Il y a soixante-six ans, les résistants avaient inventé une société plus juste. Aujourd’hui, elle est en pièces.
Les jours heureux. Merveilleux titre qui claque comme une insolente promesse d’espoir dans la nuit noire de 1944. Il fallait un sacré culot aux chefs de la Résistance, des gaullistes aux communistes, réunis clandestinement le 15 mars de cette année, pour adopter à l’unanimité le programme du Conseil national de la Résistance (son titre faisait référence à un film et une pièce de théâtre à succès). Non content de préparer la libération de la France, celui-ci posait déjà les bases d’une «véritable démocratie économique et sociale» : la Sécu, les retraites par répartition, les droits des travailleurs dans l’entreprise, les services publics… toutes ces réformes engagées à la Libération en sont issues.
Un monument pour l’Histoire, une vieillerie que ce programme éblouissant ? En plein débat sur les retraites, il se révèle d’une brûlante actualité. Denis Kessler, l’ex vice-président du Medef, ne s’y était pas trompé, lui qui déclarait en octobre 2007 au magazine Challenges à propos de la liste des réformes à engager par Nicolas Sarkozy : «C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance».
Sa réédition aux éditions de La Découverte, soixante-six ans plus tard, va bien au-delà de la leçon d’Histoire. Jean-Luc Porquet, le journaliste du Canard enchaîné auquel revient cette initiative, a voulu montrer, spécialistes à l’appui, «comment Sarkozy accélère sa démolition». Vingt-cinq ans de détricotage de notre système social, des retraites à la Sécu (la gauche socialiste n’est pas épargnée), sont racontés avec les dates clés, montrant ce qu’on n’avait pas forcément saisi à chaud : la logique perverse du démantèlement global de notre système de protection. En 1993, la réforme du gouvernement Balladur apparaît ainsi comme un des points de rupture essentiels ayant provoqué une baisse de l’ordre de 36% du niveau des retraites en raison du changement de leur mode de calcul : allongement de la durée de cotisation, prise en compte de la moyenne des 25 meilleures années au lieu des 10, et indexation sur le coût de la vie au lieu de l’évolution des salaires.
Les auteurs ne nient pas les nouvelles questions d’aujourd’hui (allongement de la durée de vie, assèchement des comptes publics sous l’effet du libéralisme puis de la crise mondiale…), ils pointent juste la lente démolition d’un modèle que la gauche, notamment, n’a pas su protéger. Au fond, rien de moins que la question du partage des richesses, et l’idéal d’un monde plus juste auquel aspiraient les résistants de 1944.
Ce programme et ce livre qui le fait revivre ont été la vedette d’un rassemblement plein d’espoirs, le 16 mai dernier, sur le majestueux plateau des Glières, haut lieu de la Résistance en Haute-Savoie. Sans slogan ni banderole, près de 3.000 personnes se sont retrouvées à l’initiative d’une petite association savoyarde, «Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui», contre la démolition du programme du CNR. Sous le parrainage des grands résistants Raymond Aubrac et Stéphane Hessel, on y a parlé retraite, sécurité sociale pour tous, médecine de quartier, justice, liberté de la presse. Une réunion d’anciens combattants ? Tout le contraire. A 1.500 mètres d’altitude et à 2°C (bien pesés), il flottait sur le plateau des Glières un air… vivifiant. L’idée d’un possible. Une sorte de mini-laboratoire de refondation de la gauche.
Thierry Leclère pour Télérama
Merci à Section du Parti socialiste de l'île de ré