Metteur en scène incontournable du cinéma de genre transalpin, Dario Argento a marqué de son sceau le cinéma fantastique des 30 dernières années avec des oeuvres aussi essentielles et incoutournables que Suspiria (chef d'oeuvre absolu et véritable tableau vivant), Profondo Rosso (meilleur giallo de l'histoire du cinéma) ou encore Ténèbres (thriller glaçant à l'atmosphère anxiogène).
S'il s'est fourvoyé ces dernières années dans des films indignes de son talent (mais peut-être a-t-il perdu la foi...), Le syndrome de Stendhal, sorti en 1996, constitue une oeuvre d'une beauté, d'une intelligence et d'une richesse thématique remarquables, rappelant qu'Argento est un plasticien hors pair doublé d'un analyste d'une justesse rare sur la condition humaine.
Le film raconte l'histoire d'Anna (sublime Asia Argento), jeune inspectrice de police enquêtant sur une série de meurtres à Rome et à Florence. Anna souffre du syndrome de Stendhal, pathologie se caractérisant par une émotion exacerbée au contact de certaines oeuvres d'art, qui peut plonger la personne qui en est victime dans un état extatique et une transe incontrôlable. Un étrange lien va se tisser entre Anna et le tueur, jusqu'à la mener aux confins de la folie.
Le syndrome de Stendhal est avant tout une oeuvre extrêmement sensitive, qui s'adresse par le biais de l'image à notre rapport à l'art, et aux émotions que l'oeuvre d'art peut provoquer chez celui qui la regarde. Le motif du regard est ainsi au centre du film, et sa mise en perspective dans le cadre de la détermination d'une oeuvre comme étant une oeuvre d'art constitue le coeur du récit. En effet, Argento sous-tend tout son film par l'idée selon laquelle c'est le regard qui confère à une oeuvre son caractère artistique. L'art n'est par conséquent inexistant sans le regard de celui qui contemple l'oeuvre.
Le regard rend l'oeuvre vivante, et l'oeuvre influe sur le sujet qui la contemple. Ainsi, un lien extrêmement étroit se tisse entre l'oeuvre et le regard, entre l'art et le spectateur. Ce lien se voit exacerbé dans le film par le syndrome dont souffre Anna, à tel point que cette dernière se voit littéralement absorbée par l'oeuvre d'art. Les scènes d'immersion de l'héroïne dans les tableaux qu'elle contemple sont à ce titre d'une force immersive phénoménale et extrêmement troublantes, en celà qu'elles nous renvoient à notre propre rapport à l'art.
Argento utilise le cadre du giallo pour développer sa thématique, et confère à ce titre aux scènes de meurtres une stylisation visuelle extrême, comme la séquence du meurtre dans la voiture. Par ailleurs, le lien entre Anna et sa proie se développera de manière très surprenante et l'héroïne deviendra elle-même l'oeuvre d'art de l'assassin, qui, lui aussi atteint du syndrome de Stendhal, se fondera littéralement en elle, d'abord physiquement (le viol), puis psychologiquement (l'abandon final de l'héroïne au regard de l'assassin). Utiliser le giallo et la stylisation afin de développer un propos métaphysique, tel est la grande force du cinéma d'Argento.
Scandaleusement privé d'une sortie sur grand écran en 1996, le film est à découvrir absolument, tant il est vecteur de sens. Hypnotisant, envoûtant, perturbant, et soutenu par l'admirable musique de Ennio Morricone, Le syndrome de Stendhal se ressent, interpelle, et se distille en vous jusqu'à prendre possession de votre corps et de votre âme. Devenu ainsi nous-mêmes l'oeuvre d'art du film et l'objet de son regard, on ne peut que s'incliner devant Argento face à ce troublant jeu de miroirs.