Indifférence religieuse, visibilité de l'Église et évangélisation 5

Publié le 28 mai 2010 par Walterman

Dans le domaine de la présence de l'Eglise dans la société.

C'est sans doute le domaine auquel nous sommes le plus sensible, parce que c'est celui dans lequel l'affaiblissement de l'Eglise est le plus visible.

Et il ne s'agit pas seulement des institutions, mais aussi des pratiques liées à la Tradition catholique, et en particulier des pratiques sacramentelles, spécialement la messe du dimanche.

« Vos églises se vident ! », nous dit-on d'une manière péremptoire et passablement injuste. Dans la mesure même où la visibilité de l'Eglise catholique était assimilée à la pratique de ce que les pouvoirs publics eux-mêmes appelaient le « culte », il est évident que ces phénomènes de désaffection par rapport à la pratique du « culte eucharistique » sont considérés comme un symptôme que certains ne manquent pas de souligner.

Mais il y a sans doute plus grave : c'est la dissociation accentuée entre le culte, disons la pratique sacramentelle des fidèles, et la culture catholique. La seconde étant l'objet d'une réelle attention de la part des autorités culturelles et politiques, mais sans qu'elle soit habituellement rattachée à ce qui en demeure la source, la célébration du mystère de la foi.

Sans doute faudrait-il reconnaître que nous avons eu notre part de responsabilité dans ce domaine lorsque, il y a une quarantaine d'années, nous avons insisté sur la distinction, voire la séparation, entre le culte et la mission, en donnant parfois la priorité à la seconde et en dévaluant plus ou moins le premier.

Nous n'en sommes plus là et, aujourd'hui, il est évident pour la plupart des catholiques que la vie, la communion et la mission de l'Eglise ont leur source dans la prière, dans la liturgie, dans la pratique sacramentelle.

Il est certain que la culture ambiante tentait de voir l'Eglise de l'extérieur, et en particulier les bâtiments du culte souvent appréciés et entretenus selon une logique patrimoniale plus que spirituelle. Cependant, le fait qu'il y ait reconnaissance d'un christianisme de culture même chez des athées doit être reconnu par nous comme une donnée à prendre en compte positivement. L'approche culturelle de la religion est un fait foncièrement positif. Elle ne mêne pas automatiquement à la foi, mais s'il y avait un véritable oubli des fortes marques culturelles du christianisme, ce serait un obstacle supplémentaire à la foi. L'intérêt des personnes athées ou agnostiques pour l'inscription passée du christianisme dans la culture ne doit pas être regardé a priori comme un refus d'aller plus loin. La culture est ici comme une médiation qui permet à certains d'aborder de manière indirecte la question de leurs rapports avec le christianisme. Il reste de la responsabilité de chacun d'ouvrir alors un chemin qui puisse conduire de l'intelligence culturelle du christianisme à un engagement personnel vers la confession de foi.

Cet « affaiblissement »t ou cet amoindrissement de la visibilité de l'Eglise qui vaut dans le domaine de la pratique sacramentelle et de la liturgie vaut aussi dans le domaine social. Le vieillissement et la raréfaction des communautés de religieuses apostoliques, présentes notamment dans des quartiers populaires et dans des zones de pauvreté, en sont des symptômes très parlants. Et même si la volonté de présence réelle aux pauvres et aux oubliés de notre société demeure très forte dans la conscience catholique, il est certain que les moyens institutionnels manquent souvent pour manifester effectivement cette présence. On ne peut pas nier cette fragilité de l'Eglise au sein d'une société elle-même fragile.

Mais les remarques précédentes justifient une double constatation :

-       Tout d'abord, l'Eglise catholique se trouve souvent de plain-pied avec les incertitudes qui marquent notre société tout entière. Elle ne peut donc pas concevoir et pratiquer sa mission en dehors de ce contexte général. Elle est appelée à se tenir, avec son identité spécifique, sur ce que certains appellent « les fractures » de notre société.

-       La seconde constatation s'inspire d'un réalisme analogue. On ne peut plus reprocher à l'Eglise d'adopter une posture hégémonique en cherchant à régenter la société française. Et il nous appartient de faire à ce sujet la vérité et de la dire quand l'occasion se présente : c'est avec des moyens limités et même avec notre pauvreté réelle que nous exerçons la mission que le Christ nous a confiée : « réunir les enfants de Dieu dispersés » (voir Jean 11, 52).

Notre discernement spirituel doit se faire encore plus réaliste, en reconnaissant comment la puissance du Christ agit vraiment au milieu de cet affaiblissement institutionnel. Deux phénomènes majeurs méritent à cet égard d'être soulignés.

Il y a d'abord la vive conscience que beaucoup de membres de l'Eglise éprouvent d'être vraiment les membres d'un corps vivant, usé ou fatigué parfois, mais vivant d'une force qui lui est donnée : celle de la Charité du Christ. On peut parler d'une véritable conscience  sacramentelle qui s'éveille chez beaucoup de fidèles, quand ils comprennent qu'il ne s'agit pas pour eux de remplacer des prêtres moins nombreux, mais de participer, avec des prêtres, à l'œuvre du Christ en ce monde, être vraiment des signes vivants de sa Charité à lui. Les formes d'organisation sont secondes par rapport à cette conscience sacramentelle, car c'est à l'intérieur même de notre affaiblissement institutionnel que s'éveille souvent cette conscience de la sacramentalité de l'Eglise qui est alors perçue concrètement : l'Eglise n'est pas une production humaine. Tout en passant par nous, elle nous dépasse et elle nous demande de vivre et de témoigner de Celui qui est sa source et dont nous sommes les signes. Telle est l'expérience spirituelle que nous sommes appelés à faire dans ce domaine des réalités institutionnelles. Sans doute faudrait-il nous demander de quels moyens disposent nos communautés pour exercer leur discernement sur une telle évolution, qui touche aux racines de l'existence chrétienne.

Il faut aussi souligner un second phénomène, inséparable de cette évolution. Cette conscience de la visibilité sacramentelle de l'Eglise inspire et suscite des formes institutionnelles qui vont toutes dans le sens d'une réelle fraternité. Ces formes passent aussi bien par des communautés nouvelles que par le renouvellement de communautés anciennes, et notamment elles mettent souvent en œuvre une jonction étroite entre la liturgie et l'évangélisation, entre l'ouverture à Dieu et à son mystère de Don et la présence à des personnes marquées par les duretés de la vie et de la société. Mère Teresa, l’abbé Pierre et sœur Emmanuelle ont été des signes publics de ce que peut la Charité du Christ quand elle s’inscrit au-dedans des souffrances de nos sociétés parfois si dures ou si indifférentes. Mais il est juste de reconnaître que nos communautés ordinaires sont souvent capables d'initiatives analogues, souvent modestes et cachées, mais dont l'inspiration est très claire : il s'agit de témoigner activement du Christ Jésus, le Fils de l'homme qui vient « chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19, 10). Qu'il suffise aussi de mentionner la place des ONG chrétiennes parmi toutes celles qui s'engagent dans les diverses formes de précarité en France dans le monde, ou encore le nombre de chrétiens souvent présents dans de nombreuses associations de solidarité.

À travers cette visibilité sacramentelle, l'Eglise manifeste à la fois son origine et sa finalité : elle est signe du Christ pour le salut du monde. Et l'on peut alors comprendre que l'affaiblissement de ces structures n'empêche pas, mais au contraire libère et rend encore plus significative la révélation de son identité et de sa mission.