Avec pareil titre, on aurait pu croire à une série explorant les méandres de la psychologie humaine ou les défaillances cérébrales de quelques individus venus consulter leur psychiatre, ce que l'affiche ci-contre, ne démentit pas totalement. "Mad Men" n'a pourtant rien à voir avec cela. Cette série du créateur des Soprano qui nous plonge dans le New York des années 60, tire son titre d'une célèbre artère de la metropole : Madison Avenue, qui depuis les années 20, concentre les sièges des agences de publicité (ici elle s'appellera Sterling Cooper Advertising Company).
Au coeur de New York, la quête de gloire et la face sombre de personnages confrontés à une société en mutation.Dans un open space de Madison Avenue donc, les secrétaires forment une sorte de gynecée totalement au service des têtes pensantes de l'agence, toutes de sexe masculin qui se cloitrent dans des bureaux fermés. Elles sont séparées d'eux par leur positionnement spatial mais aussi par les tâches qui sont les leur.
Dans ce monde régi par l'ambition et le machisme, les cicatrices laissées par la deuxième guerre mondiale et celles issues de la sphère privée viennent créer des aspérités sur les apparences lisses. Les fantômes du passé sont bien présents dans la série et chaque personnage, s'il affiche un costume toujours impeccablement coupé, ou une robe aussi chic que sobre, possède sa face noire. Don Draper a changé d'identité durant la guerre, Peggy son ancienne secrétaire qui intègre l'équipe des créatifs a abandonné son enfant, Betty Draper traine une mélancolie nourrie de la perte de sa mère et de relations complexes avec son père etc. Dans un emballage toujours élégant et de bon goût en société, les névroses, les mensonges, les lachetés inavouables, viennent évoquer la face sombre, les interrogations d'une société en mutation, celle de la "nouvelle frontière" de JFK.
American way of life et consommation de masse : les 60's, années symboles des 30 glorieuses.
Il est impossible, en suivant "Mad Men", de ne pas reconnaitre dans le couple Don et Betty Draper, une transposition quasi gémellaire de celui formé par April et Franck Wheeler dans le roman de Richard Yates, "Revolutionnary road" récemment adapté au cinéma par Sam Mendes (et diffusé en France sous le titre assez mystérieux de "noces rebelles").
Le tableau de mœurs n'est toutefois pas artificiel. Il s'ancre profondément dans les années 60 de part les costumes, les décors au design savamment étudié. Les tabous sociaux, tel celui de la fille-mère (la future créative de l'agence Peggy Olson est contrainte d'abandonner son enfant ce qui l'oblige à une double confrontation, familiale et avec l'église) ou de l'homosexualité sont une des trames narratives de la série durant plusieurs épisodes et saisons. Il en va de même des grandes évolutions socio-politiques de cette décennie (accès des femmes au monde du travail et égalité des salaires, lutte des Afro Américains pour les droits civiques).
Enfin, la série est aussi l'occasion de plonger aux sources de l'ère de la consommation de masse. Chez Sterling Cooper se créent en effet, les nouvelles publicités pour les accessoires indispensables de l'élégance féminine (le rouge à lèvres, le soutien gorge etc), de la vie de famille (les couches Pampers). La firme affute aussi les arguments de vente de produits plus subversifs (les cigarettes Lucky Strike avec le fameux "it's toasted") le rhum Baccardi dont le traitement publicitaire est soumis à une réflexion stimulée par la marijuana , ou encore les nouveaux produits de consommation comme "patio" la version light du soda Pepsi.
Mad Men et JFK : 3 épisodes en guise d'épilogue.
Le tournant des années 50-60 aux Etats-Unis nous renvoie immanquablement à John F. Kennedy. La saison 1 évoque deux fois l'ascension de l'héritier catholique du riche clan de Yanis Port. Dans un premier temps un débat oppose les principaux dirigeants de la compagnie aux créatifs sur le profil des deux candidats (épisode "red in the face" saison 1 épisode 7). Il est alors palpable qu'au delà des particularités des deux prétendants (dont le catholicisme de JFK et le côté impitoyable de Nixon évoqué par le duel qui l'opposa pour le siège de sénateur de Californie à Helen Douglas), le combat pour la magistrature suprême opère un clivage générationnel. Les quadras et les dirigeants de la compagnie misent sur Nixon, jugeant Kennedy superficiel et sans expérience. Les jeunes se placent à l'opposé.
L'épisode 12 de cette même saison 1 se déroule le jour même de l'élection et s'ouvre sur le journal télévisé montrant les américains qui se rendent aux urnes. On peut suivre le dépouillement des résultats avec les employés de Madison Avenue qui s'installent pour la nuit au bureau. L'élection est serrée : Kennedy rattrape son retard, Nixon prend l'Idaho sachant qu'au final Kennedy ne l'emporta sur Nixon qu'avec 49.9% des voix contre 49.6% à son adversaire 1. La série évoque même la rumeur selon laquelle le vieux Joe Kennedy, patriarche du clan, aurait acheté des voix via la pègre pour faire pencher certains comtés en la faveur de son fils.
Post-sciptum : Mad Men marque aussi l'histoire des séries TV par son générique fortement inspiré de ceux que fit Saul Bass notamment pour Hitchcock ("Vertigo" en 1958) ou Otto Preminger ("the man with the golden arm"en 1955).
1 : voir Romain Huret, De l'Amérique ordinaire à l'état secret, le cas Nixon. presses de sciences PO. 2009Original post blogged on b2evolution.