Depuis que les problèmes de la Grèce ont été révélés l'été dernier, la chorale keynésienne a entonné le refrain qu'une dévaluation aurait pu sortir le pays de son marasme financier si seulement il avait sa propre monnaie. Il y a une meilleure solution. L'Estonie, la Lituanie et la Lettonie constituent des études de cas sur la façon de résoudre une crise budgétaire sans succomber au chant des sirènes de la dévaluation.
La semaine dernière, au milieu de la panique en cours autour de l'euro, la Commission européenne a accepté la candidature de l'Estonie pour rejoindre le bloc de la monnaie unique. L'Estonie a une dette de 7,2% du PIB, soit moindre que… le déficit budgétaire annuel de l'Irlande, l'Espagne, la France et le Portugal, sans parler de la Grèce. L'Estonie a même eu l'audace de saluer la décision de la Commission en demandant des règles budgétaires plus strictes pour la zone euro.
Un des secrets de la réussite budgétaire de l'Estonie a été sa stabilité monétaire. Moins d'un an après avoir rompu avec l'Union soviétique en 1991, le pays a créé une caisse d'émission avec le Mark allemand, un dispositif conçu par l'économiste Steve Hanke de l'Université Johns Hopkins aux USA. Elle a maintenu le lien avec une monnaie plus forte quand le Mark est devenu l'euro et quel qu'aient été la tendance des événements mondiaux.
La Lituanie a maintenu un Currency Board (caisse d'émission monétaire) avec le dollar jusqu'en 2002, lorsqu'elle s'est tournée vers l'euro, tandis que la Lettonie a maintenu un « peg » (mais pas une caisse d'émission proprement dite) avec les Droits de Tirage Spéciaux du FMI, une monnaie synthétique comprenant un panier pondéré de devises (dollar, euro , livre et yen), avant de passer à un peg avec l'euro en 2005.
Avec un Currency Board, l'autorité monétaire de la banque centrale détient des réserves égales à la quantité de devises locales en circulation. Elle ne peut pas créer de la monnaie au-delà de ses réserves et se tient prête à pouvoir échanger des devises locales contre de la devise à laquelle elle est attachée, à tout moment et quelques soient les quantités nécessaires.
Le résultat c'est que la devise locale est aussi stable que la devise extérieure à laquelle elle est rattachée. Cela empêche la banque centrale d'essayer de « dompter » le cycle économique en jouant avec la politique monétaire, et empêche aussi l'État de faire tourner la planche à billets pour se débarrasser d'une dette croissante. Ceci est particulièrement utile pour les nations de « marchés émergents » tentant d'attirer les investisseurs étrangers qui pourraient être préoccupés par la mauvaise gestion politique.
Même au plus fort de la panique financière lorsque le FMI et d'autres prêchaient la dévaluation, les Baltes ont tenu bon à ces liens avec les devises extérieures. La Lettonie a baissé les salaires et l'emploi publics de plus de 20% chacun en 2009 pour maîtriser les dépenses publiques et éviter une dévaluation du Lat. L'Estonie a réduit les dépenses de plus de 15% et ramené son déficit à 1,7% du PIB. Dans le processus, elle a maintenu son Currency Board avec l'euro et donc aussi son droit de rejoindre l'euro l'année prochaine.
En d'autres termes, l'Estonie et la Lituanie ont renoncé à leur autonomie monétaire il y a plus d'une décennie, et elles s'en sont trouvées mieux, ayant choisi une devise stable plutôt qu'une devise « nationale » soumise aux caprices des politiciens. Oui, cela a requis davantage de discipline budgétaire et l'austérité du gouvernement ces dernières années, mais cette discipline même a ravivé la confiance des investisseurs et a empêché une crash plus sévère du niveau de vie dû à une dévaluation.
L'ironie réelle de l'entrée - en attente - de l'Estonie dans l'euro, en supposant qu'elle soit finalisée, c'est qu'elle se joindra à la zone euro au moment même où cette dernière semble en danger de démantèlement des politiques qui avaient empêché la Banque centrale européenne d'effectuer de possibles manipulations politiques. Il y a quelques jours la BCE a décidé de commencer à acheter la dette de la zone euro, publique et privée, pour stabiliser les marchés des obligations d'État. Cela a calmé les marchés pendant quelques jours, mais à grands frais pour l'indépendance de la banque centrale, tout en ne faisant rien pour résoudre le problème budgétaire sous-jacent.
La décision de l'UE de mettre en place un fonds de 750 milliards d'euros de renflouement porte atteinte au principe fondateur de l'euro selon lequel chaque pays est responsable de ses finances propres. Comme l'a noté le ministre des Finances de l'Estonie au cours du week-end suivant, l'Estonie semble désormais prête à conclure un accord monétaire qui en est venu à exiger beaucoup moins de discipline que ce que l'Estonie n'en a elle-même eu pendant deux décennies. Comme les États baltes l'ont montré, le problème de l'Europe n'est pas l'euro. Le problème est l'échec des politiques budgétaires menées par sa classe politique.
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