Par Aline Apostolska depuis Montréal - BSC NEWS.FR / Quand on pense danse canadienne, on pense d’emblée danse québécoise et c’est bien sûr justifié injustifié. La danse contemporaine québécoise en effet se démarque tant sur la scène nationale qu’internationale, en plus d’avoir incontestablement été, depuis la dernière décennie tout particulièrement, une roue motrice majeure du rayonnement de la singularité matière de création chorégraphique. Mais si la spécificité québécoise reste incontestable, par son foisonnement et sa maturité, elle trouve des foyers comparables dans quelques villes canadiennes, notamment à Toronto et à Vancouver.
Montréal est la cité des Grands Ballets Canadiens, de Marie Chouinard, Daniel Léveillé et José Navas mais aussi celle d’Édouard Lock, de Margie Gillis, Paul-André Fortier, Benoît Lachambre, Jocelyne Montpetit, Lynda Gaudreau, Danièle Desnoyers, Hélène Blackburn, Paula de Vasconcelos, Zab Maboungou, Mariko Tanabe, Estelle Clareton, Isabelle Van Grimde, Roger Sinha ou Manon Oligny, de compagnies comme Montréal Danse et les Ballets Jazz et de collectifs comme Danse Cité, du Rubberbanddance Group de Victor Quijada et Anne Plamondon, d’Emmanuel Jouthe, de Jean-Sébastien Lourdais, Frédérick Gravel, Clara Furey, Mélanie Demers ou les Sœurs Schmutt, sans oublier bien sûr Dave St-Pierre. La ville de Québec a développé son propre pôle de danse contemporaine, notamment avec Harold Rhéaume et Karine Ledoyen, produisant des projets jusque dans le bas du golfe du Saint-Laurent. L’expansion fulgurante de la danse québécoise justifie d’ailleurs que le Regroupement québécois de la danse lance un premier Plan pour la danse en décembre 2010.
Toronto demeure la cité de James Kudelka, Tedd Robinson, Christopher House, Peter Quanz et Peggy Baker, Eryn Dace Trudell ou Ame Henderson. Et Vancouver celle de Crystal Pite et Wen Wei mais aussi de Sarah Baker ou du Holy Body Tatoo. Pour se faire reconnaître, les créateurs canadiens, notamment Crystal Pite et Wen Wei, ont dû d’abord être reconnus à Montréal, rampe de lancement et de rayonnement par laquelle il faut passer pour émerger et se déployer, au Canada comme à l’étranger. Montréal, ville métisse riche d’apports culturels, manifeste à travers la danse son ouverture, sa bigarrure ainsi que son impertinence créatrice.
Au carrefour d’influences réinventées
Gestes, savoirs, visions et imaginaires venus des traditions autochtones mais aussi d’Inde, du Japon, de Chine, des Caraïbes, d’Amérique du sud, d’Afrique du nord et d’Afrique noire habitent l’écriture chorégraphique contemporaine au Québec et au Canada, tout autant que ceux de la danse classique ou des figures historiques de la danse contemporaine nord-américaine ou européenne.
La danse québécoise en particulier, née au croisement des migrations et des continents autant qu’à celui des esthétiques et des concepts, cette danse se laisse traverser par les flux qui l’ont composée, mais fusionne, voire détourne et réinvente complètement ces influences. Et cela sans souci de se conformer à aucune d’elles, pas plus qu’à une tradition ou à des critères préétablis. Jeune, libre, hybride et débridée, la danse québécoise se caractérise comme une danse « au carrefour » qui en cela même affirme son identité singulière. C’est cette forme d’audace particulière qui sans doute stigmatise la fulgurance de son développement autant que sa richesse.
De Montréal à Vancouver et Toronto, les chorégraphes et danseurs collaborent volontiers et entretiennent souvent des complicités motrices. Des petites salles aux grands théâtres, un public spécialisé suit la danse contemporaine dans les métropoles mais aussi lors de tournées, lesquelles demeurent une priorité. Les festivals se démultiplient, tandis que l’enseignement universitaire existe dans plusieurs universités aux côtés d’autres centres d’enseignement, de résidence en recherche et création, généralement en partenariat avec des centres européens et américains.
Il reste que c’est surtout la danse québécoise qui s’exporte et a d’ailleurs besoin de le faire pour exister et grandir encore, au gré d’échanges et de coproductions. La danse québécoise a créé au fil des ans des relations particulières avec des partenaires européens privilégiés, au premier rang desquels se trouvent la Flandre belge, la Hollande, l’Allemagne, la Catalogne et la France.
Soixante ans et une nouvelle jeunesse
Nord-américaine, la danse canadienne dans son ensemble est née des migrations d’artistes venus d’Europe dès la fin des années 30. Ce phénomène est bien connu dans l’histoire de la danse contemporaine et le Canada s’y rattache forcément, mais historiquement même, Montréal se démarque dès l’origine.
Dès 1940, Elizabeth Leese, d’origine allemande et danoise, choisit Montréal pour ouvrir son école. Élève de Mary Wigman elle s’inscrit d’emblée dans le courant de l’expressionnisme allemand. Sa collègue Ruth Sorel la rejoint en 1944, et toutes deux lanceront le premier Festival de ballet canadien en 1948, créant à Montréal un climat stimulant pour la danse.
La danse européenne domine également les débuts de la danse contemporaine à Toronto, avec les figures de Bianca Rogge et Yone Kvietys, tous deux réfugiés d’Europe de l’est. Cependant l’influence de Martha Graham joue un rôle important dans la fondation du Toronto Dance Theatre dont les trois membres fondateurs ont été les élèves. À Vancouver également, Paula Ross et Anna Wyman s’inscrivent dans une certaine lignée Graham plus individualisée. À Montréal en 1957 c’est la danse classique dans son purisme russe et allemand qui accoste par bateau avec Ludmilla Chiriaeff, fondatrice des Grands Ballets Canadiens de Montréal, la compagnie, en plus de 50 ans d’existence, étant à présent devenue une compagnie de création contemporaine.
L’influence new-yorkaise s’inscrit cependant clairement dans les générations de chorégraphes et danseurs qui suivront à partir des années 70 et 80, dont beaucoup se seront formés auprès de Merce Cunningham, José Limon (notamment José Navas) et Paul Taylor. Édouard Lock avec sa compagnie La La La Human Steps sera d’ailleurs programmé à la Kitchen de New York dès sa première pièce en 1983.
Une insolente indépendance
Mais dès 1944 la danse contemporaine québécoise se démarque par une originalité rebelle et hybride incarnée par Jeanne Renaud. Pas encore majeure, et avant même le Mouvement du Refus Global (lancé en août 1948 par le peintre Paul-Émile Borduas, mouvement d’artistes automatistes revendicateurs affilié au surréalisme autant qu’à la psychanalyse ), Jeanne Renaud part à New York pour décréter que Martha Graham est déjà « trop classique » pour elle. Elle invente une forme, étonnée de ne pas trouver trace de danse contemporaine à Paris en 1946 lorsqu’elle s’y installe. Revenue à Montréal, elle s’associe d’emblée avec des danseuses proches du Refus Global, notamment Françoise Sullivan et Françoise Riopelle, et intègre à ses chorégraphies des peintres, des compositeurs, cinéastes et des écrivains, créant ainsi une danse délibérément pluridisciplinaire. En 1959, Françoise Riopelle et elle fondent l’École de danse moderne de Montréal, puis s’imposent en 1965 avec leur première pièce. Jeanne Renaud crée dans la foulée le groupe de La Place Royale en 1966 avec Peter Boneham.
La Place Royale est considérée comme le vivier fondateur de la danse contemporaine québécoise, dont sortiront Jean-Pierre Perreault (que Jeanne Renaud fait danser nu dès 1967), Ginette Laurin, Paul-André Fortier, Daniel Soulières, Louise Bédart, Sylvain Émard mais aussi, dans le sillage, Marie Chouinard. Pierres angulaires de la danse québécoise, ces chorégraphes exploreront tous une écriture individuelle en intégrant d’autres formes artistiques. Les générations de chorégraphes qui suivent s’inscrivent dans cette lancée audacieuse, revendicatrice et atypique, qui mélangent les disciplines et se veut hors courants. C’est sans doute ce qui a dès l’origine spécifié la créativité de la danse québécoise et son influence au sein même du Canada, et lui vaut la reconnaissance internationale actuelle. Ce qui explique aussi qu’il y ait autant de formes esthétiques que de chorégraphes dans un foisonnement en perpétuelle croissance.
Présenter quatre compagnies québécoises et deux vancouvéroises lors du 7ème Festival de danse contemporaine de la Biennale de Venise, du 26 mai au 12 juin 2010, reflète donc bien la réalité historique et artistique de la scène de la danse contemporaine au Québec et au Canada. Le Québec là aussi se démarque par la richesse éclectique, la fusion des influences et des vocabulaires chorégraphiques, l’exigence technique, mais surtout, par l’insolente indépendance qui ne cesse de croître depuis plusieurs générations. Pour tous les détails : http://www.labiennale.org/it/danza/festival/
Pendant ce temps, à Montréal, débute le 27 mai jusqu’au 7 juin, le Festival Trans Amérique, grand festival international danse et théâtre, avec notamment, la compagnie Merce Cunningham pour la dernière fois en scène avec le spectacle ultime du chorégraphe décédé en juillet 2009, mais aussi d’autres créations de chorégraphes québécoise, Ginette Laurin et Edouard Lock, et des compagnies venues des quatre coins du monde. Voir le tout au www.fta.qc.ca
Ça ne va pas nous faire oublier que le Festival de Montpellier Danse fête ses 30 ans à partir du 17 juin… sachant qu’il tient, sous la houlette de Jean-Paul Montanari, un rôle majeur de plaque tournante de la danse dans l’ensemble du bassin méditerranéen. À bientôt !