de Lise Lévitzky et Bertrand Dicale
Autobiographie - 280 pages
Editions First Editions - avril 2010
Lise, malgré son nom de famille, n'est pas juive : elle est issue d'une riche famille russe et très facho. Son enfance est austère, entre un père SS souvent absent et parfois incestueux, une mère psychologiquement instable qui enchaîne les amants, une grand-mère qui vénère Hitler et Tchang Kaï-chek et puis la seconde guerre mondiale. Alors le jour de sa majorité, elle prépare ses bagages et quitte définitivement la maison familiale pour s'inscrire au cours de dessin à Paris. C'est un grand jour : elle est enfin libre de se consacrer à sa passion, quand sa famille l'a obligée très tôt à devenir une virtuose du piano. C'est aussi un grand jour car elle va connaître Lucien, un certain Lucien Ginsburg qui deviendra, à vie, son Lulu et pour les autres, le grand Serge Gainsbourg.
Récemment il y a eu le conte biographique Gainsbourg (Vie héroïque) et puis Feuille de chou : journal d'un tournage, la BD de Mathieu Sapin. On a beaucoup parlé de Gainsbourg, de son talent, de sa gloire. Lise Lévitzky nous donne à lire ce qu'elle seule peut écrire à propos de cet homme qu'elle a aimé mais avec lequel elle a su rester objective et indépendante. Car ce n'est pas n'importe quel bout de femme cette Lise ! Après une enfance compliquée racontée tout au long des 90 premières pages, elle se donne les moyens de voler de ses propres ailes, et se promet, en bonne féministe qu'elle est, de ne jamais dépendre d'un homme, ni financièrement ni psychologiquement, ni même sexuellement. Avec Lucien, une histoire d'amour faite de passion, de disputes, de désaccords aussi. Elle voudrait qu'il consacre sa vie à la peinture car il a du talent, mais il ne travaille pas assez pour ça. Alors il se dirigera vers la chanson, cet art mineur. Peu enthousiaste, Lise se marie avec Lucien, et leur vie continue, de déménagement en enménagement. C'est souvent elle qui travaille pour s'assurer que les factures courantes sont payées. Lucien joue du piano dans des clubs, attiré par les paillettes et aussi par l'alcool. Ils vivent en couple libre mais il est de plus en plus jaloux. Le divorce est prononcé en 1957, suite à quoi ils se côtoient toujours, toujours libres.
Extrait : "Il était fier d'avoir eu toutes les plus belles femmes. Et il m'appelait quand même pour que je le rejoigne, alors que je n'étais plus du tout le mannequin qu'il avait rencontré. Au début, il me disait : "Tu es trop maigre, tes os me piquent", puis on est passé à "Enfin je te tiens, j'en ai plein les mains", et, pour finir, à "Alors, ma grosse, regarde comme je suis resté svelte, alors que toi...". Mais pour moi Lulu a été une drogue, une maladie, un poison. Même maintenant que je suis si vieille, je sens ce délicieux poison glisser dans mes noires profondeurs. C'est un privilège, croyez-moi. Un privilège que je partage avec quelques-unes, je sais. Mais moi je suis la première à avoir joui de ce privilège. Ca a commencé un après-midi, vers quinze heures, le mercredi 5 mars 1947."
On sent, malgré toute la franchise et la simplicité de Lise Lézitsky, poindre l'envie de rétablir la vérité sur certains aspects de la vie de Lucien que les media ou lui-même ont faussement colportés ou omis de présenter...
Pourquoi l'envie pour elle de rendre publique sa biographie alors qu'elle a vécu tant d'années dans l'ombre des media, n'ayant à rendre de comptes à personne, surtout pas à Serge Gainsbourg, duquel elle n'a souhaité aucune pension, auquel elle n'a jamais osé demandé de l'aide financière lorsqu'elle en avait bien besoin et qu'il dépensait sa fortune dans des achats futiles ?
Je me suis posé la question, je n'ai pas la réponse, mais néanmoins, la vie de Lise Lévitzky ne manque pas d'intérêt. Pendant ces quelques jours de lecture, j'ai eu un grand plaisir à rouvrir les pages de la biographie, à me replonger dans ce récit, à continuer de me laisser conter par cette tendre femme de caractère sa petite histoire, celle de la belle Lise devenue hippopodame et du moche Lucien devenu Serge, un prénom qu'elle déteste puisque c'est celui de son père à elle (l'aurait-il fait exprès ce Gainsbourg ?) Autre question que je me pose : Jane et Charlotte peuvent-elles avoir lu ce livre ?
Amour vache, liberté sexuelle, expression artistique, familles russes. Deux vies unies par un pacte.
Lise et LuluLise Lévitzky
L'avis de Laurent Balandras - Music-Hall is magical Lise Lévitzky à la télé - On n'est pas couché