Magazine Cinéma
La reprise à Paris des films des sections parallèles (Un Certain Regard, La Quinzaine des Réalisateurs, La Semaine de la Critique) du 63ème Festival International du Film de Cannes a débuté, et après avoir suivi l’évènement par la presse, les buzz et les critiques, je me suis concocté mon petit programme de films que j’ai l’intention de voir au Reflet Médicis, au Forum des Images et à la Cinémathèque dans les jours qui viennent. L’année dernière, j’avais ainsi découvert le pas assez vu Mother, le surestimé Precious, ou le toujours inédit Air Doll. Du français, du coréen, de l’américain ou de l’uruguayen sont ainsi dans mes tablettes pour l’édition 2010, et c’est un p’tit frenchy qui a eu mes premières faveurs.
Les teen movies, ces films dépeignant la jeunesse où tous les personnages principaux sont campés par des ados (plus ou moins) n’est pas un genre très prisé dans le cinéma français, et les rares fois où il s’y est aventuré, on ne peut pas dire que le résultat fut emballant, jusqu’aux fameux Beaux Gosses de Riad Sattouf l’année dernière, une franche réussite pour la comédie française qui déjà avait fait ses débuts dans une section parallèle cannoise en 2009.
Je n’avais pas entendu parler de Simon Werner a disparu avant que le Festival de Cannes commence, et n’y prêta pas grande attention avant de lire une double page élogieuse dans Libération consacrée à ce premier film de Fabrice Gobert. C’est vite devenu un des films que je ne devais pas rater à la reprise parisienne des films cannois, et malgré un bus se traînant dans les bouchons parisiens, j’ai pu le découvrir en me calant à la dernière minute entre deux grandes têtes.
Bien sûr ce serait mentir que de le vendre comme « teen movie » si l’on associe le teen movie aux films pour ados attardés ou aux comédies lourdaudes. Simon Werner a disparu tient du teen movie car il prend pour héros des ados et plonge son regard sur la vie des ados, avec leurs mots, mais c’est plus qu’un teen movie comme on pourrait en attendre d’un film hollywoodien. L’action prend place dans une banlieue pavillonnaire française au début des années 90 (on reconnaît ça au fait que la console à la mode soit la super nintendo et que les jeunes aient encore des baladeurs cassettes, deux choses que les moins de 20 ans aujourd’hui prennent pour des antiquités). Simon Werner, élève en Terminale C, a disparu. La petite ville est en émoi, même si entre entraînements de foot, cours et fête d’anniversaire, la vie continue pour Jérémie, Alice, Jean-Baptiste et les autres. Mais chacun y va de ses doutes, de ses soupçons, et de ses angoisses. Bientôt, une autre élève de Terminale C disparaît…
Au-delà du fait que ce soit un film sur l’adolescence, il est difficile de ranger Simon Werner a disparu dans une case (et c’est tant mieux). Ni film d’enquête, ni franche comédie, ni drame social ou film d’angoisse, le film de Gobert parvient à être un peu de tout ça à la fois. Ce qu’il est surtout, c’est un film sur le microcosme lycéen qui parvient à déjouer les attentes. Il parvient à déjouer les attentes car il se donne le temps d’approfondir chaque personnage pour éviter les écueils et stéréotypes. Gobert aime à prendre des personnages à priori caricaturaux, le joueur de foot, le pote lourdaud, la fille inaccessible, le loser solitaire et quelques autres, qui si ils rentrent à priori dans des cases bien définies par tout ce qui peut se faire habituellement dans le genre, sont observés d’un œil différent. Gobert, scénariste et réalisateur, s’appuie sur les stéréotypes pour les dépasser, et y parvient en adoptant une technique narrative pas inédite mais suffisamment rare, et ici bien utilisée, pour qu’elle donne de la profondeur au récit : le point de vue multiple.
Simon Werner a disparu est découpé en plusieurs chapitres, chacun couvrant à peu de choses près la même unité de temps, avec pour chaque chapitre le point de vue d’un lycéen différent. Le récit se reproduit ainsi plusieurs fois avec à chaque nouveau point de vue une nouvelle vision du lycée, des lycéens, et de l’affaire, la disparition de Simon. C’est cette superposition de points de vue qui permet au réalisateur d’affiner son regard et de développer en profondeur ses personnages, les rendant plus criant de réalisme que dans biens des longs-métrages prenant des adolescents pour protagonistes.
Bien sûr, Elephant de Gus Van Sant, Palme d’Or 2003 et chef d’œuvre du genre, revient forcément en mémoire. Déjà le film américain épousait plusieurs points de vue dans un lycée en temps de crise. Le fait que Gobert aime lui aussi filmer ses lycéens de dos, et qu’il ait obtenu du groupe Sonic Youth de signer la bande originale du film (Kim Gordon avait tourné dans Last Days de Van Sant), ajoute certaines similitudes. Mais la comparaison ne peut aller plus loin, tant les films demeurent différents.
Simon Werner a disparu parlera certainement pas mal à ceux qui comme moi ont été ado à la même époque, mais Gobert parvient à rendre ses jeunes héros intemporels. Les époques changent, mais les angoisses et préoccupations restent les mêmes. En quittant très peu l’enceinte du lycée si ce n’est pour nous entraîner dans les bois, il trouve également un cadre plus séduisant que les productions françaises se glissant dans le genre. On ne se sent pas dans un téléfilm pour TF1 ou France Télévisions.
Ma seule bémol concernant Simon Werner, c’est le dénouement, qui déçoit peut-être un peu, car le long-métrage parvient pendant 1h30 à instaurer une telle tension, et à éveiller une telle curiosité, que l’on en attendrait presque du sensationnalisme pour emballer le tout. Mais finalement, n’est-ce pas mieux ainsi, un dénouement finalement simple et réaliste à un film qui aura su se montrer convaincant grâce ses choix de narration et de mise en scène, à ses jeunes acteurs parfaitement dirigés, et à une maîtrise visuelle remarquable ?A guetter absolument lorsqu’il sortira, à priori à la rentrée prochaine.