L'actrice y incarne une femme mariée, frustrée sexuellement, se refusant à son mari, et entretenant des fantasmes sado-masochistes. Elle intègrera une maison close dirigée par la sublime et androgyne Geneviève Page, afin de donner libre cours à ses envies de soumission et à son fantasme d'être traitée en objet sexuel.
Pervertissant l'image propre et innocente de l'actrice (Polanski lui donna certes un rôle très troublant dans l'excellent Répulsion, mais ne pervertit jamais son image), Bunuel jette Deneuve dans un univers de perversion, de stupre et de vice sexuel proprement étonnants non seulement pour l'époque, mais également par rapport au choix de son actrice principale pour incarner cette femme obsédée par des pulsions sexuelles irrépressibles.
C'est donc un véritable délice de voir l'actrice attachée, fouettée, violée, offerte à ses clients, transgressant ainsi son image dans une succession de scènes sexuelles, tantôt vécues, tantôt fantasmées. A ce titre, les séquences dans lesquelles le personnage incarné par Deneuve laisse son imagination battre la campagne et s'abandonne à ses fantasmes les plus inavouables s'intègrent parfaitement au métrage, dans une fluidité remarquable.
Par ailleurs, certaines scènes au parfum délicieusement saphiste faisant intervenir le personnage d'Anaïs (Geneviève Page) et celui de Séverine/Belle de jour (Catherine Deneuve), ajoutent une sensualité et un trouble délicat à l'histoire, Séverine se laissant ainsi surprendre par des attirances qu'elle n'aurait pas soupçonné.
Ce qui intéresse Bunuel, c'est ce qui est "caché derrière", le négatif du positif, l'enfoui, et le contraste entre le visible et l'invisible de l'être humain. Sous une apparence proprette, blonde aux cheveux tirés, insoupçonnable de tout vice, Belle de jour est en vérité un être aux antipodes de l'image qu'elle renvoie, et constitue à ce titre le vecteur par lequel le metteur en scène va exposer son propos. Par ailleurs, Bunuel développe l'idée selon laquelle le bonheur ne souffre pas la retenue imposée par les conventions, mais passe inévitablement par l'acceptation de ses propres obsessions, de ses propres fantasmes, au final, de sa propre personnalité. Ainsi, ayant franchi le pas du fantasme pour le rendre réel, l'héroïne accèdera alors à un bien-être qu'elle n'avait jamais connu et à une réelle plénitude.
Belle de jour constitue donc une oeuvre sulfureuse et troublante, délicieuse et intelligente, transgressive par le choix de son interprète principale, et pièce maîtresse de la filmographie de Bunuel, qui retrouvera son actrice 3 ans plus tard dans le non moins réussi Tristana.