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Sur Internet, on n’envisage pas l’anonymat

Publié le 26 mai 2010 par Vogelsong @Vogelsong

Une autre saillie contre le net. Cette fois-ci contre les blogueurs. L’attaque est portée par J.L. Masson, sénateur mosellan de son état, qui souhaite ni plus ni moins réviser la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique. Son objectif : mettre un terme à l’anonymat des blogueurs en obligeant ces derniers à se plier aux mêmes contraintes que les éditeurs de sites professionnels. Nom, prénom, numéro de téléphone, toute cette batterie d’infos devra désormais être visible si cette proposition de loi passe

La croisade d’un allumé de première


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La charge est rude et l’on peut légitimement s’interroger sur les raisons d’une telle croisade. J.L. Masson souhaiterait-il se faire un nom ? Il est décrit comme un “allumé de première”, un franc-tireur manifestement capable de s’engouffrer dans ce genre de combat en solo. Soit, après tout pourquoi pas, il est vrai que depuis 2004, J.L. Masson n’appartient plus à l’UMP, et à plusieurs reprises il n’a pas hésité à faire entendre une voix discordante au sein de la majorité. Néanmoins, étant donné le ramdam qu’a provoqué cette proposition de loi, on ne peut que s’étonner du mutisme qui règne au sein des rangs de l’UMP. Surtout que, volontairement ou non, cette polémique s’inscrit dans un processus plus large de dénigrement systématique du web. Bien que l’on voit mal comment un tel dispositif pourrait être réalisable (héberger son blog à Palo Alto est désormais à la portée de n’importe quel internaute quelque peu débrouillard), des élus de la République, responsables, continuent de fantasmer sur le contrôle total de la société. Ici le vieil adage :”on a peur de ce que l’on ne connaît pas” prend tout son sens.

Pour les gens de pouvoir, il s’agit ici de mettre un visage sur une menace potentielle. Une menace qui déclenche une lubie (encore une) d’un sénateur incompétent sur le sujet. Récemment, E. Kaspersky s’était prononcé pour la création d’un passeport digital pour lutter contre l’anonymat sur le web, J.L. Masson n’en est malheureusement pas au même stade de réflexion.

On peut donc s’interroger sur les raisons de cette attaque contre une activité non constituée, versatile, et finalement si peu influente ? Une Erreur, sans doute.

Presse / blog : analogie inepte

Au comble de l’ignorance, le député Masson fait l’analogie avec ce qui lui tombe sous la main, c’est-à-dire la presse. Comme si ce modèle de droits et de devoirs pouvait s’appliquer aux blogs. Lorsqu’un journaliste gagne de l’argent avec sa signature (son nom), le blogueur peut, lui, en perdre. Ce que monnaye le journaliste c’est sa plume, son réseau, contre un salaire dans une entreprise qui lui permettra de publier ses articles (modèle théorique parfait). Il en va tout autrement pour le citoyen internaute. Décrire la réalité crue et ennuyeuse d’un open-space peut lui coûter son poste. Pointer les turpitudes de ses élus pour un électeur de base peut avoir certaines répercussions domestiques. Dans ce cadre, l’anonymat (supposé) du blogueur est la dernière défense face à l’arbitraire des groupes constitués. Si le journaliste, normalement, dispose d’une structure économique et légale pour faire paraître l’information en s’affranchissant des pressions (encore le modèle théorique), le blogueur n’en bénéficie pas. Mais le sénateur J.L. Masson semble l’ignorer.

Sélection naturelle

Le pleutre se camoufle pour commettre ses méfaits. C’est un peu en ces termes que les tenants du “bon sens” s’attaquent au problème. C’est encore très mal connaître l’écosystème du net. Si le cas C. Bruni / B. Biolay fut une dérive de la rumeur, il reste circonscris, précis. Mais au contraire, J.L Masson érige ces micro-exceptions en cas d’école. Au micro de J. Martin de Rue89, il affirme que : “régulièrement, on a affaire à des gens qui se livrent à des propos diffamatoires, injurieux sur le web…

Mais c’est très mal connaître la blogosphère, qui fonctionne cruellement par sélection naturelle. Diffuser une fausse information une fois peut passer. Ensuite c’est l’éjection. Avec ou sans anonymat. D’autre part, c’est oublier que la fausse rumeur est relayée par des médias de masse. Sans eux, elle serait circonscrite au microcosme. Se pose alors la question de savoir, qu’est-ce qui coince ? La peur de la rumeur diffamatoire, pour la mise en exergue d’informations déplaisantes, mais vraies, comme le cas Hortefeux ?

L’anonymat, une furtivité

L’anonymat sur internet est une entreprise éprouvante. Il faut du matériel, des connaissances pointues et être méticuleux. Un travail à plein temps. Ce qui est en jeu relève plutôt de la furtivité. La faculté de rester discret et de dire des choses avec l’impression (seulement) qu’une certaine difficulté à être identifié désinhibe. L’expérience montre que les dispositions contre la diffamation existent déjà.

Mais il ne faut pas se méprendre, dans le cas (extrême) de l’atteinte à la sécurité nationale, le débat sur l’anonymat relèvera du folklore. Il est hautement probable qu’il faudra moins d’une demi-heure par localiser précisément le rédacteur d’un blog “dangereux”.

Sur Internet, on n’envisage pas l’anonymat

crédit illustration : icathing

Et c’est encore mal connaitre cet univers paradoxal fait de discrétion et d’égo démesurés. Garder l’anonymat, tout en voulant être influent. Les blogueurs participent à des évènements politiques, mondains, investissent certaines fois l’Assemblée nationale ou le Sénat. Ils s’érigent en influents, se gargarisent des classements. Aiment être connus. De cet univers nombriliste, certains en ont fait un business. Dès lors, ses marchands du temple n’ont pas mis longtemps à s’élever pour protéger l’anonymat des blogueurs. À défaut de pouvoir se fédérer, les blogueurs s’en remettent à des boucliers mercantiles.

Finalement, J.L. Masson répond involontairement à une aspiration inassouvie, la quête d’influence. Un fantasme qui perdure depuis des années, auquel cette loi répond de la plus belle manière. La blogosphère se réjouit, si le pouvoir se met à craindre les blogueurs, c’est qu’ils ont donc une influence, une légitimité. Le web ayant pour vocation de devenir tôt ou tard le lieu central du débat public


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