Il a environ quatre ans, deux grands yeux innocents, une tête blonde n'arrivant pas plus haut que l'épaule de son papa accroupi à côté de lui, et beaucoup d'espoirs qui seront bientôt déçus par l'effort conjugué de la coupe du monde de football, d'une grande surface, et d'un zeste d'inattention paternelle.
Mais reprenons cette historiette a son commencement.
La coupe du monde qui s'annonce, hormis nous polluer l'été sous ses remugles footbalistiques, rend encore plus insupportable la corvée rituelle des courses, en se surimprimant au décor consumériste, à grand renfort de marketing et d'opérations promotionnelles diverses.
Ainsi les magasins Croisement(1), non content d'espérer la défaite des bleus, organisent-ils un jeu indexé sur la valeur ou la qualité des produits achetés ; selon un barême que j'ignore, on se voit attribuer après passage en caisse un certain nombre de figurines aimantées, présentées dans un emballage plastique très développement durable(2) contenant également un petit papier où figure un code barre, à flasher soi-même(3) devant une borne facilement repérable grâce aux nombreux chariots attirés par l'espoir insensé de gagner un T-shirt aux couleurs de l'équipe de France, un porte clé Estelle Denis qui fait pouet, les chaussures de Raymond Domenech, ou le sifflet officiel de l'arbitre ; ou peut-être même, pour les plus chanceux, un bon d'achat qui leur permettra de revenir jouer demain.
Ce jour là, comme j'étais passablement en retard et donc plus à ça près, je décidai d'éprouver ma chance et ma patience en m'insérant dans la file des chariots encalminés devant l'écueil. Je ne savais alors pas que je m'approchai du drame.
Le papa, que nous avons précédemment décrit comme accroupi, est en train de fouiller dans le carton servant de réceptacle aux tickets perdants. Je comprends la situation et reconstitue l'histoire au fur et à mesure que j'arrive à leur hauteur ; le règlement, aussi strict que mal expliqué, prévoit que le ticket gagnant doit être présenté à l'accueil. La machine délivrant un autre ticket (il y a une fente sous l'écran), papa a jeté le code barre salvateur.
Damnation : plus ce Sisyphe de supermarché fouille dans sa boîte, plus la vague de chariots l'encerclant vient rajouter de tickets invalidés. Il abandonne ses efforts pourtant méritoires peu après que j'ai passé mes propres tickets, bien sûrs perdant. Je m'éloigne en louvoyant entre les nouveaux candidats alors qu'il explique au bambin que le merveilleux cadeau qu'il pensait déjà tenir de ses petits doigts potelés, c'est rapé.
Je ne verrai pas le drame s'accomplir.
Épilogue :
L'autre jour, à la boulangerie, comme j'achetai, pour pallier à l'absence d'une baguette normale, un de ces pains copyrightés genre campanillette ou autre appellation fleurant bon la campagne telle que se l'imaginent les publicitaires, j'ai eu droit à une carte à gratter.
J'ai gagné un calepin. J'en tirai un plaisir extrême. C'est tout de même plus utile qu'un T-shirt aux couleurs de l'équipe de France, un porte clé Estelle Denis qui fait pouet, les chaussures de Raymond Domenech, ou le sifflet officiel de l'arbitre...
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(1) le nom de cette grande surface positiviste a été habilement maquillé pour ne pas lui faire de publicité. Sauras-tu la reconnaître, habile lecteur ?
(2) mais la mode est actuellement au bleu, pas au vert (3) avis aux clients : vous pouvez aussi rentrer le code barre sur internet, c'est écrit en tout petit sur le ticket...
(4) jetez un œil à la pub, elle vaut le détour. Je suis au moins rassuré de ne pas être le seul à avoir été intrigué ; mais je m'étais dit que j'avais l'esprit mal placé