Jean-Jacques Girardot
Imaginaires sans Frontières, 2002
Jean-Jacques Girardot est revenu à l'écriture de science-fiction ces dernières années, après une première incursion dans le genre à la fin des années 70. Ce recueil, son premier, mêle des textes parus dans des revues et anthologies avec un bon tiers d'inédits. Sous son incarnation actuelle, Girardot est peut-être le seul auteur français (je tiens Trudel pour Canadien) à pratiquer la hard science. Plus précisément sous les auspices de l'informatique, et de suffisamment de biologie et de nanotechnologie pour permettre l'épineuse copie intégrale d'une personnalité humaine ; la situation revient dans presque tous les textes du recueil, donnée de départ ou découverte d'abîmes. On rencontre bien quelques extra-terrestres, mais, à part dans ce remake de Je suis une légende qu'est la deuxième partie de Gris et amer, ils utilisent la simulation informatique de la conscience avec le même enthousiasme que les humains. Autant dire que l'on va s'obséder sur les doubles, et sur la nature de l'identité.
Les premiers dilemmes sont très simples : une personnalité reconstituée à partir d'un homme qui n'avait jamais accepté de son vivant les copies informatiques (Sur le seuil) ; une scientifique atteinte d'une maladie incurable, survivant uniquement comme copie informatique et voulant faire reconnaître ses droits (L'Éternité, moins la vie). Girardot aime les intrigues mélodramatiques, qui font pleurer dans les vaisseaux spatiaux ; en cela, il se rapprocherait moins de Greg Egan (la référence incontournable) que de John Varley. Mais sans l'audace sentimentale et la virtuosité dans les intrigues de l'auteur américain.
Les audaces de Girardot sont autres. Un point de vue politique plus mordant, face à une société où tout devient factice, et où les êtres vivants eux-mêmes, sans être stockés sur disque dur, finissent par être traités comme des machines (l'admirable Le Mouton sur le penchant de la colline). Une compassion pour des protagonistes qui vivent dans la détresse sentimentale : Thomas dans L'Humain visible, Jean-Pierre dans Gris et amer 1 (quel démon du calembour scabreux a-t-il d'ailleurs pu pousser Girardot à poursuivre la numérotation de ce titre ?), et surtout Lucie et Simon dans la nouvelle éponyme. La commercialisation d'un amour programmé est bien l'ultime insulte que la société puisse infliger au sentiment.
Aboutissement ultime, l'idée se profile qu'on ne peut distinguer la conscience de sa simulation, de ses aspects extérieurs (cf. L'Humain visible). Dans sa post-face, peut-être trop généreusement analytique, Girardot confesse son adhésion à un culte entretenu par des enregistrements : ceux des Beatles. Son livre laisse planer le doute sur la différence fondamentale entre notre moi et les traces enregistrées qui en subsistent. Pour sa logique, et pour ses passions, il faut le lire.
Pascal J. Thomas