Nous sommes en Haïti. Aux premières années du duvaliérisme. Daniel Leroy est un opposant communiste au régime dictatorial qui se met branle progressivement. Il est arrêté sous le prétexte de pamphlets violents qu'il adresse au pouvoir haïtien, mais en fait c’est pour la tentative de fomentation d’une insurrection armée contre le régime de Duvalier qu’il est incarcéré.
Le roman débute avec Nirvah, la belle mulâtresse qui frappe à toutes les portes pour extraire son mari des geôles de Papa Doc. Le désespoir l’a conduit dans les bureaux de Raoul Vincent, secrétaire d’état, chargé de la police politique. Un homme puissant, violent, noir, laid, complexé. L’impact de cette rencontre sur Nirvah, ses enfants, son entourage, le secrétaire d’état, est l’objet du traitement de Kettly Mars.
Saisons sauvages porte très bien son titre. Sauvage, brutal, implacable est le système macoute que Duvalier et ses sbires posent les épaules des haïtiens. Par des artifices variés, Kettly Mars nous plonge dans cette ambiance délétère par entre autres les notes du journal intime de Daniel Leroy que sa femme découvre peu de temps après sa disparition. Elles constituent une première voix de ce roman polyphonique. Mais le chaos de ce système répressif s’exprime aussi au travers de celui qui le caractérise le mieux, Raoul Vincent, tout puissant qui déploie son énergie à posséder intégralement Nirvah.
Des choix s’imposent à Nirvah. Aucun ne semble s’ouvrir vers une issue heureuse. Mais, il faut survivre. Ses enfants et elle. Kettly Mars nous fait vivre au travers la tragédie de la famille Leroy, toute la violence du système duvaliériste qui fait écho à bien des systèmes totalitaires. Elle offre un portrait d’un homme de pouvoir à la fois passionnant et terrifiant qui laisse sa prédation s’exprimer sur cette famille. Mais, c'est avant la figure de la femme, de Nirvah, incarnation du peuple violentée qui fait l'objet du traitement de l'auteure.
Pouvoir et sexe, mulâtres et noirs, c’est avec une très belle plume, maîtrisée, agréable, sensuelle toujours marquée par un équilibre certain, qui nous épargne le graveleux.
C’est donc une nouvelle découverte de cette littérature haïtienne qui me donne l’occasion de mieux appréhender l’histoire contemporaine de ce pays, de mieux saisir les textes de René Depestre « Le mât de cocagne » et « Hadriana, de tous mes rêves » qui évoquent la même époque et la question du noirisme. Kettly Mars y fait camper des personnages troublants, violents, passionnés ou résignés, qui sous la férule d’une dictature féroce, tentent de survivre pour le meilleur et pour le pire.
Chapeau l’artiste ! Kettly Mars, Saisons sauvagesEditions Mercure France, 1ère parution en 2010Voir les commentaires des blogs Mes passions, Papalagui, Agir avec Haïti , Montray Kréol
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