Connaissez-vous Books ? Cette revue de « l'actualité par les livres du monde » en est à son treizième numéro. J'avoue : je ne la lis pas régulièrement. Faute de temps, sans doute. Mais la dernière édition m'a tellement enthousiasmé que je n'en ai fait qu'une bouchée.
D'abord, il y a une masse incroyable d'informations – les journalistes qui apportent du news sont une race en voie d'extinction -. On lit par exemple que la nouvelle traduction du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir ne semble pas avoir meilleure presse que la première, celle de H. M. Parshley, tant décriée par la professeure de philosophie Margaret Simons qui lui reprochait, entre autre, de ne pas connaître l'usage marxiste du mot « aliénation ». La nouvelle traduction, parue fin 2009 grâce à l'aide du Centre National du Livre, est également pointée du doigt pour le mauvais usage de termes clés comme « genre » ou « sexualité », de « femme » (tantôt « woman », tantôt « women »), de « littérature féminine » (« feminine literature » ou « literature by women »), pour l'emploi anarchiques des temps, la défectuosité de la syntaxe, la structure des phrases et la ponctuation. Quelle liste de griefs.
On apprend aussi, grâce à Books que les trois romans les plus maudits de Céline – Bagatelles pour un massacre, L'Ecole des cadavres, les Beaux Draps (les plus grossièrement antisémites) - sont disponibles en édition pirate sur Internet mais interdits de publication par Lucette Destouches née Almanzor, sa troisème épouse, qui fêtera en juin ses 98 ans.
On découvre que Flaubert aurait traduit Candide de Voltaire. C'est du moins ce que croit savoir David Coward, professeur émérite à l'université de Leeds. Il se base sur un lettre écrite par l'auteur de Madame Bovary, datant de 1844 : « J'ai lu Candide vingt fois, je l'ai traduit en anglais ». Pour l'instant, personne n'a trouvé le manuscrit.
On se met à rêver que le dernier livre du Chinois Chen Guanzhong, « Shengshi Zhongguo 2013 » - 2013, l'âge d'or de la Chine – soit un jour traduit en français. 2013 : le capitalisme règne en maître dans l'empire du milieu, la communisme d'état aussi. Les deux personnages principaux du roman kidnappent un important responsable du PCC à qui ils arrachent une confession sur la manière dont le gouvernement a utilisé les troubles sociaux qui avaient suivi la crise pour raffermir son pouvoir, réduire à néant l'opposition et prendre le contrôle des esprits de la population, en injectant dans les canalisations une drogue euphorisante, qui avait en outre totalement fait oublier les événements aux citoyens. Le roman est déjà comparé au 1984 d'Orwell.
On lit, sidéré, qu'une biographie d'Eva Braun sort en Allemagne dans laquelle l'influence de la femme d'Adolf Hitler est réévaluée. Il paraît que le Führer faisait retoucher les photos – déjà ! – où elle apparaissait à ses côtés. Peut-être, comme le souligne l'article, parce qu'Eva Braun était loin d'incarner le modèle nazi de la femme allemande. Tout comme Hitler était loin d'incarner l'idéal aryen.
A lire aussi la très intéressante interview d'Ali Ansari, professeur d'histoire iranienne, sur l'évolution du régime des mollahs. Ou comment le guide suprême, le véritable numéro un, devient une sorte de « proto-monarque » qui cherche à débarrasser le régime islamique de son versant républicain. Et c'est précisément cet affrontement entre deux conceptions du pouvoir à laquelle on assisterait en ce moment. Ali Ansari parle d'état mafia où les Gardiens de la Révolution se sont vus attribuer une part de la rente pétrolière comme capital initial, ce qui leur a permis de développer plusieurs activités commerciales très juteuses.
Et puis, je vous conseille le dossier du dernier numéro sur l'instinct moral chez les humains. On apprend que Darwin, à l'encontre de la philosophie – Hume en particulier - acceptait l'idée d'une aptitude naturelle à la moralité chez l'homme. Laquelle trouverait des antécédents chez d'autres animaux – singes, pélicans, chiens -. Propos confirmés, entre autre, par le primatologue Frans de Waal sur lequel revient un article de The Times literary supplement. Vous pourrez aussi suivre les propos de Sarah Blaffer Hrdy, primatologue également et professeur émérite à l'université de Californie, selon laquelle les humains ont été « modernes au plan émotionnel » des centaines de milliers d'années avant de commencer à utiliser des symboles et un langage sophistiqué et de devenir « modernes au plan comportemental ». Dossier passionnant qui nécessite néanmoins une vive attention. Mais je suis sûr que vous n'en manquez pas.
Il y aurait bien d'autres lectures à vous conseiller dans cette dernière édition de Books comme celle sur « les vertus cachées des bidonvilles » dont la conclusion est que « les écologistes doivent saisir la chance offerte par l'urbanisation » et que « la ville verte est l'avenir de l'humanité ».
J'aurais pu aussi attirer votre attention sur le papier consacré à la « véritable histoire de Bonnie and Clyde » ou encore Abraham Sutzkever dont parlait Luis Sepúlveda dans Les rose d'Atacama – voir chronique dans ce blog -, du régime nord-coréen dont un livre de B.R. Myers nous dit qu'il est un vestige du fascisme des années 30 et non du stalinisme.
J'aurais pu mais ce serait vous priver d'une lecture instructive qui montre la nécessité d'aller toujours voir ailleurs ce qui se passe, ce qui se dit, au lieu de rester cloîtré dans ses frontières.
Longue vie à Books !