Nous vivons décidément une bien étrange époque… Alors que d’un côté les outils de communication n’ont jamais été autant développés, et accessibles à tous, nous ne pouvons nier le manque, ainsi que les difficultés, que les gens connaissent aujourd’hui en matière d’échange. Masques, apparences, jugements hâtifs au détour d’une conversation sans fondement sur les réseaux sociaux, ou encore ces perpétuels regards vides de zombies que l’on croise tous les jours dans le métro… Tout cela me donne la constante impression de vivre en immersion dans mon cervelet, bien bien loin de mes chers voisins, amis, voir même ma propre famille.
Dans ce contexte de descrescendo sentimental, j’ai tendance à accorder de moins en moins d’importance aux paroles dans la musique… Et, à chaque fois que j’entends une track Hiphop, je me demande comment font les rappeurs pour continuer de vivre par et pour cette scène bondée en déclin.
Cependant, c’est lorsque je tombe dans cette pensée négative, me poussant à renier mes longues années dans ce beau mouvement, que je découvre l’exception qui confirme la règle, RQM. Né en Pologne, ayant grandi à New York avant de s’envoler pour Berlin puis Barcelone, il est et reflète ce que beaucoup de gens ont perdu, cloitrés dans leurs petites vies routinières de sendétaires… Ce petit quelquechose dans les yeux qui signifie beaucoup. Mais comment parler d’un mec sans le connaître personnellement ? L’image de l’artiste que je me suis construite au travers de ses lyrics et de ses discours est-elle véridique ? Le meilleur moyen était donc de taper un brin de causette avec le man himself, histoire d’en savoir un peu plus sur le personnage :
Salut RQM, peux-tu d’abord te présenter aux lecteurs de Jekyll et Hyde ?
Je suis un lyricist / emcee, manager de mon propre label et résident à Berlin. Je suis également un amoureux de musique soul, un cuisinier convenable, un fumeur occasionel, un buveur de vin, un ancien végétarien, un dévoreur de livre, un fan de photos de gangsters, un connaisseur de street art, un punk avec un coeur, et enfin ce « next door down to earth cool kid ».
Tu as pas mal bourlingué dans ta vie, peux-tu nous dire ce qui t’y as poussé ?
La vie a plus ou moins tout orchestré d’elle-même. J’avais sept ans lorsque mes parents m’ont pris par le cul pour aller vivre à New York. Un peu plus tard, c’est une fille qui a volé mon coeur pour l’emmener vivre à Berlin – l’histoire n’ayant pas duré longtemps, j’y suis resté alors qu’elle s’en est allée. J’ai ensuite décidé de prendre un break avec la folie berlinoise, et suis parti en direction de Barcelone, avant de revenir à mon premier amour, Berlin.
Comment ces différentes capitales ont impacté ton travail, ta vision ?
Chaque lieu a sa propre histoire, son propre rythme, sa couleur, son goût, son énergie, et en tant qu’artiste tu tentes de t’imprègner du tout pour remplir ton âme, et le retranscrire au travers de ton art.
Quand je vivais à New York, la rue était ma principale source d’inspiration. C’est pourquoi lorsqu’on écoute mes premiers enregistrements, on y ressent beaucoup d’agressivité et de haine, à l’image de cette ville, sorte d’immense cocotte minute. La vibes berlinoise est quant à elle définie par ces lourds hivers grisonnants où tu passes la majeure partie de ton temps en huit clos à peaufiner ton travail. Ce qui lui donne cet aspect minutieux et détaillé. La ville est aussi technoïde par nature, une techno qui se mélange à tous les autres styles, comme l’a fait le Hiphop pour New York.
A côté de ça, Barcelone m’a aussi permis de ré-apprécier le côté soul dans la musique, en comparaison à Berlin qui reste une ville très cérébrale.
Berlin et Barcelone sont également deux capitales renommées pour leurs scènes street… Exposant à la face du monde que les artistes qualifiés d’underground peuvent y vivrent de leur art, mais ceci est-il aussi facile qu’il n’y paraît ?
Berlin devient de plus en plus chère mais cela reste toujours abordable. Et puis, tu sais, il y a tellement d’espace ici… C’est une énorme ville par rapport au standard européen. De plus, il y a très peu d’industries ainsi que d’habitants, ce qui me pousse à penser que cela prendra plus de temps avant que l’argent n’envahisse tout.
Ce qui est par contre le cas pour Barcelone, où les prix ont diaboliquement augmenté à cause de la spéculation immobilière… Il n’est pas facile d’y vivre et lorsque j’y résidais, j’ai dû me battre pour rester à flot et prendre des choix difficiles comme mettre fin à mes side-projects pour me consacrer à ma carrière solo. Et bien que ça n’a pas été facile, cela m’a permis de repartir de zéro, ce qui n’est pas si mal !
Enfin, pour revenir à ta question, l’ideal serait de pouvoir combiner Berlin et Barcelone… Ca donnerait une ville parfaite !
Contrairement à beaucoup d’artistes Hip Hop, tu as décidé d’ouvrir ton univers à des collaborations inattendues telles qu’avec Jahcoozi, Siriusmo, The Glue Kids… Comment se sont passées ces collabs ?
J’aime les gens et j’aime découvrir de nouvelles musique, alors le meilleur compromis c’est de constamment travailler avec de nouvelles personnes. Le plus drôle dans tout ça, c’est que j’ai rencontré la plupart d’entre eux en dehors du circuit classique, et que nous formons maintenant une véritable famille.
RQM – ATOMIC FUSION (PRODUCED BY SIRIUSMO) by rqmpropaganda
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Penses-tu que cela soit une clé du succès ? Ou une manière de repousser les barrières, développer de nouveaux styles ?
Je ne pense pas qu’il y ait une formule type pour réussir, mais ce dont je suis certain c’est que si tu ne t’accroches pas bec et ongles à ton projet, tu n’y arriveras jamais. Alors bien sûr, de temps à autre, quelques chanceux se retrouvent propulsé sur le devant de la scène, souvent grâce à un bon timing, cependant il ne faut pas oublier que le reste a travaillé dur pour y arriver ! Alors quand tu fais quelquechose de neuf, t’as moyen d’avoir quelques points bonus, si toutefois tu arrives à toucher un public disposé à t’écouter. Parce qu’il ne faut pas perdre de vue qu’en jouant la carte de l’innovation, tu prends aussi le gros risque de te ramasser.
Regarde par exemple la musique électronique que tout le monde écoute depuis trois, quatre ans, ce n’est rien d’autre que ce que produisaient une poignée d’anciens il y a une dizaine d’années, et qui aujourd’hui n’en récoltent que les miettes… Et ce parce que le public n’était pas encore prêt.
Pourrais-tu me citer les artistes qui t’ont inspiré dans ta carrière ? T’ont permis d’apprendre quelquechose ?
Il y en a tellement… Lorsque j’étais gamin, j’ai pris une grosse claque en écoutant l’EP de Michael Jackson « Thriller », qui je pense m’a tout appris sur la structure d’un bon morceau. J’ai ensuite bloqué sur l’esthétique synthétique de Whodini, puis une liste d’emcee sans fin… Q-tip, par exemple, qui est sans conteste le mec qui s’adapte le mieux à n’importe quel pattern, et qui se cale parfaitement sur une instrumentale. Biggie Smalls m’a appris l’art de savoir raconter une histoire, Busta Rhymes celui d’être percutant, Saul Williams d’incorporer un côté spirituel dans mes lyrics, et puis le côté Jay-Z qui est un excellent producteur, sachant comment retravailler son beat afin de le rendre coulant sur son flow…
Bref, je vais tout simplement m’arrêter là car la liste serait trop longue, surtout si je commence à dériver vers d’autres styles tels que le Jazz, le NYC Hardcore, l’Electronica…
Bon, j’ai quand même une question délicate à te poser… En tant qu’Emcee, crois-tu encore en l’avenir de la culture Hip Hop ?
Je pense que dès le départ le Hip Hop était un mouvement porté sur l’évolution, tout était question d’apporter un nouveau style dans la rue avec des acteurs d’une scène sans cesse à la recherche d’innovation que ce soit dans le Emceeing, le Breakdance ou le Djing. Et puis, dans le milieu des années 90, la seconde génération a tenté de stopper cette évolution en y associant des stéréotypes figés en guise d’image de marque – ce qui en un sens l’a tué. C’est devenu un mouvement éteint, obsédé par l’âge d’or d’un passé décidement trop lointain – et tu sais bien que rester focalisé sur le passé plutôt que de se tourner vers le présent ou le futur n’apporte que du négatif…
Toujours est-il que les mecs qui avaient compris que le Hip Hop n’était qu’une histoire d’évolution ont transposé leurs styles et leurs visions à d’autres mouvements tels que la Jungle, la D&B, puis le Grime, et maintenant le Dubstep avec tous ses glitchs… On peut donc finalement affirmer qu’il est revenu à ses vertus d’origine, c’est à dire un mouvement en constante évolution vivant, mutant et se répandant un peu partout… A la manière d’un virus.
Comme je le disais dans l’intro, penses-tu que le Hip Hop a encore le pouvoir de transmettre un message à son audience ?
Oui bien sûr, lorsque ceci est fait de la bonne manière et au bon moment ! D’autant plus qu’avec l’avalanche de mauvaises productions que l’on connaît actuellement, la demande de son de bonne qualité va naturellement augmenter. Je pense vraiment qu’à force d’entendre des lyrics comme » bling bling player player drugs drugs ass ass money money », le public va apprendre à filtrer la bonne musique.
Alors, si tu pouvais pirater un programme de MTV, quel message adresserais-tu aux téléspectateurs ?
Eteins ta télé, ça provoque des tumeurs cérébrales.
Qu’est-ce qui tourne dans ton MP3 en ce moment ?
J’écoute beaucoup de Robot Koch, il a réellement un don pour ramener un brin de soul dans l’électro. Son nouveau Ep « Listen to them fade » est une vraie bombe !
J’écoute aussi beaucoup de Mount Kimbie, c’est très mûr comme son, avec un très beau travail sur les textures, ça revisite l’IDM à une sauce Dubstep de bon goût ! Le dernier Gil Scott Heron est aussi une pure merveille, hanté à la manière des vieux skeuds de Johnny Cash – chaque son représente la mort.. ça devrait d’ailleurs être son album d’adieu.
Et enfin les mecs de Electric Wire Hustle de Nouvelle Zeland, style soul très inspiré, un mix entre du D’Angelo et Voo Doo.
Nous prépares-tu quelquechose pour cet été ?
Je travaille sur un nouveau projet en collaboration avec les artistes de 44 Flavours ainsi qu’un projet de broadcast Berlin – Tokyo avec mon label Japonais « Hydra ».
Un petit mot sur le mix que tu nous a concocté avec ton pote Dj Tres pour accompagner cette interview ?
Dj Tres est un très bon pote à moi qui fait partie des Glue Kids. Nous avons concocté ce podcast à l’aide des derniers morceaux que nous kiffons en ce moment, dans différents univers mais en gardant toujours la même énergie. Il est graduel, mais je pense que ça se ressent surtout lorsqu’ on a fumé quelquechose avant de l’écouter… En tout cas j’espère que vous apprécierez !
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