Nicolas CHABRIER, Président d’Evaluant Au début des années 2000, certains avaient fait leur deuil de l'essor de la filière informatique dans les pays industrialisés : l'offshore allait tout balayer et le secteur des nouvelles technologies, fragilisé par l'explosion de la bulle Internet et par la crise de 2001, était donc moribond aux yeux de l’opinion. Les inscriptions dans les filières informatiques de 2ème et 3ème cycle étaient, de ce fait, en perte de vitesse. Dix ans plus tard, il ressort de cela que cette analyse était bien pessimiste. En effet, l’informatique continue de jouer un rôle moteur dans la création de valeur des entreprises. De plus, l’explosion de nouvelles technologies et de nouveaux concepts a fait apparaître un besoin impérieux de savoir-faire local. Ce savoir, acquis au cours de la formation initiale, doit néanmoins être perpétuellement mis à jour et complété afin de faire face à la prodigieuse avancée que connait l’informatique, grâce aux principaux acteurs mondiaux (Microsoft, Google, Oracle, Dell, HP, IBM, etc.).
1- La formation initiale Les filières informatiques se développent à nouveau et offrent, aujourd’hui, des débouchés au sein de l’économie nationale, européenne et internationale. Les formations françaises présentent, à mon sens, un intérêt majeur. Il s’agit en effet de formations qui placent les bases et les fondements de l’informatique au cœur de leurs cursus, sans omettre la spécialisation afin de garantir une efficacité immédiate des futurs diplômés.
1.1 - Les universités et les écoles d'ingénieur Dispersées sur tout le territoire, elles fournissent aux futurs cadres informatiques des formations qui axent leur enseignement sur les bases de l’informatique. Mais le revers à cela est que les programmes sont trop souvent en inadéquation avec les technologies actuelles. Trop d’universités ou d’écoles d’ingénieur enseignent cette science (car l’informatique est une science) de la même manière qu’il y a 10, voire 20 ans. Souvent axées sur les mathématiques, elles produisent des diplômés qui connaissent tout de la cryptographie ou des arcanes des compilateurs (ceux d’il y a 20 ans !), mais qui sont incapables de produire la moindre application Web 2.0 ou mobile. Néanmoins, certains organismes ont déployé des dispositifs pour pallier cet état de fait. A titre d’exemple, l’université de Haute-Alsace et la filière informatique de l’ENSISA ont créé, en 2008, un conseil de perfectionnement, qui permet aux industriels d’aider les enseignants-chercheurs à appréhender les besoins actuels de l’entreprise. Cet exemple montre qu’il est possible de former des ingénieurs ou des cadres informatiques pour les 40 années à venir, tout en ayant à l’idée qu’ils doivent s’insérer dans l’écosystème informatique dès la fin de leur formation. Cette illustration, bien que marginale, devrait en inspirer plus d’un, car les retours d’expérience sont plus que positifs. Certains ingénieurs sortis de cette école sont aujourd’hui réputés pour leur implication dans le monde informatique et occupent des responsabilités de premier plan au sein de groupes comme Microsoft, IBM ou Apple.
1.2 - Les écoles privées Les écoles privées ont un avantage indéniable. Elles ne se développent que si la demande est forte. Ces dernières années, nous avons vu émerger de nombreuses écoles privées, et ce, principalement pour répondre au fort besoin du marché et à l’incapacité du système en place à y répondre. Je constate que le coût des formations n’est en rien un frein au développement de ces dernières. Elles sont, en effet, assez coûteuses par rapport aux universités et autres écoles d’Etat. Les parents, soucieux d’offrir à leur progéniture un avenir radieux, sont prêts à tous les sacrifices pour que leurs enfants puissent intégrer la filière informatique, revenue en grâce ces cinq dernières années. Mais l’enseignement de ces écoles est rarement contrôlé et ne répond pas aux mêmes exigences que celui que connaissent les écoles d’ingénieurs d’Etat, sous la tutelle de la Commission des Titres d’Ingénieurs (CTI). Parfois positive, cette dérégulation leur permet de bouleverser les programmes afin de coller plus rapidement aux attentes immédiates du marché. Mais l’on constate aussi de nombreux travers, principalement pour des raisons économiques : -Formations réalisées par les étudiants des années supérieures -De nombreuses écoles privées font assurer les cours fondamentaux (enseignement du langage JAVA, bases de données, etc.) par leurs propres étudiants. Quelle efficacité peut-on attendre d’une formation dispensée dans un tel contexte ? Dans le meilleur des cas, l’élève se contente de retranscrire un cours sur lequel il ne possède quasiment aucune expérience et, en tout cas, aucun retour industriel. -Sur utilisation des formations en ligne -Certains établissements réalisent plus de 50 % des cursus en e-learning. Il demeure délicat pour l’élève de se construire une opinion critique en confrontant ses avis à celui de ses pairs. -Absence des fondements et des principes de bases L’informatique doit une grande base de ses principes aux mathématiques. La théorie des ensembles, les transformations des modèles sont autant de principes sous-jacents aux technologies utilisées en génie logiciel, par exemple. Ceci n’est évidemment pas aussi attrayant que de réaliser des développements pour un iPhone ou de créer une plateforme Web 2.0. Néanmoins, on ne peut construire un édifice sans fondations solides. Trop de cursus ignorent cette notion (ou font semblant de l’ignorer) et proposent donc aux futurs informaticiens de manipuler des outils et des technologies dont les concepts les dépassent. Ces quelques exemples montrent la difficulté de trouver aujourd’hui une formation de qualité alliant efficacement connaissance, conscience et savoir-faire.
2 - La formation continue Afin de répondre aux besoins croissants des entreprises, chaque informaticien se doit de suivre, tout au long de sa carrière, des enseignements complémentaires afin d’asseoir ses connaissances et d’en développer d’autres. Ainsi, de nombreuses sociétés de formation proposent à leur catalogue des formations censées élargir les compétences des stagiaires. Néanmoins, pour le vivre de l’intérieur, j’ai observé des pratiques surprenantes :
-Non-respect des objectifs à atteindre Il y a plus fondamental que de définir des objectifs à une formation, c’est de les respecter. La non-atteinte d’objectifs s’explique souvent par une inéquation entre les besoins du stagiaire, le budget consacré à la formation et les compétences du formateur. -Non prise en compte du niveau d’entrée des stagiaires Parce qu’il faut remplir les salles de formation, certains n’hésitent pas à mélanger plus que de raison les groupes de niveau. Ceci entraîne souvent un mécontentement général de la part des stagiaires, formateurs et clients. -Des supports de formation au rabais Le support de formation reste un élément essentiel, c’est ce qu’il restera au stagiaire après la formation. Des mois plus tard, il pourra se replonger dans ses cours sans difficulté, si ces derniers sont de qualité. Pour des raisons d’économie, certains n’hésitent pas à remettre des supports de formation de quelques pages photocopiées. Le résultat est désastreux ! -Des formateurs en décalage avec le monde de l’entreprise La formation n’est pas une fin en soi. Il faut transmettre un savoir et faire partager ses expériences afin que le stagiaire gagne en autonomie. Un formateur qui n’est plus en corrélation avec les besoins industriels est en danger et les stagiaires qui suivent ses formations également. Il y a de cela deux ans, des étudiants m’ont expliqué qu’un formateur leur demandait d’utiliser Wincommander pour créer des répertoires et faire des copier/coller sous Windows. Cela ne dit certainement rien à un grand nombre d’entre vous et pour cause, cette pratique est obsolète depuis près de 15 ans. Mais le formateur, enfermé dans ses convictions, reproduisait depuis des années un cours qui était devenu complètement anachronique et contre-productif. -Des formations sans formateur Le coût principal d’une formation doit être justifié par la compétence, l’expérience et la pédagogie du formateur. Afin de réaliser des économies, certains établissements ont donc choisi de proposer des formations sans formateur, pour un prix très faible en valeur, mais bien trop élevé à l’aune du résultat ! Le stagiaire apprend seul avec son support de formation. La formation continue est non seulement nécessaire, mais elle est vitale pour maintenir la population des informaticiens au niveau des exigences qu’implique l’arrivée des nouvelles technologies. Pourtant, la formation continue en France n’est que très peu répandue et semble même en décroissance depuis quelques années. Les pratiques de certaines sociétés seraient-elles la cause de ce désamour ?
3 - Les risques futurs A terme, des formations initiales qui ne se remettent pas en question ou des cursus qui s’exonèrent de tout enseignement fondamental couplé à une formation continue défaillante peuvent entraîner les dérèglements suivants : -Baisse du niveau des compétences des informaticiens On le constate dès aujourd’hui avec l’apparition de nouveaux concepts comme le cloud-computing. Ces technologies de rupture représentent une véritable difficulté pour les éditeurs de logiciel, par exemple. Cela s’explique aisément : les informaticiens d’aujourd’hui possèdent les mêmes compétences que ceux d’hier et non les connaissances nécessaires pour s’approprier les technologies émergentes. -Inadaptation au changement L’absence de repères et de notions fondamentales sclérose l’évolution. On travaille toujours avec ce que l’on connait ; or l’innovation s’associe souvent aux sauts technologiques. Ces derniers sont souvent difficiles à aborder sans une maîtrise des concepts et une vision plus globale des problèmes. -Développement d’une dépendance aux structures offshore Avoir une dépendance en matière de production est une chose, mais en avoir en matière de conception et d’innovation est bien plus risqué. Doit-on conserver la maîtrise de notre innovation ? La question semble stupide, mais elle se pose néanmoins lorsque l’on voit certaines sociétés externaliser des réalisations informatiques pourtant fondamentales à leur fonctionnement. -Perte de compétitivité Si l’on ne maîtrise plus la production, la conception et l’innovation, l’on peut chercher longtemps où se trouve la production de valeur. Or une économie qui ne génère pas de valeur est moribonde et la compétitivité des entreprises s’en trouve grandement compromise.
4 – Vers une solution Ce tableau du secteur de la formation informatique n’est pas si sombre pour autant. Des perspectives encourageantes voient le jour. Microsoft ne vient-il pas de créer l’un de ses plus grands centres de recherche à Issy-les-Moulineaux ? Ceci montre bien l’attractivité française en matière informatique. En effet, en axant nos efforts sur le professionnalisme des sociétés de formation et en incluant les acteurs de l’informatique dans les formations initiales, nous pourrons placer l’industrie informatique au cœur de notre économie. Plus de professionnalisme, plus d’expertise, plus de formation et au boulot !