Premier flash sur disque et montée en plein live
« LCD, c'est un peu le groupe que tout le monde prétend kiffer, mais que personne ne connait vraiment » me disait un jour un ami dans cet instant solennel où les grandes phrases inspirent de grandes idées. A vrai dire, je ne connaissais LCD Soundsystem que de nom. Dans leur précédent opus, j’étais tombé sous le charme de New York I Love You But You’re Bringing Me Down pour ses orientations résolument pop, entre Lou Reed et Bowie période Ziggy. Peut-être aussi parce que ce morceau révélait un songwriting classique dont je ne savais rien jusque-là. Leur dernière livraison, This Is Happening, avait surgi des entrailles du web tel un fruit défendu que l’on ne doit consommer avant qu’il ne vous soit proposé. Mais la tentation fut si grande que l’album se retrouva dans mon iPod quelques semaines avant sa sortie. « LCD est le groupe que tout le monde prétend kiffer ». Etait-je à ce point lâche, veule et snob car il vrai que le disque me plut d’emblée. « … Mais que personne ne connaît vraiment ». Je pensais à tort que la formation de James Murphy n’était qu’une machinerie factice au service de clubeurs béats et béotiens, une de plus. Je me trompais lourdement. Ceux qui aiment les nappes robotiques de Kraftwerk, les hymnes proto punk des New York Dolls ou du Velvet, voire de Joy Division seront servis. La sortie de l’album et la tournée prévue seraient pour moi les indispensables clés d’entrée d’un univers encore inconnu et qui me permettraient de passer de la hype/serpent du jardin d’Eden à la révélation intérieure. Le groupe avait décidé de se produire au Bataclan, salle à visage humain. Et il faut bien le dire, des visages humains ce soir il y en avait. Beaucoup de tronches à mèches et de filles lookées pour le côté « Que tout le monde prétend kiffer ». La présence de quelques vieilles badernes m’interrogea même sur la qualité de la prestation que j’allais vivre. Bien sûr, This Is Happening avait circulé dans mon appareil auditif en guise de grand apéro des sens. J’avais apprécié. Et avais même sur un coup de tête au combien réfléchi ajouté l’opus nouveau au rang des meilleures productions de l’année listées par mes soins depuis quelques mois. Sympa. Le concert commença par une première partie toute délicieuse, portée par le couple anorexico-glabre de YACHT dont l’album avait fait les délices de mes dernières vacances en forme de road trip sur les routes inachevées de Grèce, Dette Mirobolante oblige. Pour être franc, le groupe était bien meilleur sur scène. Très théâtral, se la donnant avec un professionnalisme hystérique qui ne fut pas pour me déplaire et la foule sembla à ce moment précis partager mon point de vue. L’obscurité reprit ses droits en attendant le Système du Son. Puis ce qui ne devait pas arriver se produisit. Je me fis surprendre, délicatement violer en bonne et due forme. La faute (ou le mérite) à James Murphy dont le set incroyable posséda littéralement la salle. Malgré la chaleur et les flashs de lumières papillonnants, la musique elle n’était que plaisir indescriptible. Certes il y avait bien cet angle disco, club, dance floor, ce n’était pas là ce qui avait su conquérir mon âme, faire parler mon esprit (lorsque j’aime une prestation mon esprit parle, prépare, commence à écrire). Là, bordel, mon cerveau était un putain de moulin à paroles ! YEAH ! Le malaise aurait pu se révéler doux tant la chaleur, l’extase élastique et même la folie s’étaient emparés de nos corps. Ce soir, je décidai pour l’éternité de rebaptiser le groupe LSD Soundsystem car malgré les basses puissantes, les attaques percussives et l’ambiance fondamentalement électro-punk, toute cette matière sonore n’était que purs délices planants, élans vibratoires et cosmiques, rien de hippie dans le traitement (je rassure ceux qui croiront que j’ai sans le savoir assisté à un autre concert). Mais mon sentiment est celui-là, il s’est imprimé dans ma rétine, dans ma poitrine, dans ma bobine. « Quelques nappes », évoquait un ami exégète du genre, ouais, des nappes mais une conception faite pour transporter les gens, le but du rock au sens le plus large du terme, mais bien plus encore. Le set les amenait à quitter leur enveloppe charnelle pour les guider vers un ailleurs de joie et d’étonnement perpétuels. Tant et si bien qu’en suivant mon raisonnement, le bad trip fut bien ce moment précis où la lumière, la sortie chaotique et le pluie fine de mai nous ramenèrent à la dure réalité. Auparavant, tout n’était que flux, glam et volupté. Les claviers scintillaient comme des tapis d’étoiles, les guitares cisaillaient des pans entiers de galaxies et James Murphy chantait tel un demi-dieu sacrifiant pour nous, en haut de la montagne, le veau d’or de l’adoration Cool. Fini, rideau, exit. Après une heure et quarante cinq minutes dingues. Alors que dans le métro, brinqueballé comme un vulgaire fétu, un brin hagard, je tentais de retrouver mes esprits, les images, les gimmicks, les phrases chocs commencèrent à se fixer puis s’assembler en une introduction, un long et intense développement puis une fin des plus dignes. C’est que je l’étais, sous le choc et chaque morceau avait été l’inspirateur de cet état cataleptique. J’étais sûr d’une chose, en plus de la jouissance que j’avais ressentie au plus profond de moi. James Murphy était un grand chanteur. Son intensité, sa dramaturgie, ses propres fêlures s’imprimèrent ce soir comme une évidence sur la surface blanche de mon imaginaire. Autre détail qui ne pouvait être ignoré, cette faculté géniale à transcender les familles musicales. Je m’explique, prenez un titre comme Someone Great de Sound Of Silver ou One Touch de This Is Happening. Entre les lignes électroniques et dance, Murphy s’amuse à glisser des motifs sonores résolument pop comme ce xylophone irréel. Ce mec a compris l’héritage de ces trente dernières années. Dans un monde de pas grand chose, ce n’est pas rien. Au fond, il n’y a pas de musique, de transe sans une once d’écriture. Tout le reste n’est que magma informe (pas le groupe), bullshit pour chroniqueurs branchés. Pink Floyd adopta la même logique musicale : quelques lignes mélodiques au milieu d’un ensemble de boucles planantes avec cette idée que la musique doit progresser vers une félicité libératrice, ce qu’autorise bien entendu la dilatation du temps. Ce soir, Drunk Girls, I Can Change, All My Friends et Someone Great, pour ne citer qu’eux, furent mes héros. Cela tombait bien, les semaines précédentes ce furent d’abord le tour de Dance Yrself Clean, All I Want et Somebody’s Calling Me. Oui, j’ai lié connaissance avec LCD Soundsystem, non par posture ou pour m’attirer les regards bienveillants de mes potes bouffeurs de beats. Mais parce que le trip fut bon, puissant, émancipateur, élévateur. Et son maître de cérémonie l’homme du moment ? Non, l’homme providentiel et consciencieux qui a décidé de ne jamais céder à la facilité, de ne pas écouter le serpent du jardin d’Eden mais de penser littéralement son œuvre. Oh, il y aura des chutes, des doutes, peut-être même des larmes, mais de tout cela en sortira forcément quelque chose de grand.
PS adressé à LCD Soundsystem. Et les mecs, arrêtez tout de même de taper sur vos gamelles, sinon, je vous tiendrai personnellement responsables de la recrudescence des jumbé men qui polluent les quais parisiens de leur plouquerie musicale.
http://www.youtube.com/watch?v=hGugDxD8MrM&feature=related
25-05-2010 | Envoyer | Déposer un commentaire | Lu 2423 fois | Public Ajoutez votre commentaire