Larbaud #4

Publié le 28 mai 2010 par Menear
1932 : Larbaud lève enfin la tête : c'est la première incursion de l'Histoire dans le Journal, et c'est Naples. Un regard au hasard entre les rangs d'un défilé militaire et ce que voit Larbaud c'est la mode, c'est les silhouettes, c'est l'uniforme. Quelle allure !
Remarquables et même beaux types de jeunes garçons et de jeunes hommes, à Pozzuoli et dans le tram ; presque tous appartenant aux diverses organisations fascistes : avant-gardistes (aiguillettes blanches sur chemise noire), jeunesses fascistes (mouchoirs aux couleurs de Rome noués autour du cou). Même la figure d'un gosse de 14 ans avait un caractère extraordinaire, une puissance d'expression qui arrêtait l'attention. Ces jeunes gens sont heureux de pouvoir mettre cette espèce d'uniforme le dimanche ; cela leur donne tout de suite de l'importance, un air de responsabilité et de maturité, qui est juste ce qu'ils désirent, et cela fait valoir le physique de ceux qui en ont un. C'est très bien trouvé ; parce que c'est plus « homme » que la tenue des boy-scouts ou des bataillons scolaires (le nom même de bataillons scolaires était mal trouvé.) Le gars de 17 ans, Pza Plebiscito, avec sa toque noire, sa chemise noire à aiguillettes blanches, ses culottes gris-vert, ses bottes, et ses gants BLANCS, - quelle allure ! Et il y aussi des hommes faits, et mûrs même, qui sont contents de se parer de ces uniformes, au moins le dimanche et les jours de revue d'exercices ; ils font tout ce qu'ils peuvent pour avoir l'air d'officiers, et j'en ai vu un avec la petite tunique noire à brandebourgs noirs et bordée de fourrure, qu'un règlement récent vient d'interdire. Le pantalon long, gris clair à deux bandes noires, et la toque galonnée, avec le fiocco de soie noire, - un officier, mesdames ! Et il était avec sa dame, plein de sérieux, d'importance, et de self-respect. Bien entendu ce sont les gardes-nationales de 1850, mais il y en a moins et on les choisit mieux ; pas une bedaine.
Valery Larbaud, D'Annecy à Corfou in Journal, Gallimard, P.942.