Julius Winsome emprunte son nom au héros et narrateur, quadra ou quinqua solitaire qui vit dans une maison tapissée de livres, au cœur des forêts du Maine. La maison a été bâtie par son grand-père. Son père y est né. L'intérieur est tapissé de la collection d'ouvrages classiques accumulée par ce dernier, collection que Julius lit et relit inlassablement, réveillant ça et là des souvenirs d'enfance : une collection de néologismes shakespeariens, quelques instants d'intimité studieuse...
Julius vit avec son chien, Hobbes, une vie tranquille, partagée entre instants de solitude et quelques travaux alimentaires – jardinage et mécanique – destinés à assurer sa subsistance. Tout cela concourt à dresser du bonhomme et de son environnement un de ces tableaux classiques de l'érudit, misanthrope mais bon, solitaire déçu du commerce des hommes, voué désormais à la l'observation des choses du monde, des petits animaux et des nuances de vert qu'offre la forêt, que s'est souvent plu à peindre la littérature ricaine (je pense à Thoreau, Withman ou l'autre vieille barbe naturalo-panthéiste de John Muir).
Mais Hobbes meurt. Tué à coups de fusil, à bout touchant, par un chasseur anonyme. Et là, tout déconne. Lettré et rationnel, Winsome bâtit une incompréhensible logique qui va le mener à s'emparer du fusil de son père - qu'il a conservé et entretenu dans sa grange, un fusil qui appartint autrefois à un sniper de la seconde guerre mondiale – et à guetter puis abattre plusieurs chasseurs qu'il estime responsable de la mort de son chien.
Julius Winsome n'est pas un roman psychologique, on ne comprend rien de ce qui motive son héros dans le choix des cibles de sa vengeance sinon qu'ils sont chasseurs. On ne comprend que son isolement et sa douleur d'avoir été abandonné. Par son père, mort ; par une femme qui l'aimait mais ne le comprenait pas ; par un chien qu'un salaud malveillant lui a pris. Sa cause n'est même pas juste, il le sait ; mais elle est à ses yeux légitime, du moins elle l'est lorsqu'il sort son fusil du chiffon gras qui l'abrite pour partir, fort des leçons de tir que lui donna son père, en quête de nouvelles victimes.
Pas d'explications qui tiennent, pas de démonstration "psychologisante", rien qu'une histoire d'homme seul et souffrant, révolté par une méchanceté qu'il rend au centuple, emporté par une folie aussi logique et froide qu'une lame de couteau dans un abattoir.
Ce qui fait de ce roman un beau livre, c'est ce que Donovan dit et tait tout à la fois des pans d'histoire dont on voudrait voir
la trame entière, des reflets indistincts du cœur d'un homme au dehors calme et à l'âme en tempête. Un livre du silence, un roman qui parle tout seul, divague et se reprend. Un livre qui reste,
en tout cas.
Julius Winsome, de Gerard Donovan, Points Seuil
Image © Faber & Faber