Frédéric Dupoux, le photographe haitien du 12 janvier
Frédéric Dupoux, 25 ans, l'un des jeunes talents dans le domaine de la photo qui domine la scène locale depuis quelques années, a réalisée le cliché de la couverture du dernier numéro du Monde Magazine dédié à Haïti. Plongé dans l'actualité depuis qu'il a mis sur Twitter la première image du tremblement de terre du 12 janvier, Dupoux, nous retrace sa jeune carrière de photographe.
Très tôt, vers 12-13 ans, grâce à son oncle Alex Dupoux qui possède un studio de photographie bien fréquenté, Frédéric Dupoux tombe dans le bain de la photo. Au propre comme au figuré.
« Je transportais les équipements de mon oncle, l'assistais par curiosité dans ses déplacements. Je le regardais faire. J'étais émerveillé par les émulsions et le développement des films. J'étais dans les tirages et dans les bains, si l'on peut dire, très jeune. Un jour, mon père m'a prêté sa caméra, j'ai fait mes premières photos, puis la caméra est devenue mienne et avec l'avènement du digital tout s'est accéléré », explique-t-il derrière ses Ray-Ban de geek, Converse aux pieds, dans l'uniforme de sa génération jean et t-shirt flaschy.
Bon élève, Dupoux décide un jour de revenir à la case départ et se met à apprendre la photo en s'offrant des bases solides. Il se met à l'argentique. Utilise les ressources du noir et blanc. Explore la lumière. Domine les techniques du développement, de l'agrandissement et s'achète un boitier mécanique à 17 ans. Il date de ce jour son statut de photographe.
« Aujourd'hui, j'ai 25 ans. J'ai été un autodidacte de la photo », lâche modeste celui dont les photos ont été reprises par les plus prestigieuses publications depuis le 12 janvier.
A 18 ans, il termine ses études dans le système scolaire français. Son bac scientifique en poche, il part pour Paris où il passe une année à la Sorbonne pour décrocher un diplôme en Art du spectacle, option cinéma.
« Je n'ai pas aimé. Les cours étaient très théoriques, tout se passait en salle de classe. Après la première année, je suis parti pour Lyon apprendre la musique pour devenir technicien du son.»
Frédéric a de qui tenir de ce côté-là aussi. Son père, Roland Dupoux, est le pilier de la section technique de Radio Métropole depuis le lancement de cette station qui est une référence pour la qualité de ses productions.
Frédéric veut faire aussi bien que lui. «J'ai voulu devenir technicien du son pour faire du live. Du spectacle vivant. Diplômé, revenu de mes études, j'ai beaucoup travaillé avec David Dupoux, Mika, Kompa Kreyòl, Karl Fred Behrman, toute une pléiade de jeunes musiciens ».
D'ailleurs, c'est au studio de Karl Fred Behrman, en compagnie du beat maker Power Surge, que le tremblement de terre le surprend en pleine séance d'enregistrement. Il a tout de suite le réflexe de saisir son appareil photo et de mitrailler le désastre.
Maîtrisant les réseaux sociaux, il poste les premières photos et les premiers commentaires sur Twitter. En quelques heures, ses suiveurs passent de trois cents à cinq mille. L'une des plus grandes agences de photographie au monde, Getty Image, où travaille son frère, le contacte et il se met au boulot sans arrêt jusqu'au 17 janvier.
En fait, Dupoux n'est pas un photographe anonyme. Il a déjà eu son heure de gloire avec le Miami Herald pour une photo de Jean Max Bellerive. Grâce à son photoblog, 88 jours en Haïti, il s'était aussi déjà fait remarquer pour son inventivité et le traitement particulier qu'il donne à des sujets anodins.
«Le photo blog a pris naissance pendant mes vacances en Haïti et a duré 88 jours. J'ai fait et mis en ligne 88 photos. Le blog a eu du succès, les commentaires m'ont encouragé à persévérer.»
Les retombées de son travail des jours d'après le séisme sont immédiats. Le New York Times, MSNBC, Fox News, CNN, le Washington Post et plusieurs blogs, ont recours à ses photos.
D'instinct, et par la force des évènements, Frédéric se met au photo journalisme.
«La photo pour le plaisir a pris fin sans que ne je le décide », avoue-t-il. D'autant que les belles rencontres s'enchaînent.
Jeremy Cowart, photographe américain réputé prend contact avec lui. Cowart le recrute même sur son projet Voices of Haïti. Frédéric l'héberge chez lui, lui sert de fixer, d'assistant, de chauffeur, de traducteur. Il apprend plus qu'il ne bosse, on le voit sur toutes les actualités des secours qui commencent à prendre forme avec Cowart.
C'est en récompense de sa performance ou en reconnaissance de son travail que Cowart propose au journal Le Monde une photo de Frédéric Dupoux pour faire la couverture du magazine.
Heureux de ces développements qui d'un studio d'enregistrement le 12 janvier l'ont ramené vers la photo, Dupoux se prépare à réorienter sa carrière.
«Je vais partir pour aller suivre des séminaires de photo-journalisme à New York pour renforcer mes connaissances », annonce le jeune célibataire.Frantz Duvalduval@lenouvelliste.com