Quand la jeune Eureka, aux commandes du LFO original, le Nirvash typeZERO qu’a construit le propre père de Renton, s’écrase sur leur propriété et demande au vieux mécanicien de réparer son appareil, elle attire par mégarde l’attention des militaires sur le garage. Alors Renton fuit avec Eureka pour installer dans le Nirvash un nouveau type d’interface, l’Amita Drive, qui va vite réveiller toute l’immense puissance latente du mecha.
Ainsi Renton se retrouve-t-il invité à faire ses preuves au sein de Gekko State en côtoyant tous les jours son héros Holland. Mais l’illusion laisse vite place à une très amère réalité, surtout quand un ancien colonel au passé trouble est tiré de prison par les plus hautes autorités de l’État afin de poursuivre les mercenaires nomades et détruire le Nirvash…
On dit des chefs-d’œuvre qu’ils rassemblent les éléments les plus classiques de leurs genres respectifs pour les présenter sous un jour nouveau, pas forcément unique mais en tous cas assez personnel pour ne pas donner l’impression – toujours désagréable – d’un simple recopiage. Si Eureka Seven n’est pas un chef-d’œuvre à mon sens, il en a pourtant l’étoffe ou en tous cas les ingrédients principaux : il incombera donc au spectateur de décider si cette série doit ou non faire partie des immortels du genre ou plus simplement de ces œuvres qu’on ne saurait manquer sous aucun prétexte.
Dés le premier épisode, on sait que la production s’est donné beaucoup de moyens : 50 épisodes et une adaptation sous jeu vidéo pour la Playstation 2, plus un manga présentant une fin alternative, avec bien sûr le cortège de goodies habituels, mais aussi une animation particulièrement soignée pour un projet aussi ambitieux, des caractérisations subtiles et poussées, un univers hors normes, des qualités artistiques à la fois très variées mais de bonne facture, des génériques multiples, un sens du montage risqué mais adroit, de nombreux remixes dans une OST déjà très bien fournie… Bref, tout pousse à penser qu’on a là affaire à une production qui veut sortir du lot. Bonne nouvelle : elle y réussit, et assez brillamment de surcroît.
Avec deux fois plus d’épisodes qu’une série moyenne, Eureka Seven prend son temps. D’abord pour planter les personnages et le décor, puis pour définir l’intrigue et poser les bases d’une conclusion haute en couleurs et en esprit même si elle ne manque pas d’une certaine naïveté mais pas si bonne enfant que ça et qui malgré tout cadre assez bien avec les deux personnages principaux. Les épisodes de remplissage abondent mais s’intègrent bien dans l’ensemble en cernant adroitement les personnalités principales, alors que les récapitulations et les flashbacks se font parcimonieux et brefs tout en étoffant l’univers du récit d’une manière que je n’avais jusqu’ici jamais eu le plaisir d’observer sur ce média : de sorte que s’il y a comme un léger problème de rythme dans la narration, celle-ci reste solide et laisse la part belle à l’action d’ailleurs brillamment représentée la plupart du temps. Ainsi, le véritable début de l’histoire ne se présentera qu’à l’épisode 13, portant le juste titre de The Beginning, après un premier quart conséquent et bien rempli qui ne manque pas d’intriguer et de surprendre.
Si on admet que l’animation japonaise dans son ensemble se base sur le système du patchwork, c’est-à-dire la juxtaposition de styles et d’influences très divers en un tout paradoxalement cohérent, alors Eureka Seven est un parfait archétype du genre. D’une manière qui ne va pas sans rappeler Last Exile – et pas seulement pour son ambiance « hors du temps » – Eureka Seven se gausse des conventions et des bonnes manières en mêlant avec culot et talent la culture du surf, l’ensemble de l’actualité musicale d’après-guerre à nos jours, l’aube du design automobile, les styles vestimentaires du XIXe siècle et les visions hallucinantes d’un futur prodigieusement lointain (dans tous les sens du terme…) sans pour autant décrocher d’une actualité brûlante – pour ne pas dire brutale – à base de coups d’état, d’orphelins de guerre, d’épuration ethnique et d’anti-sectarisme religieux devenu lui aussi sectaire si ce n’est quasi-dogmatique… et j’en oublie.
Si vous voulez un pamphlet antimilitariste qui ne tombe pas pour autant dans l’adoration béate et affligeante des petites fleurs et de l’eau fraîche, le voilà. Mais ne croyez pas pour autant que tous ceux qui portent un uniforme dans cet anime ne sont que des brutes assoiffées de sang, vous feriez fausse route. D’ailleurs, le « méchant » de l’histoire à lui tout seul vaut le détour : rarement on aura vu un opposant aussi fouillé, aussi solide, aussi crédible enfin, même si ses intentions ne deviennent vraiment claires que lors du dénouement. On ne pourra l’accuser que de se tromper, et c’est bien ce qu’il y a de plus humain aux dernières nouvelles, avec toutes les contradictions que ça implique. Mais prenez garde car il a aussi ses convictions, et il sait les défendre, jusqu’à la mort s’il le faut : Holland en fera d’ailleurs l’amère expérience.
Car cette histoire se veut initiatrice. En suivant les tribulations de Gekko State, le jeune Renton apprendra peu à peu les dures réalités de la vie, celles qu’on ne raconte pas aux enfants. Comme quoi, être le fils d’un héros national dans une bourgade perdue au bord du monde n’est pas si grave que ça en fin de compte : de cette plongée dans la gueule de l’Enfer, il ne reviendra pas intact… D’ailleurs, rien ne prouve qu’il en soit vraiment revenu, la conclusion reste ouverte – très ouverte même – laissant ainsi au spectateur le soin de se faire sa propre opinion en participant lui aussi à l’histoire.
Il paraît que c’est aussi à ce genre de chose qu’on reconnaît l’excellence.
Notes :
Cet anime fut adapté en jeux vidéo, pour la PS2 (2 volumes) et pour la PSP, mais aussi en manga, sous le même titre, par Kataoka Jinsei et Kondu Kazuma, dans les pages de Shonen Ace, magazine publié par Kadokawa Shoten. L’édition française du manga est disponible chez Kana en cinq volumes.
L’ensemble de cette production montre un très clair intérêt, pour ne pas dire une passion, de ses réalisateurs pour le monde du surf mais aussi l’ensemble de l’actualité musicale des années 60 jusqu’à nos jours, particulièrement les Beastie Boys et la techno-trance : le lecteur averti pourra se livrer au passionnant jeu des clés quant aux très nombreuses références qui parsèment cette œuvre, tant sur les noms des personnages que les titres de presque chaque épisode, voire les numéros de série des divers mechas LFO.
Un autre passe-temps du même calibre : de nombreux événements, scènes, personnages et même des appareils de cette série s’inspirent plus ou moins directement de plusieurs classiques des animes de mechas tels que Mobile Suit Gundam et The Super Dimensional Fortress Macross, mais aussi Gunbuster, RahXephon et The End of Evangelion dans le tout dernier épisode.
Le personnage de Greg « Dr. Bear » Egan est un hommage évident aux auteurs de science-fiction Greg Bear et Greg Egan dont les œuvres comptent parmi les plus marquantes du genre depuis le début des années 90.
Un film – Eureka Seven – good night, sleep tight, young lovers – a été tiré de cette série, qui présente une histoire complétement différente et dont il ne retient que les personnages principaux, Eureka et Renton, ainsi que le thème de l’invasion extra-terrestre.
Eureka Seven (Kōkyō Shihen Eureka Seven), Tomoki Kyoda, 2005
Beez, 2006
50 épisodes, env. 120 € l’intégrale en deux coffrets
- d’autres avis : LiveHouse, Animint, CitronFraise
- Eurêka Seven France (site de fans)
Cette chronique fut à l’origine publiée sur le site Animeka