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Mad Men : une élégante immersion dans la société américaine des années 60

Publié le 16 mai 2010 par Bricabraque

Avec pareil titre, on aurait pu croire à une série explorant les méandres de la psychologie humaine ou les défaillances cérébrales de quelques individus venus consulter leur psychiatre, ce que l'affiche ci-contre, ne démentit pas totalement. "Mad Men" n'a pourtant rien à voir avec cela. Cette  série du créateur des Soprano qui nous plonge dans le New York des années 60, tire son titre d'une célèbre artère de la metropole : Madison Avenue, qui depuis les années 20, concentre les sièges des agences de publicité (ici elle s'appellera Sterling Cooper Advertising Company).

Au coeur de New York, la quête de gloire et la face sombre de personnages confrontés à une société en mutation.

Dans un open space de Madison Avenue donc, les secrétaires forment une sorte de gynecée totalement au service des têtes pensantes de l'agence, toutes de sexe masculin qui  se cloitrent dans des bureaux fermés. Elles sont séparées d'eux par leur positionnement spatial mais aussi par les tâches qui sont les leur. 

Elles subissent leurs avances, leurs regards appuyés et entreprenants, mais ne sont pas toujours aussi innocentes qu'elles en ont l'air. Le créatif de l'agence Don Draper, l'homme par qui le slogan arrive, par qui la campagne fait mouche et le client est fidélisé est entouré de toute une horde de jeunes loups aux dents longues qui se livrent une concurrence acharnée, bien qu'élégamment vétue, pour grimper les échelons de la hiérarchie. La cordialité est de façade, il s'agit ici de faire carrière et de décrocher des marchés. 

Dans ce monde régi par l'ambition et le machisme,  les cicatrices laissées par la deuxième guerre mondiale et celles issues de la sphère privée viennent créer des aspérités sur les apparences lisses. Les fantômes du passé sont bien présents dans la série et chaque personnage, s'il affiche un costume toujours impeccablement coupé, ou une robe aussi chic que sobre, possède sa face noire. Don Draper a changé d'identité durant la guerre, Peggy son ancienne secrétaire qui intègre l'équipe des créatifs a abandonné son enfant, Betty Draper traine une mélancolie nourrie de la perte  de sa mère et de relations complexes avec son père etc. Dans un emballage toujours élégant et de bon goût en société, les névroses, les mensonges, les lachetés inavouables, viennent évoquer la face sombre, les interrogations d'une société en mutation, celle de la "nouvelle frontière" de JFK. 

 American way of life et consommation de masse : les 60's, années symboles des 30 glorieuses.

Il est impossible, en suivant "Mad Men", de ne pas reconnaitre dans le couple Don et Betty Draper, une transposition quasi gémellaire de celui formé par April et Franck Wheeler  dans le roman de Richard Yates, "Revolutionnary road" récemment adapté au cinéma par Sam Mendes (et diffusé en France sous le titre assez mystérieux de "noces rebelles").

 
Même cadre de vie, bien sûr, celui de la banlieue asseptisée et standardisée avec sa maison coquette, son frontyard garden ouvert sur le monde extérieur, sa cuisine équipée sur laquelle Betty Draper règne de moins en moins, ses espaces privés, les chambres, dans lesquels sont filmées toutes les tensions qui traversent la vie du couple ou de la famille. Affublés de deux enfants, un garçon, une fille, les Draper y mènent une vie relativement ennuyeuse ; leur couple paie le prix fort pour accéder au  standing social de la banlieue car les trajets pendulaires de Don montrent bien que cet éloignement lui permet de dégager des rendez vous adultérins, loin de chez lui, à Manhattan. Comme souvent dans les séries américaines, la réussite matérielle affronte l'épanouissement personnel à l'intérieur de la cellule familiale, rendant la première difficilement conciliable avec le deuxième. 

Le tableau de mœurs n'est toutefois pas artificiel. Il s'ancre profondément dans les années 60 de part les costumes, les décors au design savamment étudié. Les tabous sociaux, tel celui de la fille-mère (la future créative de l'agence Peggy Olson est contrainte d'abandonner son enfant ce qui l'oblige à une double confrontation, familiale et avec l'église) ou de l'homosexualité sont une des trames narratives de la série durant plusieurs épisodes et saisons. Il en va de même des grandes évolutions socio-politiques de cette décennie (accès des femmes au monde du travail et égalité des salaires, lutte des Afro Américains pour les droits civiques).

L'originalité de la série, sa marque de fabrique, peut-on même dire est qu'elle ne fait aucune concession au politiquement correct de notre époque qui semble, par effet de miroir, soit bien plus austère, soit bien plus consciente ; dans "Mad men" la cigarette est omniprésente ; tout le monde fume : les hommes, les patrons, les employés, les secrétaires, les femmes d'affaires, jusqu'à Betty Draper aux derniers mois de sa grossesse, au petit déjeuner, au lit, au bureau où dans la salle d'attente de la maternité. Les associés de Sterling Cooper clôturent rarement une journée sans un verre de bourbon. Les soucis environnementaux sont aussi insignifiants qu'ils sont envahissants aujourd'hui. Cette légèreté face à des enjeux si oppressants aujourd'hui porte en elle la marque d'une époque, qui, en dépit d'un contexte international et national tendu, se projette dans des marqués du sceau du progrès.

Enfin, la série est aussi l'occasion de plonger aux sources de l'ère de la consommation de masse. Chez Sterling Cooper se créent en effet, les nouvelles publicités pour les accessoires indispensables de l'élégance féminine (le rouge à lèvres, le soutien gorge etc), de la vie de famille (les couches Pampers). La firme affute aussi les arguments de vente de produits plus subversifs (les cigarettes Lucky Strike avec le fameux "it's toasted") le rhum Baccardi dont le traitement publicitaire est soumis à une réflexion stimulée par la marijuana , ou encore les nouveaux produits de consommation comme "patio" la version light du soda Pepsi.

Mad Men et JFK  : 3 épisodes en guise  d'épilogue.

Le tournant des années 50-60 aux Etats-Unis nous renvoie immanquablement à John F. Kennedy. La saison 1 évoque deux fois l'ascension de l'héritier catholique du riche clan de Yanis Port. Dans un premier temps un débat oppose les principaux dirigeants de la compagnie aux créatifs sur le profil des deux candidats (épisode "red in the face" saison 1 épisode 7). Il est alors palpable qu'au delà des particularités des deux prétendants (dont le catholicisme de JFK et le côté impitoyable de Nixon évoqué par le duel qui l'opposa pour le siège de sénateur de Californie à Helen Douglas), le combat pour la magistrature suprême opère un clivage générationnel. Les quadras et les dirigeants de la compagnie misent sur Nixon, jugeant Kennedy superficiel et sans expérience. Les jeunes se placent à l'opposé. 

L'épisode 12 de cette même saison 1 se déroule le jour même de l'élection et s'ouvre sur le journal télévisé montrant les américains qui se rendent aux urnes. On peut suivre le dépouillement des résultats avec les employés de Madison Avenue qui s'installent pour la nuit au bureau. L'élection est serrée : Kennedy rattrape son retard, Nixon prend l'Idaho sachant qu'au final  Kennedy ne l'emporta sur Nixon qu'avec 49.9% des voix contre 49.6% à son adversaire 1. La série évoque même la rumeur selon laquelle le vieux Joe Kennedy, patriarche du clan,  aurait acheté des voix via la pègre pour faire pencher certains comtés en la faveur de son fils.

La saison 3 consacre enfin un épisode l'assassinat de Kennedy.  Avant dernier épisode de la saison, intitulé "the grown-ups", il montre l'effet de sidération produit par l'attentat de Dallas, l'arrestation de Lee Harvey Oswald puis son assassinat par Jack Ruby. Ce basculement de l'histoire des Etats-Unis dans la période des assassinats politiques accompagne le basculement des relations entre les personnages et en particulier celui du couple Don et Betty Draper.

Post-sciptum : Mad Men marque aussi l'histoire des séries TV par son générique fortement inspiré de ceux que fit Saul Bass notamment pour Hitchcock ("Vertigo" en 1958) ou Otto Preminger ("the man with the golden arm"en 1955). 

Veuillez installer Flash Player pour lire la vidéo     1 : voir Romain Huret, De l'Amérique ordinaire à l'état secret, le cas Nixon. presses de sciences PO. 2009

Original post blogged on b2evolution.


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