pas seulement Ojibwa, elle est aussi française par ses racines, puisqu’elle a des ancêtres canadiens. Quant à mon père, il m’a rendue particulièrement sensible à la tradition allemande et à notre héritage d’immigrants sur le sol américain. Je suis donc le fruit du métissage. Mes romans reflètent ce brassage d’influences et de cultures.»

Sur les pistes du Dakota du Nord
Très tôt saluée par un auteur avare de compliments, Philip Roth, l’œuvre de Louise Erdrich rassemble quelques livres pour la jeunesse - l’un d’entre eux, Omakayas, a été traduit à L’Ecole des Loisirs - et une demi-douzaine de romans. Grâce à Francis Geffard et à sa collection Terres d’Amérique chez Albin Michel, ils nous arrivent comme autant de joyaux arrachés à un monde obscur et silencieux, ce lointain Dakota dont Louise Erdrich a fait son Yoknapatawpha. C’est là, par exemple, qu’elle a planté les décors du Dernier rapport sur les miracles à Little No Horse, en un tohu-bohu de légendes et de prodiges: nous sommes dans une réserve indienne, où nous découvrirons les rocambolesques secrets qui se cachent sous la soutane du père Damien, un ecclésiastique pas très catholique - et néanmoins mélomane…

Une cantate dans l’Amérique des humiliés
La musique est aussi au cœur d’un roman flamboyant, magistralement orchestré, La chorale des maîtres bouchers, traduit en 2005. Louise Erdrich y brasse près d’un demi-siècle de l’histoire de son pays en racontant l’odyssée d’un maître boucher qui, rescapé de la Première Guerre mondiale, quitte l’Allemagne et débarque dans le Nouveau Monde avec une valise pleine de couteaux et une voix d’ange: ses chants célestes illuminent ce récit qui résonne comme une cantate dans l’Amérique des humiliés et des immigrants, à la veille de la Grande Dépression. «J’ai toujours pensé que la musique était le seul moyen de nous consoler de nos chagrins, souligne Louise Erdrich. Parfois, nous pouvons être la proie d’une tristesse si terrible qu’il ne nous est pas possible de l’exprimer. Cette fragilité-là, seule la musique est capable de la dépasser. Comme si, par moments, elle pouvait nous pénétrer, nous apaiser bien davantage que les mots. Peut-être est-elle d’essence divine, surnaturelle.»

On ne change pas de partition avec le nouveau roman de Louise Erdrich, Ce qui a dévoré nos cœurs. C’est une fresque magnifique, où l’on retrouve ses deux obsessions: le pouvoir que les morts exercent sur les vivants, et bien sûr la musique. Faye Travers, l’héroïne, est gérante de successions. Un jour, dans une maison du New Hampshire, elle déniche une collection d’objets provenant d’une réserve indienne. Parmi ces trésors, un tambour étrangement décoré, orné de perles qui représentent une jeune fille, une croix et un loup. Intriguée, Faye finira par voler le tambour et découvrira ses pouvoirs magiques: lorsqu’elle se trouve près de lui, elle l’entend résonner avant même de l’avoir effleuré…

En un long flash-back, Louise Erdrich remonte alors le temps. Et nous raconte une histoire bouleversante. Celle de l’Indien Shaawano qui, guidé par ses rêves, avait fabriqué le tambour pour conjurer la mort effroyable de sa fille, dévorée par des loups: c’est le fantôme de cette enfant qui s’incarne dans l’instrument, comme si sa voix pouvait renaître afin de parler aux vivants et d’apaiser leurs souffrances, depuis l’au-delà. Battant au rythme de la douleur des êtres, le tambour ne cessera de protéger ceux qui s’en approchent et il traverse ce roman comme un graal rédempteur, un symbole d’espérance chargé de tous les sortilèges du monde indien. La musique peut-elle nous guérir de nos tourments? C’est cette question que pose à nouveau Louise Erdrich. «Les chagrins, dit un de ses personnages, on les épuise avec les moyens du bord, ce qu’on a sous la main. On s’en débarrasse à force d’en parler, de vivre avec, on ne les laisse pas s’incruster au fond de soi. Vous voyez, c’était à ça que le tambour était bon. A faire sortir ces chagrins, au grand jour, où les chants pouvaient les emporter.» Ce qui a dévoré nos cœurs est le récit de cette délivrance: un exorcisme envoûtant, et une plongée dans l’âme de la musique. Sous la baguette d’une romancière qui veut réenchanter la littérature américaine.”