Brésil : la CUT salue des avancées sociales et économiques initiées sous l’ère Lula

Publié le 28 mai 2010 par Tulipe2009



Dans le cadre de l’AJIS (association des journalistes de l’information sociale), j’ai participé avec 11 autres journalistes à un voyage d’étude au Brésil, pour tenter de décrypter la situation économique et sociale de ce pays émergeant. Le deuxième mandat de Luiz Inácio Lula da Silva arrive en effet à son terme et il n’a pas droit de se représenter dans l’immédiat.

Dilma Rousseff a été présentée par Lula comme la prochaine candidate du Parti des travailleurs aux élections présidentielles brésiliennes de 2010. Elle s’inscrit dans la continuité. Dilma est depuis 2005 Ministra de la Casa Civil (chef de cabinet de Lula).
Les syndicats de salariés sont très puissants au Brésil et ont contribué à la démocratie. Rappelons que Lula a fondé, le 10 février 1980, avec d’autres syndicalistes, des intellectuels, des hommes politiques et des représentants de mouvements sociaux (leaders ruraux ou religieux), le Parti des travailleurs (PT). Il a ensuite participé à la fondation de la Centrale Unique des travailleur (CUT, «Central Única dos Trabalhadores», lancée le 28 août 1983, dans la ville de São Bernardo do Campo, à São Paulo, au cours du 1er Congrès National de la classe ouvrière (CONCLAT). À cette époque, selon ses propres termes, plus de cinq mille hommes et femmes, de toutes les régions du pays, se sont assemblés dans le hangar de l'entreprise cinématographique Vera Cruz pour écrire un chapitre important de l’histoire brésilienne.
Depuis sa fondation, la CUT a joué un rôle crucial dans les changements économiques, politiques et sociaux au Brésil, mais aussi dans la sphère Latino-Américaine et dans le monde. Ce syndicat revendique des avancées dans la démocratie au travail. La CUT est fière d’avoir contribué à l'élection en 2002 d'un ouvrier comme Président de la République, un homme qui, de l'avis de tous, sait s’exprimer en termes simples et imagés à ses concitoyens.
Le CUT fédère 3.427 syndicats associés. Elle représente 38% des salariés syndiqués et 20 millions de salariés. Le deuxième syndicat le plus représentatif, Força Sindical (FS) dos Trabalhadores, représente pour sa part 13% des salariés syndiqués. Le taux de syndicalisation du Brésil tourne autour de 20%, contre 34% à la CUT.Nous nous sommes donc rendus au siège de la CUT,dans un quartier plus modeste que le centre des affaires de São Paulo pour interroger un acteur incontournable, Artur Henrique da Silva Santos. (en photo ci-contre).
Biographie : Ce leader syndical a 44 ans. Il est technicien en électronique et sociologue. Il a commencé sa carrière syndicale en 1983. Il a été un des animateurs du syndicat des électriciens de Campinas puis du syndicat Synergia, affilié à la Cut, avec lequel il a combattu les privatisations dans les années 90. En 1999, il a été élu secrétaire (confédéral) responsable de la formation. Il est président de la Cut depuis 2006, réélu en 2009.
Q : Quelles ont été les évolutions sociales depuis l’arrivée de Lula au pouvoir ?
Artur Henrique : Les salariés ont souffert de la politique néo-libérale de Cardoso (Président de la République de janvier 1995 à décembre 2002) dans les années 1990. Le processus de privatisation s’est en effet accompagné de licenciements. Et le gouvernement brésilien a fait preuve d’un manque de dialogue. Pour nous, ce fut la « décennie de la résistance », opposée de fait à la flexibilisation du droit des salariés. Non seulement des droits ont été supprimés, mais on a assisté à une criminalisation des mouvements sociaux. Il a fallu attendre l’élection de Lula en 2002 pour vivre un gros changement dans le mouvement syndical.
Deux projets illustrent bien le changement de cap, comme la revalorisation du salaire minimum et l’augmentation des salaires à un rythme supérieur à celui de l’inflation. Les centrales syndicales, qui étaient auparavant exclues des discussions, ont pu faire valoir leurs positions. Aujourd’hui, 43 millions de personnes dépendent directement ou indirectement de ce salaire minimum revalorisé. Ces mesures ont favorisé la consommation et la croissance économique. Les réajustements de salaire ont été obtenus à l’issue de manifestation de la classe ouvrière en décembre 2003 puis l’année suivante. La table ronde organisée par le gouvernement Lula a permis un ajustement des salaires par rapports à des indicateurs comme le PIB et l’inflation. Cet accord obtenu court jusqu’en 2023.
De plus, de nombreuses politiques économiques et sociales ont été initiées depuis 8 ans, comme la Bourse Famille, Lumière pour tous, etc. Surtout, les dirigeants écoutent désormais le mouvement social et syndical. La croissance économique a aussi conduit à une meilleure inclusion sociale, à une redistribution des revenus, une valorisation du travail et le respect des salariés. Au final, le changement de cap est évident avec un réel impact sur la population, mais toutes les revendications n’ont pas été accordées.

Avez-vous quelques chiffres pour illustrer ces changements ?
AH : Les bénéfices sont nombreux. En voici quelques exemples. Plus de 30% des plus pauvres sont sortis de la misère, grâce à une hausse des revenus. Cet enrichissement leur a donné à la fois accès à la citoyenneté ainsi qu’au monde de la consommation.
12,5 millions d’emplois ont été créés, ce qui est significatif dans un pays où l’emploi informel est endémique. Certains emplois informels sont entrés dans la légalité. Même en 2009, année de toutes les peurs, 1 million d’emploi ont encore été générés, et autant en 2010 depuis le début de l’année. Le Brésil est ainsi parvenu à échapper à la crise mondiale.
Sur les deux mandats Lula, l’emploi informel aurait reculé de 50% à 38% du marché du travail. Cet emploi informel reste un défi pour notre syndicat, même si ce secteur a eu tendance à s’aligner sur le salaire minimum. La fin de ce travail précaire passe sûrement par la croissance économique. Avec une hausse du PIB de plus de 6% en 2010, on estime le nombre d’emplois créés à 2,5 millions…
Allez-vous vous mobiliser pour les prochaines élections ?
AH : Concernant les échéances de 2010, la CUT a prononcé une résolution où elle déclare qu’elle ne souhaite pas le retour du PSDB (NDLR Le Parti de la social-démocratie brésilienne, principal parti d’opposition au PT), à sa voir José Serra. Elle préconise que le prochain gouvernement reconnaissance la norme 158, qui s’oppose au licenciement non motivé (Ndlr: La convention no 158 sur le licenciement a ensuite été adoptée en 1982 et elle est entrée en vigueur le 24 novembre 1985). Cette mesure devrait contribuer à réduire le turn over des employés.
Faute de dialogue, il y a 2,5 millions de procès par an dans le domaine des relations du travail. Pour cette même raison et la fermeté des employeurs, les grèves sont dures au Brésil. C’est pourquoi nous militons pour une organisation du travail, qui réduise les conflits, et pour aborder non seulement des thèmes syndicaux classiques, mais aussi les problèmes sociaux dans leur globalité.
Le syndicat a également soumis 200 propositions, dont l’intégration du travail dans l’agenda politique, la création de plus d’emplois, et la suppression du travail des enfants et l’éradication de l’esclavage. Autre champ de bataille, le développement des négociations collectives, notamment sur les rémunérations. Contrairement à l’Europe, les négociations se font jusque là au niveau de l’entreprise. Le patronat brésilien s’y oppose, car il craint une recrudescence de l’activité syndicale.
Nous défendons également l’insertion sociale et la redistribution des revenus. Il s’agit notamment de l’égalité homme-femme, mais aussi de la réforme des impôts, car la fiscalité au Brésil est profondément injuste. La réforme politique s’avère aussi un chantier urgent, l’émiettement des partis favorisant la corruption.
Dernier axe, la démocratie. Nous souhaitons que les salariés puissent participer aux décisions macro-économiques. Il faut leur ouvrir des espaces d’expression. Le monde de l’information doit aussi exprimer l’ensemble de la société, 15 familles verrouillant la presse et les autres médias.
Dans ces conditions, la CUT appuie la candidature de Dilma Rousseff, les propositions de sa plateforme, afin de pousser ses idées. CUT doit garder son indépendance, mais ne peut pas rester silencieuse.
Vous êtes régulièrement accusés d’être en résonance avec l’équipe gouvernementale actuelle ?
A la CUT, contrairement à certaines accusations, nous ne sommes pas à la botte du gouvernement Lula, malgré une histoire commune. Les syndicalistes étant monté au gouvernement ne sont plus syndiqués. Ils remplissent pleinement leurs nouvelles fonctions. Quant à Lula, il est clairement le Président de tous les Brésiliens.
D’ailleurs, nous avons lancé de nombreuses grèves depuis 8 ans, pas contre le gouvernement, mais pour défendre les salariés. Nous gardons un œil critique, mais bénéficions néanmoins, comme les autres syndicats, du fait que les mouvements sociaux ont regagné leurs lettres de noblesse. C’est un signal fort pour tous les salariés. Nous n’avons pas de raison de nous opposer au gouvernement, lorsque celui-ci prend des mesures favorables aux travailleurs. Il est vrai qu’une partie de la presse maintient de forts préjugés contre le monde syndical et le gouvernement.
Le gouvernement Lula est le fruit d’arbitrages, qui a supposé des alliances. Le vice président de la République, José Alencar Gomes da Silva, est un chef d’entreprise issu du secteur textile. Le Ministre de l’Agriculture est lié à l’agrobusiness et aux grands propriétaires. Le ministre du développement agricole est lié pour sa part à l’agriculture familiale. Ce gouvernement est en dispute perpétuelle. Ce sera la même chose avec Dilma Rousseff, si elle est élue au suffrage universel.
Quelles sont vos relations avec les autres organisations syndicales?
AH : Pour notre part, la CUT n’est ni réformiste ni contestataire. Nous prônons avant tout la liberté syndicale, l’autonomie. Nous nous opposons sur ce terrain à d’autres organisations immobilistes, qui plaident pour le statut quo et la défense de leurs privilèges. Néanmoins, il est évident que pour faire progresser certains dossiers, il est indispensable que les organisations syndicales s’unissent. De la même manière, pour aborder certaines réformes, il existe des unions de chefs d’entreprise.
Une scission a eu lieu vers 2003, quand une partie de notre mouvement a voulu s’associer au parti communiste. Cette dissidence, qui espérait capter 20% du mouvement, en a finalement attiré 7%. Cette tentative n’a pas empêche la CUT depuis 8 ans d’augmenter le nombre des salariés syndiqués sous sa bannière. Nous sommes opposés aussi au chèque syndical, même si ce dernier représente 36% de son budget. En effet, cette mesure contribue à figer les positions, en favorisant l’immobilisme de certains syndicats. Contrairement à certains syndicats, qui se transmettent gracieusement de père en fils, la CUT a limité ses mandats à 3 ans avec un seul renouvellement.
Nous plaidons aussi pour la ratification par le Brésil de la Convention 87 de l’OIT sur la liberté syndicale, même si d’autres syndicats ne sont pas d’accord.
Les ONG discutent-elles avec les entreprises ?
AH : Notre centrale syndicale a noué de nombreuses relations avec les ONG, notamment dans le domaine de l’économie solidaire comme les coopératives. Mais, au Brésil, la société civile est très large. On parle plutôt de mouvements sociaux, comme le MST (mouvement des sans terre), União Nacional dos Estudantes (UNE), la Marche Mondiale des Femmes (Marcha Mundial das Mulheres / UBM), le mouvement noir ou encore le mouvement d’habitation (les sans abris).
Quelques ONG dialoguent directement avec les entreprises. La RSE est aussi un moyen d’approfondir à la CUT les moyens de pression vis-à-vis des chefs d’entreprise, en s’opposant à la propagande marketing. Mais, leur discours a fait long feu. Lors de la chute de Lehman Brothers, les entreprises vantant leurs politiques de RSE ont été les premières à licencier, comme Embraer (secteur aéronautique) et la VALE (secteur minier). Ces pratiques indignes nous ont conduits à dénoncer leur irresponsabilité.
Tous les problèmes ont il été résolus ?
AH : Concernant le changement climatique, il est indéniable que la production de voitures a atteint un record sous l’ère Lula. De même, dans un autre domaine, les banques brésiliennes accumulent des super-profits, même s’ils restent inférieurs à ceux de l’époque d’hyper-inflation. La CUT critique d’ailleurs la politique de taux d’intérêt de l’administration Lula. Le coût de l’argent est à 11% pour une inflation à 5%.Ils sont trop élevés et ne poussent pas certains investisseurs à se lancer dans des investissements productifs.
Pour nous, la macroéconomie présente un effet de levier au plan social, qui doit à tout prix être encouragé. La politique du Conseil monétaire national repose dans les mains de trois personnes : leurs décisions freinent la consommation. Si l’inflation constitue un fléau, l’emploi et la croissance sont ignorés. Il faudrait démocratiser cette cellule en tenant compte des employeurs et des salariés. Ce conseil reste en effet étroitement lié aux acteurs des marchés financiers.
Il existe aussi d’autres problèmes structurels, comme la nécessité de renforcer la formation professionnelle : augmenter l’alphabétisation, étendre la main d’œuvre qualifiée. L’éducation n’a jamais été une priorité. Des choses existent comme dans la maîtrise d’ouvrage, le BTP ou encore dans la construction civile à
São Paulo. Il manque parfois des bras. Traditionnellement, les maçons qui provenaient de l’Etat du Nordeste. Avec les programmes sociaux, les personnes qui émigraient auparavant restent davantage dans leurs Etats d’origine. Nous préconisons des hausses de salaires là où sont les besoins pour attirer cette main-d’œuvre qualifiée et recherchée.

Quel regard portez-vous sur les grands problèmes internationaux?

AH : Concernant l’international, les pays du sud ont un rôle à jouer, mais pas nécessairement en opposition aux pays riches de l’hémisphère Nord. Il faut selon moi une unité pour surmonter la crise. Les risques de délocalisation du Brésil en Chine doivent être résolus par une amélioration des conditions de travail et de salaire en Asie, mais aussi par une capacité du Brésil à maintenir une forte demande intérieure. A ce titre, l’immigration et la mobilité ne constitue pas un problème au Brésil. Il faut créer des emplois, si possible de plus en plus qualifiés. La baisse de la durée du travail n’est pas non plus un tabou. Il faut harmoniser les conditions de travail, la même dose pour tous.
Les mesures du FMI vont aggraver la crise en Grèce, en cassant les velléités de croissance, en détruisant l’emploi. Tout cela pour sauver quelques banques américaines.
Nous sommes bien sûr aussi implantés dans de nombreuses multinationales présentes au Brésil. Le pays d’origine d’une entreprise compte peu. Notre syndicat tente de nouer des relations avec les salariés de leurs autres filiales et du siège, le réseau rendant plus fort. Nous suivons également de près le statut des salariés à l’étranger des multinationales brésiliennes, comme par exemple la grève des salariés de Vale Inco au Canada. 3.300 travailleurs ont cessé le travail, car la société veut limiter la prime sur le prix du nickel et instaurer un régime de retraite moins généreux pour les nouveaux employés.
Pour aller plus loin :
Site de l’AJIS
http://www.ajis.asso.fr/

Site de la CUT

http://www.cut.org.br/

Un article du Journal des Alternatives sur le syndicalisme brésilien

http://www.alternatives.ca/fra/journal-alternatives/publications/dossiers/forums-sociaux/forum-social-mondial-2010/article/bresil-le-syndicalisme-une-force

Syndicalisme et environnement

http://www.sustainlabour.org/index.php?option=com_content&task=view&id=570&Itemid=255

Brazilian Pact to Eradicate Slave Labour

http://www.reporterbrasil.com.br/pacto/conteudo/view/9

Belem : rencontre des syndicats, comme la CFDT, et des ONG

http://www.cfdt.fr/rewrite/article/17714/actualites/europe---international/monde/la-cfdt-pose-ses-marques-au-forum-social-mondial.htm?idRubrique=6866

Pour éviter la surchauffe, le Brésil taille dans les budgets

http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2010/05/17/04016-20100517ARTFIG00661-pour-eviter-la-surchauffe-le-bresil-taille-dans-les-budgets.php

Vale layoffs expose Brazil vulnerability to crisis

http://www.forexpros.com/news/general-news/update-3-vale-layoffs-expose-brazil-vulnerability-to-crisis-10897

Brazil's Embraer cuts more than 4.000 jobs

http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5inZWUsKeaVbsM_YlBDZuLjIs2hFQ