J’avais déjà abordé la question des nouvelles frontières vie professionnelle/vie privée dans un précédent billet. Le salarié est de plus en plus sollicité lors de son temps privé (téléphone portable, connexion à distance), ce qui est bénéfique pour son employeur et souvent pour le couple employeur/employé quant à l’avancement des dossiers. A contrario, il va passer ponctuellement des appels ou répondre à un mél urgent sur son temps de travail (par exemple, problème de fuite d’eau dans son appartement à résoudre au plus vite). Plus récemment la question de l’usage des réseaux sociaux (que ce soit au sein de l’entreprise ou à domicile) se pose. Notamment Facebook qui avait déjà fait parler de lui à propos d’une salariée québécoise en arrêt maladie qui affichait une santé insolente sur sa page Facebook loin de la déprime officielle. Et en France, ce furent trois salariés d’Alten qui ont été licenciés pour avoir échangé sur le mur de leur compte Facebook des informations de nature à dénigrer l’entreprise et inciter à la rébellion. Les propos échangés en dehors des horaires et des lieux de travail ont ensuite été recopiés par un autre salariéqui les a adressés à sa hiérarchie dénonçant ainsi ses collègues et ouvrant la porte à la délation. J’ai d’ailleurs été interrogé sur la chaîne Public Sénat à ce sujet.
En ce qui concerne cette affaire dont l’origine remonte à décembre 2008, la question de la validité des licenciements est épineuse. Le conseil des Prud’hommes n’a, à ce stade, pu trancher car le caractère public ou privée des informations échangées était difficile à évaluer. Les questions qui se posent sont doubles :
- le salarié peut-il publiquement critiquer son employeur / sa hiérarchie (qui ne sont pas tout à fait sur le même plan) ? La jurisprudence indique que la critique est possible mais celle-ci doit être faite dans la limite de l’obligation de loyauté du salarié et ne doit pas tomber dans l’injure ou la diffamation. Elle doit être factuelle.
- l’employeur peut-il sanctionner le salarié sachant que les propos sont tenus via son compte personnel sur Facebook ?
Les principes de vie privée et de correspondance privée demeurent. Et tout citoyen peut librement s’exprimer et ne peut être sanctionné pour ses correspondances privées.
En ce qui concerne la deuxième question qui a trait au caractère même du mur de Facebook, celle-ci ne peut être tranchée facilement. Si les propos échangés via la messagerie de Facebook sont assimilables à des échanges privés (quoi qu’un mél peut ensuite être redirectionné à d’autres utilisateurs, cf. l’affaire de l’étudiant d’HEC David H), les informations publiées sur le mur d’un compte Facebook relèvent d’un espace que l’on pourrait considérer à cheval entre le public et le privé, car accessible à l’ensemble des contacts (amis) de l’internaute. Et dans la mesure où les paramètres de confidentialité de son compte n’ont pas été bien réglés, ces informations publiées sont accessibles à une plus large communauté d’internautes.
En outre, en matière de droit de la presse, les tribunaux jugent les propos publics lorsqu’ils sont adressés à « diverses personnes qui ne sont pas liées entre elles par une communauté d’intérêts » [Cassation Criminel 24/01/1995 / Cassation civil 23/09/1999]. C’est le cas d’une lettre ouverte. Les amis sur Facebook n’étant pas liés par une communauté d’intérêt, les propos publiés sur un mur Facebook pourraient être considérés comme publics. En revanche, ceux publiés sur un groupe (par exemple groupe créé par les salariés d’une entreprise et réservé à eux seuls) pourraient être assimilés à des échanges privés.
En attendant que la jurisprudence se forge sur Facebook et les réseaux sociaux, et même si les salariés licenciés obtiendront vraisemblablement gain de cause, les principes de précaution s’imposent. Et les entreprises ont intérêt à clarifier l’usage des outils numériques aussi bien dans les sphères professionnelles que privées via des chartes, sensibilisations, etc.