Saisie d’une question préjudicielle par le Tribunal de grande instance de Paris, la Cour de Justice de l’Union Européenne s’est prononcée sur la conformité de la loi française concernant les règles de dévolution successorales au regard de l’article 6 de la directive 2001/84/CE du 27 septembre 2001, relative au droit de suite au profit de l’auteur d’une œuvre d’art originale.
En effet, le Tribunal de grande instance de Paris s’interrogeait sur notre législation nationale, qui réserve le droit de suite aux seuls héritiers en vertu de l’article L. 123-7 du Code de la propriété intellectuelle, avec la directive n° 2001/84/CE qui mentionne quant à elle les ayants-droits.
Cette affaire est venue par devant les juridictions françaises en raison de la gestion des droits, qui a dû intervenir après la mort de l’artiste-peintre, sculpteur et scénariste Salvador DALI.
Décédé le 23 janvier 1989 à Figueras, il nomme par testament en date du 20 septembre 1982 l’Etat espagnol «légataire universel» de ses droits de propriété intellectuelle qui seront administrés par la Fundacion Gala-Salvador DALI. Cette dernière mandatera une société de droit espagnole, la Visual Entidad de Gestion de Artistas Plasticos (ci-après dénommée VEGAP), pour la gestion et l’exercice des droits d’auteur sur les œuvres du peintre, qui elle-même en confiera la gestion pour le territoire français à l’ADAGP.
Chargé de la perception des droits d’exploitation portant sur l’œuvre du Maître, l’ADAGP a conformément aux dispositions de l’article L. 123-7 du Code de propriété intellectuelle, reversé à l’occasion d’une vente aux enchères d’œuvres de Salvador DALI, la rémunération perçue au titre du droit de suite aux seuls héritiers légaux, soit cinq personnes.
En effet, le droit de suite prévu à l’article précité, permet à l’auteur et à ses héritiers de percevoir une rémunération sur le prix obtenu pour toute vente de l’une de se œuvres après sa première cession.
C’est dans ce contexte que la Fundacion Gala-Salvador DALI et la VEGAP a assigné l’ADAGP en vue d’obtenir paiement du droit de suite.
La Cour de Justice de l’Union Européenne s’est donc prononcée sur la difficulté d’interprétation à laquelle se heurtait le Tribunal de grande instance de Paris, à savoir l’article 6 de la directive 2001/84/CE s’oppose t-il à l’article L. 123-7 du Code de la propriété intellectuelle réservant le bénéfice du droit de suite aux seuls héritiers légaux de l’artiste, à l’exclusion des légataires testamentaires.
Elle a pour se faire rappelé le double objectif de ladite directive, soit :
- Assurer aux auteurs d’œuvres d’art graphiques et plastiques, une participation économique ;
- Mettre fin aux distorsions de concurrence sur le marché de l’art, certains pays membres n’appliquant pas le droit de suite, les œuvres peuvent être amenés à être délocalisées pour leur vente ;
Concernant le premier objectif, elle estime que la dévolution du droit de suite à certaines catégories de sujets de droit à l’exclusion d’autres, ne porte nullement atteinte à ce dernier.
Concernant le second objectif, la Cour, désireuse de respecter l’harmonisation portant sur les œuvres d’art et les ventes concernées par le droit de suite, précise que le fonctionnement du marché n’est pas entravé par une législation spécifique nationale, qui détermine les catégories de personnes bénéficiant du droit de suite après la mort de l’auteur.
Elle continue en évoquant le principe de subsidiarité autorisant chaque pays de prévoir des règles de dévolution successorale spécifique pour le droit de suite dès lors que les ayants-droit de l’auteur bénéficient pleinement de ce dernier, peu importe soit-il.
Ainsi, la notion d’ayants-droit n’étant pas définie dans ladite directive, les législations nationales ont tous loisirs pour déterminer les catégories de personnes susceptibles de bénéficier du droit de suite après le décès de l’auteur.
Toutefois, la Cour se permet d’effectuer une piqure de rappel à la juridiction française en lui remémorant qu’elle doit tenir compte de toutes les règles pertinentes visant à résoudre les conflits de lois en matière de dévolution successorale du droit de suite.
La Cour sous entendrait-elle que la loi française n’est pas applicable en l’espèce, et que par conséquent la juridiction de renvoi devait tout d’abord résoudre un conflit de lois avant de déterminer les réels successeurs de ce droit de suite ?
Sources :
-CJUE 15 avril 2010 aff. C-518/08; -Voir le document
-«Droit de suite : privilège des héritiers» J. Daleau, 7 mai 2010 Dalloz actualités
-«Est-il possible de déterminer des catégories de personnes pouvant bénéficier d’un droit de suite ?» Frédéric Marlot le 7 mai 2010; -Voir le document