Comme souvent lorsqu’il s’agit de l’imposant programme d’avion de combat Lockheed Martin F-35 Lightning II, alias Joint Strike Fighter, les rebondissements successifs du dossier passent quasiment inaperçus en Europe. Ainsi n’a-t-on gučre entendu parler, de ce côté-ci de l’Atlantique, du doute qui envahit actuellement les Pays-Bas. Il n’est plus tout ŕ fait certain, en effet, qu’ils maintiennent leur participation, pour cause d’austérité budgétaire. Qui plus est, le pays traverse une crise politique compliquée, le gouvernement ne traite plus que les Ťaffaires courantesť et les décisions importantes devront attendre le résultat de prochaines élections.
A tort, quelques esprits éclairés qui croient encore ŕ la construction d’une Europe de la Défense laissent entendre que les états d’âme hollandais pourraient contribuer ŕ lézarder le volet européen de l’édifice F-35. Lequel, outre les Pays-Bas, comprend le Royaume-Uni, l’Italie, la Norvčge, le Danemark et, ŕ supposer qu’elle soit en Europe, la Turquie.
On ne dira jamais assez qu’il est étonnant que les Etats-Unis aient pu rassembler une participation européenne de cette ampleur. L’Australie et le Canada sont aussi parties prenantes, ce qui contribue ŕ expliquer l’importance industrielle (en męme temps que politique) prise par l’appareil de Lockheed Martin. Lequel pourrait répéter le succčs planétaire du F-16 (né General Dynamics avant de devenir Lockheed). Le Pentagone a prévu de commander trčs exactement 2.443 F-35 et, ŕ terme, les ventes ŕ l’exportation pourraient porter sur un millier d’exemplaires supplémentaires.
Dans ce contexte, on cherche en vain ŕ comprendre pourquoi l’industrie aéronautique britannique a renoncé ŕ ses ambitions ancestrales pour vendre son âme aux Américains. Elle a longtemps donné le ton, en concurrence avec Dassault, depuis l’époque lointaine des Gloster Meteor et de Havilland Vampire, pour tenir aujourd’hui un rôle de premier plan dans l’Eurofighter. Avec le F-35, elle se contente d’un rôle de simple partenaire dans une opération guidée depuis le Texas et, bien sűr, Washington. Rolls-Royce, en partenariat avec General Electric, sauve la face grâce ŕ un second type de moteur, prévu en complément de celui de Pratt & Whitney. Mais cette option risque ŕ tout moment de faire les frais d’une opération de réduction des coűts menée par le Pentagone.
Et l’Europe, dans tout cela ? Négligée, oubliée. Il faudra, un jour, retracer les origines de cet échec aux conséquences graves et multiples.
Autant le rappeler, en matičre d’avions de combat, les Pays-Bas n’ont jamais résisté ŕ la tentation américaine. S’ils devaient renoncer au F-35, on imagine volontiers qu’ils se rabattraient sur les versions les plus récentes de l’inépuisable F-16, toujours en production. Sans un regard pour le Rafale, ni le Gripen suédois.
En remontant le cours du temps, on constate que cette constance a démarré dčs la fin des années soixante. Les Pays-Bas et la Belgique, naturellement trčs proches depuis la création du Benelux (contraction de Belgique, Nederland, Luxembourg) avaient décidé en 1968 de choisir et commander conjointement leur nouvel avion de combat. La Haye voulait ŕ tout prix le biréacteur léger Northrop F-5 Feeedom Fighter, Bruxelles penchait vers un choix européen, en pratique le Dassault Mirage 5.
Finalement, l’alliance belgo-hollandaise fut rompue, suscitant le désarroi des Américains. Lesquels commencčrent alors ŕ s’inquiéter ouvertement des ambitions de Dassault, promu au rang de concurrent numéro 1. Ils le montrčrent clairement quelques années plus tard,en 1975, quand, autre grande compétition internationale, quatre pays européens décidčrent de procéder ŕ un choix commun pour continuer de moderniser leurs forces aériennes. Trois concurrents étaient en lice, le tout nouveau F-16 (encore au stade de démonstrateur technologique), le Saab Viggen et le Mirage F1E, version remotorisée du F1, avion déjŕ bien installé sur le marché.
Lŕ encore, Hollandais et Belges firent valoir leurs différences. Les seconds commencčrent par opter pour l’offre française puis, au dernier moment, firent marche arričre pour entériner le choix américain des Hollandais. Un rejet de l’Europe vertement critiqué.
Ce bref rappel historique permet d’affirmer, sans grands risques de se tromper, que les Pays-Bas continueront sans doute ŕ donner la préférence aux matériels militaires américains. Les Belges, qui ont renoncé trčs tôt au F-35 par manque de moyens financiers, finiront peut-ętre, tôt ou tard, par y revenir. Dčs lors, les défenseurs de l’Europe de la Défense auraient tort de se réjouir des actuelles hésitations hollandaises.
Pierre Sparaco - AeroMorning