La langue portugaise possède un aphorisme lucide et expressif : « Grand navire, grands tourments ». Si l’on veut comprendre réellement ce qui se passe en Chine, il est nécessaire de voir au-delà de la coque gigantesque et des belles voiles : comment va l’équipage ? sait-il pêcher ? où en sont les vivres ? et finalement, quelle est sa route ? Peu de commentateurs occidentaux ont adopté cette perspective.
Lorsque l’on relit les classiques de stratégie chinoise, on s’aperçoit que celle-ci se fonde sur un positionnement isolé fondé sur un sentiment de supériorité. Ainsi, Mao Tsé-Toung expliquait-il clairement qu’ « Etre attaqué par l’ennemi est une bonne chose ; en ce qu’il nous concerne, qu’il s’agisse d’un individu, d’une armée, d’un parti, d’une école ; j’estime que l’absence d’attaque de l’ennemi est une mauvaise chose, car elle signifie nécessairement que nous faisons cause commune avec l’ennemi. Si nous sommes attaqués par l’ennemi c’est une bonne chose, car cela prouve que nous avons établi une ligne de démarcation bien nette entre lui et nous. Et si celui-ci nous attaque avec violence, nous peignant sous les couleurs les plus sombres et dénigrant tout ce que nous faisons c’est encore mieux, car cela prouve non seulement que nous avons établi une ligne de démarcation nette entre l’ennemi et nous, mais encore que nous emporté des succès remarquables dans notre travail. »( La main invisible des puissances, Christian Harbulot, édition ellipse). La muraille de Chine, la démarcation nette, est bien plus présente que ne le laisse supposer ses ruines. L’Empire du milieu se voit toujours au centre du monde et les gweilo, étrangers de race blanche, ne sont que des barbares à éduquer. Encore récemment, selon Xue Chen, de l’Institut des études internationales de Shangai : « Les Etats Unis ont beaucoup à demander à la Chine. Mais en retour, les Etats Unis ont peu à offrir à la Chine. » (Money Week, « Stabilité et croissance en Chine ? Ne comptez pas là-dessus », par Bill Bonner)
Cependant, la Chine a perdu ses empereurs à la fin du XIXème siècle : les Européens ont humilié les Qing avec les guerres de l’opium réduisant l’économie de ce quasi-continent au commerce d’une drogue et sapant la confiance des Chinois dans leur système politique. Devenu un colosse aux pieds d’argile, la Chine a tenté au XXème siècle de se trouver une destinée entre les guerres fratricides de Mao, Tchang KaÏ-Chek, Liu Shaoqi, Lin Biao… Puis, il y a trente ans, Deng Xiaoping, l’ancien étudiant de la place d’Italie devenu chef suprême de la Chine, proclame qu’ « Il est glorieux de s’enrichir ». L’Empire du milieu se met alors en marche : des millions de Chinois prennent goût au système capitaliste et essayent désormais de battre les gweilo à leur propre jeu. Les Etats Unis et l’Union européenne deviennent leurs premiers partenaires commerciaux.
Mais un Empire ne connait pas la notion la demi-mesure. Lorsqu’en 2008-2009 le commerce mondial s’effondre avec fracas: elle continue de produire à un rythme effréné alors que les européens et américains redécouvrent le plaisir de l’épargne et que les centres commerciaux chinois se vident.
Les dépenses de relance intérieures ne se font pas attendre : l’impression de devises augmente de 30% par an, les dépenses d’investissement ont grimpé de 200% depuis de 2001. Le pays du milieu marque sa grandeur en devenant le plus grand acheteur de matières brutes : elle consomme 30% de l’aluminium mondial, 40% de son cuivre…mais il ne représente que 10% de la production mondiale. Quelle utilisation les cadres du parti réservent-ils donc à ces matières ? la création de nouvelles usines, qui ne serviront à rien, et des infrastructures, qui ne sont pas nécessaires : la Chine a 5 fois moins de rivières que les Etats Unis mais presque autant de ponts… (Money Week, « Les dépenses de relance de l’économie : les secteurs morts sucent le sang des vivants » Bill Bonner). Les glorieux plans de relance ne font ainsi que créer un bulle de capital-investissement.
La Chine combine aujourd’hui une économie dirigée par des cadres rigides, incapable de rebondir, et un problème de démographie explosif, également provoqué par la politique centralisée. En effet, la politique de l’enfant unique lancée en 1979 et imposée drastiquement aux couples chinois (sanctions de salaire, promotions…) a conduit à un véritable infanticide. Les petites filles ont ainsi été sacrifiées : certaines régions atteignent le score de 135 hommes pour 100 femmes ! La population en âge de travailler a décliné inexorablement : il y avait 7 travailleurs pour une personne âgée en 1990, aujourd’hui ils sont 4, en 2035 ils seront 2… Le PC visionnaire n’avait pas compris cette simple relation de cause à effet : filles manquantes, femmes manquantes, enfants manquants. Il semblerait que l’infanticide de filles soit une vieille tradition en Chine : au XIXème siècle, 1 homme sur 4 ne trouvait pas d’épouse, il était une « branche nue » qui n’allait pas donner de fruits ; ces branches nues se sont révoltées. En 2020, il y aura entre 30 à 40 millions d’hommes chinois condamnés à être célibataires. Le PC a intérêt à redresser l’économie nationale d’ici là s’il ne veut pas se retrouver avec des « branches nues » dans la misère prêtes à considérer qu’il n’a plus le « mandat du ciel ».
Alice Lacoye Mateus